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Monsieur Klein

1975

Voir : photogrammes
Thème : Occupation

Avec : Alain Delon (Mr. Klein), Jeanne Moreau (Florence), Francine Bergé (Nicole), Juliet Berto (Jeanine), Massimo Girotti (Charles Xavier), Michael Lonsdale (Pierre), Magali Clément (Lola), Jean Bouise (Le vendeur), Suzanne Flon (La concierge), Michel Aumont (Le commissaire de la prefecture), Gérard Jugnot (Le photographe). 2h02.

Paris 16 janvier 1942. Une femme nue, sous le regard inquisiteur d'un médecin de la préfecture de police, doit se soumettre à ses palpations. Froid et grossier il la déclare ou juive, arménienne ou arabe; suspecte. Quand elle rejoint son mari dans la salle d'attente, en ayant payé les 15 francs de la consultation, elle comprend, comme lui, que cet examen ignoble pourrait leur être fatal.

Robert Klein, Alsacien, la quarantaine, voit dans l'occupation une bonne occasion de s'enrichir. Devant la répression qui s'amplifie, des juifs viennent lui céder à bon prix des tableaux de maîtres et d'autres objets d'art. Alors qu'il vient d'acheter avec morgue et sans état d'âme une œuvre du peintre hollandais Van Ostade au quart de son prix, il reçoit, réexpédié, à son nom, et à son adresse mais raturée, le journal " Les Informations juives "qui n'est délivré que sur abonnement.

Mr Klein assiste, contrarié, aux enchères d'une tapisserie où, dans le rond central, est représenté le remord : un vautour, le cœur transpercé d'une flèche, mais qui continue à voler. Dans chacun des quatre angles sont inscrits les très anciens signes cabalistiques.

Robert Klein mène une enquête auprès du journal. "Les informations juives" est la courroie de transmission des autorités de Vichy auprès des Juifs pour leur transmettre les mesures de plus en plus discriminatoires prises contre eux. Robert Klein apprend, consterné, que le fichier des adresses est ainsi aux mains de la préfecture. Il s'y rend pour apprendre qu'il existe bien un Robert Klein dans le fichier des abonnés mais qui habite à une autre adresse que la sienne, le 136 rue du bac, que le commissaire, peu amène, s'empresse de noter avec suspicion. Le soir, Mr Klein, indifférent à Jeanine, sa maîtresse, cherche à retrouver l'adresse sous les ratures.

Le lendemain, 17 janvier, Mr Klein se rend rue des Abbesses où des inspecteurs enquêtent auprès de la concierge sur le départ du Robert Klein qui habitait un minable appartement. La concierge dit reconnaître en Mr Klein celui de l'appartement. Mr Klein nie et dit chercher un appartement pour un ami. Lla concierge, à la fois dure et apeurée,le lui fait visiter. Mr Klein découvre des négatifs de photos dans le seul livre présent sur une étagère, Moby Dick, que lui-même faisait lire la veille à Jeanine.

Le photographe se souvient de la photo et la tire à nouveau, Klein y apparait, le visage caché, sur une moto en compagnie d'une jolie femme et d'un chien. En rentrant chez lui, Mr Klein y retrouve ses amis qui s'y trouvent déjà. Nicole, sa maîtresse, se montre jalouse de Jeanine. Nicole est la femme de son avocat, Pierre, qui s'inquiète que deux policiers l'attendent. Mr Klein découvre que ce sont les deux policiers qu'il a croisé rue des abbesses et qui lui ramènent sa carte de visite et le prient de l'accompagner au commissariat. Mr Klein, qui y est allé de lui-même auparavant, leur fait téléphoner à la préfecture qui confirme. Néanmoins, Mr Klein est très inquiet.

Des officiels, militaires, gendarmes et civils, inspectent le Vel d'hiv.

