Camille redouble

2012

Festival de Cannes 2012,  quinzaine des realisateurs Avec : Noémie Lvovsky (Camille Vaillant), Samir Guesmi (Eric), Judith Chemla (Josepha), India Hair (Alice), Julia Faure (Louise), Yolande Moreau (La mère), Michel Vuillermoz (Le père), Denis Podalydès (Alphonse), Jean-Pierre Léaud (L'horloger), Vincent Lacoste (Vincent), Micha Lescot (Le metteur en scène), Mathieu Amalric (Le professeur de français), Riad Sattouf (Le réalisateur). 1h55.

Camille, actrice de 47 ans, cachetonne pour une séquence de La Vengeance du boucher qui contribuera à augmenter son maigre quota d'heures, lui permettant de conserver son statut d'intermittente du spectacle. Un verre d'alcool et c'est le retour chez elle où son compagnon, Eric, fait ses derniers cartons en attendant un éventuel acheteur pour l'appartement qu'il veut mettre en vente contre la volonté de Camille. Après 25 ans de vie commune, il la quitte pour une femme plus jeune, moins alcoolique et moins aigrie.

C'est le soir du réveillon et Camille qui a reçu la visite de sa grande fille de 25 ans répond à l'invitation d'une vieille copine pour une soirée costumée où seront réunis tous les anciens du lycée. Camille fait un petit détour chez le bijoutier, histoire de faire a nouveau fonctionner la montre qu'elle a retrouvée au sein des vieilleries comme cette robe de sa mère qu'elle porte ce soir sur les conseils de sa fille. Sur le coup de minuit, tandis qu'elle jette son alliance par la fenêtre, et qu'elle titube sous l'alcool, Camille tombe dans les pommes et... se réveille au matin du 1er janvier 1986.

Camille, qui a gardé de son corps de quarante sept ans, est pourtant vue par les autres comme si elle en avait seize. Elle est aux urgences de l'hôpital où elle est sermonnée par une infirmière qui lui reproche d'avoir tant bu pour arriver là, reproches que lui réitèrent son père et sa mère qui la ramènent à la maison.

Eberluée de ce passé qui avait été vécu banalement, Camille s'y abandonne avec le ravissement des choses que l'on croyait perdues et que l'on redécouvre avec émerveillement... Elle retrouve ses parents, ses amies, son adolescence… et Eric. Va-t-elle fuir et tenter de changer leur vie à tous deux ? Va-t-elle l'aimer à nouveau alors qu'elle connaît la fin de leur histoire ?

L'admiration de Noémie Lvovsky pour François Truffaut trouve ici son plein accomplissement tant le scenario est travaillé avec finesse, jouant sur le double registre de l'inconscient du conscient, de l'intime et du cosmos. La mise en scène retrouve aussi la grâce aérienne, brillante et lyrique des grandes comédies américaines où le fantastique sert de révélateur à nos angoisse existentielles tout en proposant quelques pistes pour vivre mieux, plus libre et donc plus heureux.

Peggy Sue s'est mariée un jour sans fin

L'argument fantastique est plus proche de Peggy Sue s'est mariée (Francis Ford Coppola, 1986) que d'Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993). On retrouve néanmoins ici ce qui fait le sel de ces deux comédies, à savoir une certaine désinvolture dans l'explication de la béance fantastique au profit d'une réflexion approfondie sur le sens de la vie permettant de donner quelques pistes pour repartir dans le présent avec des nouvelles armes pour l'affronter. Le voyage, aussi improbable qu'il soit, n'aura donc pas été vain.

Ici, Camille comprend qu'il ne sert à rien de garder rancœur d'un passé qui portait en germe le désastre du présent puisque rien ne pouvait le changer. Seul le regard qu'on porte sur lui en change la saveur et, partant, nous donne la possibilité de changer nous-même pour, peut-être, ainsi modifier son présent.

