Né en 1964
23 films
   
   
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Sergei Loznitsa naît le 5 septembre 1964 à Baranavitchy, en Biélorussie soviétique. Sa famille part pour Kiev, en Ukraine, où Loznitsa fait sa scolarité. En 1981, Loznitsa est admis à l'Université Polytechnique de Kiev, où il étudie les mathématiques appliquées et les systèmes de contrôle. En 1987, il est diplômé en ingénierie et mathématiques. De 1987 à 1991, Loznitsa travaille comme scientifique à l'Institut de Cybernétique. Ses missions l'amènent à étudier le développement de systèmes experts, l'intelligence artificielle ainsi que les processus de prise de décision. Parallèlement à son activité principale, Loznitsa est traducteur de japonais en russe et développe un vif intérêt pour le cinéma.

" À l'âge de 24 ans, j'ai ressenti soudain le besoin de faire, dans ma vie, quelque chose de sérieux et d'important. J'avais fait des études de mathématiques, j'avais un métier, mais je ne me sentais pas concerné, ça me passait au-dessus de la tête, si je puis dire. J'ai lu beaucoup pendant ma jeunesse, et peut-être que ces multitudes de textes se sont accumulés en moi et ont déclenché une réaction en chaîne... Je me suis senti poussé vers l'éducation des lettres et des arts. J'avais le choix entre la littérature, l'histoire ou le cinéma. La première faculté que j'ai visitée à Moscou était l'Institut d’État pour le cinéma. J'y suis resté. Et il m'a fallu sept ans pour découvrir que j'avais fait le bon choix. (Un cinéaste au fond des yeux : Sergei Loznitsa sur telerama.fr du 15 novembre 2010)"

Loznitsa évoquera également l’effondrement de l’URSS, et le climat « de romantisme et d’euphorie » qui suivit, pour justifier son choix. C'est donc en 1991 que Loznitsa change de voie : il est alors reçu à l'Institut national de la cinématographie de Moscou et étudie dans l'atelier de Nana Djordjadze. Il en sort diplômé six ans plus tard, avec les honneurs du jury. Il réalise, en 2000, des films documentaires à Saint-Pétersbourg dont le court-métrage La Station, remarqué par la critique. Il reçoit, la même année, une bourse du programme Nipkow à Berlin. Un an plus tard, le cinéaste s'installe, avec sa femme et ses deux filles, en Allemagne, décidant ainsi d'instaurer un peu de distance entre lui et son pays.

« Je pense qu’il est nécessaire pour un cinéaste, ou tout artiste, d’établir une distance avec le sujet dont il traite. C’est ce que Victor Chklovski appelle "otstranenie" qui inspira à Brecht le concept de "distanciation". C’est une étape nécessaire pour contrôler sa matière, sinon l’émotion prend le dessus et les puissances de la raison et de la création sont mises en péril. Il faut toujours faire un pas de côté, ce qui suppose une certaine duplicité ou une fracture de la personnalité. En physique quantique, c’est que l’on appelle le principe de superposition. »(Sergeï Loznitsa, la science et la fiction par Didier Péron, sur next.liberation.fr du 17 novembre 2010)

En 2006, on lui décerne un Nika du meilleur film documentaire pour Blokada consacré au siège de Léningrad au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Ses trois longs-métrages ont tous été sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes : My Joy pour le Festival de Cannes 2010, Dans la brume pour le Festival de Cannes 2012 (il a aussi reçu le prix FIPRESCI de la critique internationale) et Une femme douce pour le Festival de Cannes 2017.

"Poutine m’évoque toujours le personnage de Macbeth" déclare Sergei Loznitsa.
Par Gauthier Jurgensen, propos recueillis à Cannes le 10 mai 2018

G. J. : Dans vos films, le peuple est déshumanisé par l’autorité sous toutes ses formes. Pourquoi le mathématicien que vous êtes (de formation) s’intéresse-t-il tant à ce sujet ?

S. L. : Les questions : "Qui suis-je ?", "Qu’est-ce que je fais ?" et "Où je me trouve ?" peuvent intéresser n’importe qui. Si je vois qu’autour de moi, le monde s’effondre, forcément cela me touche et me concerne. Je dois réagir d’une façon ou d’une autre pour préserver le monde qui me convenait jusqu’à présent et dont je constate qu’il est en train de se délabrer. Je ne vois pas de mission plus importante pour moi.

G. J. : La propagande et la désinformation dans cette guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine sont au centre de Donbass. Quel est leur impact sur le conflit actuel, selon vous ?