24 janvier, jour de pluie. Mr Klein redoute le passage du facteur. Il reçoit, interloqué, une lettre d'une certaine Florence qui lui demande de la rejoindre le surlendemain par le train de 18h15 pour Ivry la Garenne. Le 26 janvier, à Ivry, un chauffeur l'attend qui le conduit dans un grand manoir où l'on joue de la musique et boit du champagne. Florence est la femme de Charles, le châtelain, qui ne croit pas que le Robert qu'il connait puisse habiter rue des abbesses d'où la lettre a été réexpédiée chez Mr Klein. Florence, qui ne tient pas à ce que Mr Klein dévoile le contenu de la lettre, insiste pour qu'il reste la nuit à Ivry.

Elle déchire la lettre et est prête à se donner à lui quand le bruit d'une moto la fait partir précipitamment. Mr Klein la voit alors rejoindre Klein, en moto dans l'allée qui, après une brève étreinte, s'en va. Le lendemain, Mr Klein veut en savoir plus auprès de Florence sur Klein mais celle-ci ne peut lui donner comme ancienne adresse que la sienne, 136 rue du bac.

Lors de la communion de son neveu, Mr Klein apprend de Charles que la préfecture fait une enquête sur lui cherchant à savoir s'il est juif. Mr Klein se rend ainsi en Alsace pour obtenir de son père les certificats de naissance de ses grands-parents. A son retour, il assiste avec Jeanine à un spectacle raciste contre les juifs qui les met mal à l'aise. Dans un restaurant, on demande "Mr Klein" au téléphone. Mais Mr Klein refuse de se lever, espérant que ce soit Klein qui le fasse. Robert s'inquiète : le certificat de naissance en Algérie n'arrive pas et les habitants d'Ivry ont fui pour le Mexique. Quand Mr Klein veut se rendre au téléphone, c'est trop tard : un Klein qui lui ressemblait est parti.

Mr Klein se rend rue des Abbesses. Il découvre dans l'appartement une partition musicale, ce qui pourrait être la mèche d'une bombe artisanale et une botte comme celles des danseuses du cabaret. C'est celle d'Isabelle, la compagne de Klein, d'après le nom que lui donne la concierge. Au cabaret, c'est Lola qui lui affirme que la femme se nomme Cathy et qu'elle l'a vue au métro Ballard. Là on lui signale la ressemblance de la photo avec une certaine Françoise. Mais il ne peut la retrouver.

A 4h30, la préfecture fait un essai de rafle dans Paris.

Son appartement est mis sous scellés. Il découvre que la partition de Klein est l'internationale. Le chien de Klein le suit ce qui désespère Jeanine, tant il semble se fondre dans cette nouvelle personnalité. Elle le quitte; il lui parle du journal. Cinq hommes sont morts dans un attentat à la bombe contre la Gestapo. Il va les voir à la morgue en pensant que Klein est l'un d’entre eux.

Juillet 1942. A la gare, Pierre lui remet passeport, billet de train et de bateau pour quitter Marseille le lendemain. Mr Klein se dit soulagé de quitter la France où chacun est "trop civilisé, trop poli et trop fiché". Il prend le train sans remarquer qu'une jeune femme dit au revoir à Robert. Celle-ci remarque son adieu à Jeannine et au chien. Mr Klein lui dit être un ami de Klein. Elle lui dit qu'il est toujours rue des abbesses sous la protection de la concierge qui en est amoureuse. Mr Klein décide de retourner à paris

Mr Klein vient voir Pierre et téléphone à Klein qui veut bien le voir. Quand Mr Klein arrive, Klein est arrêté. Pierre l'attend au coin de la rue pour lui dire que c'est lui qui a dénoncé Klein pour le protéger. Mr Klein enrage et le plaque contre le mur.

Mr Klein attend chez lui dans son salon vidé de tous ses objets sauf le tableau de Van Ostade. Deux policiers et un gendarme viennent l'arrêter. Mr Klein pourrait fuir il ne le fait pas même s'il présente son faux passeport. Il est conduit en bus avec les Juifs raflés vers le Vel d'Hiv. Pierre et le commissaire le cherchent parmi les Juifs lui indiquant que le dernier certificat de naissance vient de leur parvenir. Rien n'y fait, Mr Klein, qui a entendu Klein être appelé, veut le rejoindre. Ils sont enfermés dans le même wagon les conduisant vers les camps de concentration. Klein était le vendeur du tableau.

