Les damnés

1963

These are the damned). Avec : Macdonald Carey (Simon Wells), Shirley Anne Field (Joan), Viveca Lindfors (Freya Neilson), Alexander Knox (Bernard), Oliver Reed (King), Walter Gotell (Major Holland), James Villiers (Capitaine Gregory), Tom Kempinski (Ted), Kenneth Cope (Sid). 1h36.

Dans un petit port britannique de la côte sud, l'Américain Simon Wells est dévalisé par une bande de blousons noirs dirigés par King. La soeur de ce dernier, Joan, qui a servi d'appât, prend la défense de Wells et s'enfuit avec lui à bord de son petit yacht. Un peu plus tard, caché dans une maison sur la falaise, refuge de la sculpteur Freya, la maitresse de Bernard, un agent du gouvernement, le couple est retrouvé par King et sa bande. En fuyant à nouveau, Joan et Simon tombent de la falaise et prennent pied dans une grotte où ils sont bientôt rejoints par King.

Dans ce refuge vivent neuf enfants étranges au corps glacé. En tentant de les ramener à l'air libre, les fugitifs se heurtent à un groupe de militaires sous les ordres du professeur Bernard... Irradiés dans le ventre de leurs mères, victimes d'un accident nucléaire, les enfants sont des Mutants, les premiers éléments d'une nouvelle espèce qui succédera à l'humanité après l'accident nucléaire imminent.

Simon, Joan et King se rebellent contre cette expérience inhumaine et décident de la révéler au monde. En essayant de libérer les enfants, King est tué par les militaires. Simon et Joan parviennent à quitter la base secrète à bord du yacht. Mais, irradiés, ils sont condamnés à une mort inéluctable. Bernard exécute Freya qui refuse cet enfermement. Dans les grottes, les enfants, à l'insu de tous, attendent leur règne en criant au secours se sachant désormais prisonniers.

Le film appartient au genre de la science-fiction réflexive sur les catastrophes à venir qu'engendrera la puissance nucléaire. Il s'agit ici moins de la peur de la guerre atomique que des accidents nucléaires inévitables. Bernard l'avoue à Freya : les mères ont été irradiées dans un accident, phénomène loin d'être rare. Il en a recensé 300 ces quinze dernières années.

Les damnés dépasse cependant l'analyse réflexive par son esthétique constamment naturaliste du moins dans l'acceptation que le philosophe Gilles Deleuze donne à ce terme.

Losey pratique une double juxtaposition entre monde originaire et monde dérivé. Appartiennent au premier d'une part les falaises de Portland, leur paysage primitif, leurs installations militaires et leurs enfants mutants radioactifs et, d'autre part les grandes figures d'oiseaux et d'hélicoptères, et les sculptures. Appartiennent au monde dérivé le minable style victorien de la station balnéaire de Weymouth et le gang à moto et ses actions perverses.

Le professeur Bernard sous son apparence policé est un être dominé par la pulsion de destruction, bien plus dangereuse que celle qui anime King, le mauvais garçon malade de son amour pour sa soeur. Bernard rappelle à Fraye qu'après la première explosion nucléaire, des fleurs inconnues ont poussé dans le désert. Pour survivre à la destruction qui viendra inévitablement, il faut une nouvelle espèce d'hommes. Un accident lui a donné ces neuf précieux enfants, il se les a approprié car il ne sait pas reproduire les conditions de leur naissance. "Mes enfants sortiront et hériteront de la terre" dit-il. Ce à quoi Freya réplique "Mais quelle terre ? Est ce un rêve que de libérer neuf enfants glacés dans un monde en cendres ?"

Le monde originaire n'oppose donc pas la Nature aux constructions de l'homme : il ignore cette distinction qui ne vaut que dans les milieux dérivés. Il surgit entre un milieu qui n'en finit pas de mourir et un autre qui n'arrive pas à naître, il s'approprie aussi bien les restes de l'un que les ébauches de l'autre pour en faire des symptômes morbides.

Le monde originaire embrasse le futurisme et l'archaïsme. Lui appartient comme à Bernard, le maître fou de la falaise, tout ce qui est acte ou geste de la pulsion. Et de haut en bas, par des chemins de pente verticaux, ou de l'extérieur à l'intérieur, le monde originaire avec ses canaux dont on ne sait s'ils sont artificiels ou naturels, lunaires, communique avec les milieux dérivés, à la fois comme prédateur qui y choisit ses proies, et comme parasite qui y précipite la dégradation. Le milieu c'est la maison victorienne, tout comme le monde originaire c'est la région sauvage qui la surplombe ou l'entoure.

Freya, à la fois comme amante et comme sculpteur, est seule capable de dompter les puissances maléfiques (L'oiseau de l'apocalypse). Elle est la seule capable de sortir du cycle infernal de l'éternel retour de la pulsion. Son assassinat condamne ici l'humanité toute entière.

Jean-Luc Lacuve le 27/01/2009

Source : L'image-mouvement p179-180