S. L. : Ce n’est pas simplement un impact politique, parce qu’on est aussi dans la théâtralisation. C’est presque une performance qui est présentée au peuple, comme Guy Debord l’a déjà souligné. Ça fait bien longtemps que la société du spectacle est installée. Elle a toujours existé, mais encore davantage à notre époque, maintenant que les moyens techniques nous permettent de mettre en scène notre quotidien. Toute personne équipée d’une caméra met en scène ce qu’il filme. Celui qui prend des images pense déjà immédiatement aux spectateurs. Peu importe qui filme quoi et comment : déjà un spectacle est créé.

G. J. : Justement, ce dispositif a tendance à perdre le spectateur dans le conflit qui est au centre de votre film. On ne sait plus qui est qui.

S. L. : Justement : toutes les informations qui sont présentées sont sujettes à une théâtralisation. La non-correspondance entre les faits et leur présentation est à l’origine même de cette façon biaisée de présenter les informations. Moi, peut-être que je veux servir la vérité ou la propagande. Quand je choisis un angle particulier, j’élimine nécessairement les autres et je mène le spectateur à ne s’intéresser qu’à cela. La politique de la guerre de l’information qui est menée par la Russie de Vladimir Poutine actuellement utilise tous les moyens les plus modernes pour agir sur les consciences dans le monde entier, en faisant passer l’information qui l’arrange pour la seule vérité.

G. J. : Poutine est en train d´acquérir beaucoup d’influence sur le monde entier. Selon-vous, vers quoi nous dirigeons-nous ? Un retour à l’Union Soviétique ?

S. L. : C’est une grande question. Je ne sais pas comment Poutine voit l’avenir, mais il m’évoque le personnage de Macbeth. Shakespeare a décrit avec beaucoup de précision la structure du pouvoir. Il peut y avoir deux solutions pour l’avenir. Soit, puisque les gens vivent vieux de nos jours, cela va durer encore longtemps jusqu’à un éventuel décès. Soit il peut y avoir un bouleversement, une révolution. Je ne pense pas au bouleversement de 1917, mais selon moi, l’arrivée d’une nouvelle figure charismatique au pouvoir reste envisageable. D’ailleurs peut-être que nous ne nous en rendrons même pas compte : Poutine sera encore là mais, dans l’ombre, quelqu’un d’autre tirera les ficelles…

G. J. : Le cinéaste russe Kirill Serebrennikov ne sera pas à Cannes pour défendre son film L’Eté, sélectionné en compétition officielle, puisqu’il est assigné à résidence. Vos collègues peuvent-ils encore travailler normalement en Russie ?

S. L. : Je ne peux pas parler pour eux car je ne vis pas en Russie. Mais si j’avais voulu tourner Donbass en Russie, je n’aurais jamais pu rassembler l’argent pour le faire. Les films de fiction sont beaucoup plus difficiles à monter et les refus sont fréquents. Pour les documentaires, qui demandent moins de budget, on continue d’en tourner de remarquables en Russie. Quant à Serebrennikov, on ne peut qu’avoir de la sympathie pour lui, d’autant que sa situation ne dépend que de la volonté d’un seul homme. On a l’impression d’être retournés au Moyen-Âge, à l’époque où un monarque absolu décidait pour tous.

Filmographie :

Courts-métrages documentaires

1996 : Segodnya my postroim dom
1999 : La vie, l'automne
2000 : La station
2002 : Portret
2004 : Fabrika
2006 : Artel
2012 : O Milagre de Santo Antonio
2013 : Pismo
2015 : The Old Jewish Cemetery
2020 : Une nuit à l'opéra

Longs métrages

2002 La colonie
  Documentaire
   
2003 Peyzazh
  Documentaire
   
2006 Blokada
  Documentaire
   
2008 Predstavlenie
  Documentaire
   
2008 Sweet Sixties
  Documentaire
   
2008 Severnyy svet
  Documentaire
   
2010 My Joy
(Schastye moe). Avec : Victor Nemets (Georgy), Olga Shuvalova Olga Shuvalova (La prostituée mineure), Vlad Ivanov (Le maire de Moscou), Vladimir Golovin (Le vieil homme). 2h07.

Un jeune camionneur se perd dans la campagne russe. Il croise un vétéran malheureux, une prostituée mineure, une étrange bohémienne, des policiers corrompus… Plus il tente de retrouver le chemin vers la civilisation, plus il découvre que la force et l’instinct de survie ont remplacé toute forme d’humanité.