Cette double explication est proposée par l'horloger et Alphonse. L'horloger est déjà très au fait des questions astronomiques. Les considérations sur la seconde intercalaire, grâce à laquelle le temps de nos horloges atomiques vient se caler sur celui de notre planète, ne sont toutefois qu'une fausse piste vis-à-vis de la faille temporelle qui va engloutir Camille. Ces explications préparent la future (ou passée) leçon d'astronomie d'Alphonse. L'horloger donne une leçon de morale intemporelle et de bon sens : "Il faut avoir le courage de changer ce que l'on peut et la sagesse d'accepter ce que l'on ne peut changer". Cette sagesse consiste ici, en premier lieu, à accepter le mort de la mère mais en lui disant cette fois la vérité (que l'on est enceinte), même si cela ne l'enchante sans doute pas davantage que l'ignorance où elle avait été maintenue la première fois. C'est aussi accepter la cécité à venir de l'amie, ou le traumatisme de la recherche d'une vraie famille, fut-elle d'adoption, pour l'autre. C'est enfin préserver l'essentiel : la naissance à venir de sa fille.

Alphonse -un prénom qui va vite !!- explicite plus profondément la morale du film. La lumière du passé peut éclairer notre présent mais il est inutile de chercher à se refugier dans ce passé puisque, lorsque sa lumière nous parvient, ce passé a déjà disparu. Magnifique explication pédagogique : Alphonse se saisit d'un briquet, l'allume et le tient loin de lui. Son doigt, en faisant le trajet de la flamme du briquet au visage de Camille, figure le trajet de la lumière. Le doigt de la lumière du passé est bien présent prés du visage de Camille mais la flamme du briquet, elle, s'est éteinte : le passé a disparu. Cet encouragement de l'esprit à embellir de romanesque notre vie s'incarne aussi avec la pièce de Labiche ou la comparaison de Camille avec le personnage de Mathilde de La Mole dans Le rouge et le noir, les citations discrètes des stars de cinéma, James Dean ou Marilyn Monroe.

Le passé ne portait pas en lui le désastre du présent comme Camille l'avait cru au début de son aventure mais elle ressent avec une acuité bien plus grande ce qui faisait alors sa force. Avec le temps, elle avait oublié cette énergie au point de n'avoir aujourd'hui plus de ressources pour vivre son présent. C'est la lumière du passé qui éclaire notre présent bien plus que le passé lui-même. Et c'est cette lumière là que met en scène le film.


Lumière de la mise en scène

Changer son regard sur sa propre vie pour lui donner sens est l'expérience profonde du film. La mise en scène va alors chercher à se saisir du décalage entre le passé banal et son expérience lorsqu'il est revécu. Pour cela Noémie Lvovsky n'hésite pas à faire feu de tout bois dans un festival d'inventivités sans cesse renouvelées.

Dans sa structure même, le film traverse les différents registres de la comédie : sentimentale (les discussions entre copines tout autant que la constitution du couple), sociale (les décors, corps et attitudes de la France de 1986) et burlesque (Amalric, Léaud). Son spectre comique va de la joie incrédule et puissante de reprendre son vélo écouteurs sur les oreilles, d'entrer au lycée sur une bande-son enthousiaste et allègre, à l'émouvante petite cantate chantée par les parents.

Même richesse de registres qui fait s'opposer un prologue qui se termine sur la masse alourdie, abattue et triste de Camille à un générique arien, foutraque et splendide ou qui met en avant le saisissement d'une peau douce d'adolescent par Camille bien plus que la consommation sexuelle avec le malhabile élève de seconde.

Le retour du même sous différentes formes s'incarne encore dans la bague coupée, jetée dans la neige, redonnée vainement, enlevée puis montrée ou le jeu avec les voix enregistrées des parents.

La lumière du passé permet de ressentir de façon différente le présent dont on ne se souvient plus, moins parce que l'on trouve les autres changés, que parce que l'on a changé soi-même. Camille repart donc réconciliée avec son passé pour découvrir une nouvelle liberté, celle qui lui fait prendre le bac vers une rive enneigée et déserte ou celle qui la voit s'éloigner dans une rue blanche de neige sur laquelle il lui reste encore à inscrire de nombreuses années. Il lui faudra, comme le chante Gaëtan Roussel, attendre le vainqueur, Eric peut-être, les bras chargés de fleurs, petite fille, femme, ou vieille femme pour qu'elles soient ou offertes ou fanées à force d'espoirs, déçus souvent, mais toujours renouvelés.

Jean-Luc Lacuve le 13/09/2012