Les personnages de Losey, grand maître du naturalisme, ne sont pas de faux durs, mais de faux faibles : ils sont condamnés d'avance par la violence qui les habite, et qui les pousse à aller jusqu'au bout d'un milieu que la pulsion explore, mais au prix de les faire disparaître eux-mêmes avec leur milieu. Plus encore que tout autre film de Losey, M. Klein est l'exemple d'un tel devenir qui nous tend les pièges des interprétations psychologiques ou psychanalytiques.

M. Klein est bien ce comprimé de violence qu'on retrouve toujours chez Losey. La violence des pulsions qui l'habite l'entraîne dans le plus étrange devenir : pris pour un juif, confondu avec un juif sous l'occupation nazi, il commence par protester, et met toute sa sombre violence dans une enquête où il veut dénoncer l'injustice de cette assimilation. Mais ce n'est pas au nom du droit, ou d'une prise de conscience d'une justice plus fondamentale, c'est au seul nom de la violence qui est en lui qu'il va peu à peu faire cette découverte décisive : même s'il était juif, toutes ses pulsions s'opposeraient encore à la violence dérivée d'un ordre qui n'est pas le sien, mais qui est l'ordre social d'un régime dominant. Si bien que le personnage se met à assumer cet état de juif qu'il n'est pas, et consent à sa propre disparition dans la masse des juifs entraînés vers la mort. C'est exactement le devenir juif d'un non-juif. (C'est aussi le thème d'un des meilleurs romans d'Arthur Miller, Focus, ed. de Minuit : un Américain moyen pris à tort pour un juif, persécuté par le K.K. K., abandonné par sa femme et ses amis, commence par protester, essayer de prouver qu'il est un pur aryen; puis prend progressivement conscience que ces persécutions ne seraient pas moins odieuses s'il était réellement juif, et finit par se confondre volontairement avec le juif qu'il n'est pas).

On a beaucoup commenté dans M. Klein, le rôle du double et du cheminement de l'enquête. Ces thèmes semblent secondaires et subordonnés à l'image-pulsion, c'est-à-dire à cette violence statique du personnage qui n'a pour issue dans le milieu dérivé qu'un retournement contre soi, un devenir qui le mène à la disparition comme à l'assomption la plus bouleversante.

Inséparables des milieux dérivés, les mondes originaires ont des traits particuliers qui appartiennent au style de Losey. Ce sont des espaces qui appartiennent aux actes et gestes de la pulsion. Le monde originaire communique avec les milieux dérivés, à la fois comme prédateur qui y choisit ses proies, et comme parasite qui en précipite la dégradation. C'est le vautour, celui de la tapisserie, au coeur transpercé d'une flèche, symbole du remord ou celui que Florence reconnait en Mr Klein. Le Klein juif que connait Florence a remarqué "la variété infini de la spécialisation des instincts, chez les animaux ou les insectes. Cette variété se manifeste en une série d'espèces différentes. Chez l'homme au contraire, cela n'est pas possible puisqu'il n'existe qu'une seule espèce d'homme" Mais elle ne se fait pas faute d'examiner Mr Klein sa "conviction de sa supériorité sur les autres, son amour de sa liberté, son égoïsme" en font, non un oiseau de proie, un faucon comme il le croit, mais un vautour.

Le milieu dérivé, c'est l'ordre social du régime dominant de Vichy (ses gendarmes et trafics en tout genre), le monde originaire ce sont les multiples tunnels, six ou sept, qui appellent vers la mort. Il y a notamment celui du début, où la femme juive retrouve son mari, et celui de la fin au vélodrome d'hiver, tout noir, antichambre de la mort quand les juifs vont prendre le train qui les conduit à Auschwitz.

Source : Gilles Deleuze, L'image mouvement, p.192-194

 

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