   
2012 Dans la brume
(V Tumane). Avec : Vladimir Svirskiy (Sushenya), Vladislav Abashin (Burov), Sergeï Kolesov (Voitik), Vlad Ivanov (Le Commandant en chef),Yuliya Peresild (Anelya) Nikita Peremotovs (Grisha), Kirill Petrov (Koroban), Dmitrijs Kolosovs Mishuk). 2h10.

Une forêt. Deux résistants. Un homme à abattre, accusé à tort de collaboration. Comment faire un choix moral dans des circonstances où la morale n’existe plus ? Durant la Seconde Guerre mondiale, personne n’est innocent.

   
2014 Maïdan
Documentaire. 2h07.

Maïdan, c'est la place centrale de Kiev, capitale de l'Ukraine. Dès novembre 2013, c'est là que des citoyens de tous âges et de toutes les confessions se rassemblent pour protester contre le régime du président Ianoukovitch. Il sera contraint à la démission, fin mars. De novembre à mars, Sergeï Loznitsa a filmé Maïdan.

   
2014 Réflexions
segment des Ponts de Sarajevo
   
2015 Sobytie
  Documentaire
   
2016 Austerlitz
   
   
2017 Une femme douce
(Krotkaya). Avec : Vasilina Makovtseva (Une femme douce), Valeriu Andriutã (Visage bleu), Sergey Kolesov (Homme aux dents écartées), Marina Kleshcheva (La compatissante). 2h23.

Une femme reçoit le colis qu’elle a envoyé quelques temps plus tôt à son mari incarcéré pour un crime qu’il n’a pas commis. Inquiète et profondément désemparée elle décide de lui rendre visite. Ainsi commence l’histoire d’un voyage, l'histoire d’une bataille absurde contre une forteresse impénétrable.

   
2018 Den' Pobedy
 

Documentaire

   
2018 Donbass
Avec : Tamara Yatsenko (Plump-faced Woman), Irina Zayarmiuk (Creature), Grigory Masliuk (Le maire de la ville), Olesya Zhurakivska (La fille au seau). 2h02.

Dans le Donbass, région de l'est de l'Ukraine, une guerre hybride mêle conflit armé ouvert, crimes et saccages perpétrés par des gangs séparatistes. Dans le Donbass, la guerre s'appelle la paix, la propagande est érigée en vérité et la haine prétend être l'amour. Un périple à travers le Donbass, c’est un enchainement d’aventures folles, dans lesquelles le grotesque et le tragique se mêlent comme la vie et la mort. Ce n’est pas un conte sur une région, un pays ou un système politique mais sur un monde perdu dans l’après-vérité et les fausses identités.

   
2018 The Trial
  Documentaire. 2h05.

En 1930 à Moscou, URSS. Le gouvernement soviétique traduit en justice un groupe d'économistes et d'ingénieurs de haut rang, les accusant d'avoir comploté un coup d'État. Les accusations sont fabriquées et la punition, en cas de condamnation, est la mort.

   
2019 Funérailles d'État
  Documentaire. 2h15.

Le culte de la personnalité à propos dugrand spectacle des funérailles de Joseph Staline.

   
2020 Celles qui chantent
Documentaire. Coréalisé avec Julie Deliquet, Karim Moussaoui et Jafar Panahi. 1h15.

D’un village iranien au Palais Garnier, d'un hôpital de Villejuif au Sud de l’Algérie, des voix s’élèvent... Quatre cinéastes, Julie Deliquet, Karim Moussaoui, Sergei Loznitsa et Jafar Panahi filment des chants de femmes et évoquent à leur façon, le monde où vit chacune d’elle.

   
2021 Babi Yar. Contexte
Documentaire. 2h00.

Les 29 et 30 septembre 1941, le Sonderkommando 4a du Einsatzgruppe C, avec l’aide de deux bataillons du Régiment de Police Sud et de la Police auxiliaire ukrainienne, a abattu, sans la moindre résistance de la part de la population locale, 33 771 Juifs dans le ravin de Babi Yar, situé au nord-ouest de Kiev. Le film reconstitue le contexte historique de cette tragédie à travers des images d’archives documentant l’occupation allemande et la décennie qui a suivi. Lorsque la mémoire s’efface, lorsque le passé projette son ombre sur le futur, le cinéma est la voix qui peut exprimer la vérité.

   
2021 Mr. Landsbergis
Documentaire. 4h06

De 1989 à 1991, la Lituanie se rebelle puis se sépare de son grand frère, l'Union soviétique. Cette période de protestations pacifiques où l'on chantait beaucoup a été surnommée la "révolution chantante". Le documentaire interroge l'un des fondateurs du mouvement d'indépendance, Vytautas Landsbergis, aujourd'hui âgé de 88 ans.