Le commissaire Matteï, de la brigade criminelle, est chargé de convoyer par le train Vogel, un détenu. Mais celui-ci s'enfuit en pleine nuit et demeure introuvable, malgré un important dispositif policier.
Pendant ce temps, à Marseille, un gardien de prison propose une "affaire" à Corey au moment de sa libération. Après s'être rendu chez Rico, Corey gagne Paris en voiture. Il recueille par hasard Vogel qui, dans la forêt de Fontainebleau, lui sauvera la vie en abattant deux hommes de la bande de Rico, lancés à sa poursuite.
Matteï, chargé de retrouver Vogel, cherche à faire parler l'un de ses indicateurs, Santi, patron d'une boîte de nuit.
Corey et Vogel montent "l'affaire" donnée par le gardien : le cambriolage d'une joaillerie place Vendome. Ils décident de s'adjoindre un tueur d'élite, Jansen, ancien policier radié pour ivrognerie. Le "coup" réussit parfaitement, mais lorsque Corey se rend comme convenu chez le receleur, celui-ci refuse de traiter avec lui, prétextant l'importance de l'affaire. Il découvre alors que cette affaire avait été montée par Rico, dans le seul but de dénoncer Corey à la police.
Afin de trouver un autre receleur, Jansen demande conseil à Santi, dont le fils vient d'être arrêté par Matteï pour affaire de drogue. Se faisant passer pour un éventuel acheteur de diamants, Matteï attirera les trois hommes dans une maison isolée où ils trouveront la mort sous les balles de la police.
La citation placée en exergue, attribuée à Rama Krishna, incite à une lecture philosophique du film :
" Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddah, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)"
Elle désigne la fatalité qui conduira Corey, Vogel et Jansen, réunis par le plus grand des hasards, à se retrouver dans la maison isolée où ils trouveront la mort sous les balles de la police.
Il est toutefois probable que Melville englobe dans le cercle rouge non seulement les criminels mais aussi les policiers. Si Melville croit au destin des hindous, il croit, en judéo-chrétien, à la corruption de ce monde ci. Comme il l'exprima dans la citation d'ouverture du Deuxième souffle : "A sa naissance, il n'est donné à l'homme qu'un seul droit : le choix de sa mort. Mais si ce choix est commandé par le dégoût de sa vie, alors son existence n'aura été que pure dérision". Ne restent donc que des règles de vie qui conduisent à bien choisir sa mort.
Seul Dieu prend la mesure de toute chose et se rit des efforts des humains pour aller de succès en succès alors que ne les attend que le plus grand des échecs : la mort. Il ne faut alors pas croire que seuls les criminels sont condamnés à l'échec parce que toujours à la merci d'une trahison : ce sont tous les hommes qui sont condamnés.
"Tous les hommes, monsieur Matteï"
C'est ici l'inspecteur général de la police qui porte ce discours. C'est à lui que revient la dernière phrase du film "Tous les hommes, monsieur Matteï" alors qu'il fait entrer tous les cars de police dans le cercle de la maison où Matteï s'est déjà engagé comme dans un enfer.
"Tous les hommes, monsieur Matteï" est la morale que l'inspecteur
général avait tenté d'imposer à Matteï lorsqu'il
l'avait convoqué avec son directeur après la fuite de Vogel.
Sur le pas de la porte il lui avait dit :
"-Mais n'oubliez jamais : tous coupables"
"-Même les policiers ?" s'était étonné
Matteï.
"-Tous les hommes, monsieur Matteï".
Cette conclusion venait après la conversation suivante :
"- Monsieur Matteï, vous ne saviez pas qu'un suspect doit être
considéré comme un coupable ?
- Pas pour moi, monsieur l'inspecteur général, il m'est passé
entre les mains tant de suspects qui étaient innocents.
- Vous voulez rire. Il n'y a pas d'innocents. Les hommes sont coupables. Ils
viennent au monde innocents mais ça ne dure pas."
Lorsque l'inspecteur général avait mis en cause les capacités de Matteï, son directeur avait fait valoir que Matteï avait les meilleurs états de service de la P. J. depuis quinze ans. En vain :" La belle affaire ! On change en quinze ans. Croyez-vous que je sois resté le même depuis 1955 ? Nous changeons tous... en mal."
"- Il plaisante ou il croit à ce qu'il dit ? avait demandé
Matteï à son directeur en sortant.
- Il y croit. C'est sa grande idée : le crime vit à l'intérieur
de tous, il suffit de le débusquer.
- Curieux homme
- Un homme redoutable.
S'en était suivi une courte séquence, où l'inspecteur général avait appelé son factotum, caché derrière une porte et qui avait tout entendu pour lui demander le dossier de Matteï avec "les rapports des concierges", non pour examiner ses états de services mais pour chercher une explication au fait que : "Matteï, c'est Corse. Cheveux blonds, yeux bleus : pas normal pour un Corse!"
Sans doute, l'inspecteur général cherchait-il dans la supposée bâtardise du commissaire la preuve d'une sublimation possible dans son métier qui le conduirait à une efficacité suffisante pour coincer Vogel. Sa dernière phrase vient alors confirmer son intuition et condamner Matteï à une vie de solitude.
... Gangsters et policiers
Dès la première séquence dans la voiture, policiers et gangsters, Matteï et Vogel sont comme frères. D'ailleurs l'inspecteur général s'en était moqué : "Un voyage à deux, même interrompu ça crée des liens". Et, effectivement, déjà dans cette voiture, le mutisme des deux hommes, leur costume semblable, leur façon de courir ensemble jusqu'au train en fait plus deux complices qu'un policier et un criminel, ce que l'on découvre finalement lorsque Matteï fixe les menottes de Vogel au montant du lit du wagon.
La première action du film, brûler un feu rouge parque l'on est pressé avait plutôt désigné les occupants de la voiture comme des gangsters s'apprêtant à commettre un coup. Preuve sans doute plus grande encore de la proximité des gangsters et des policiers, le fait que Jansen soit un ancien policier. Tous ces hommes sont réunis par un code de l'honneur qui est leur seul soutient face à un monde corrompu.
Jansen ne souhaitera pas obtenir sa part du butin considérant que son retour de la déchéance alcoolique suffit à le payer. C'est néanmoins lui qui mettra involontairement le commissaire sur la piste du trio : tous coupables !
Jean-Luc Lacuve, le 19/08/2009