Souleymane est convoqué pour son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Il se souvient:
Deux jours plus tôt, il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas; les adresses se succèdent, à chaque fois un nom, une adresse, un code. Mais la plate-forme qui l'emploie demande régulièrement une vérification du profil. Il pédale alors encore plus vite pour demander au titulaire de son compte de faire un selfie qui l'identifiera. Celui-ci, Emmanuel, en profite pour sermonner Souleymane qui n'a pas fait assez de chiffre, un prétexte pour ne pas lui donner l'argent qu’il lui doit alors que Souleymane en a besoin pour payer Barry, son coach pour l'entretien. Emmanuel promet de lui donner le lendemain à 13 heures, gare du Nord. Les adresses se succèdent, à chaque fois un nom, une adresse, un code. Souleymane ne prend pas le temps de déjeuner avec ses compatriotes. Si un restaurateur lui offre un café, un autre est particulièrement arrogant et méprisant se permettant de le faire attendre près de vingt minutes; Souleymane s'emporte et finit par avoir gain de cause. La pizza est pour un vieil homme sympathique avec lequel il aurait bien discuté plus longtemps. Emmanuel repart mais est victime d'un accrochage avec une voiture qui le renverse, voilant la roue de son vélo. Il repart néanmoins mais le sac ayant touché terre, la jeune femme qui devait le réceptionner le refuse, lui claquant la porte au nez. Souleymane appelle la plateforme qui lui refuse de prendre en considération sa version des faits. Il sait seulement que ce refus de livraison sera sanctionné. Souleymane parvient à prendre le métro puis le bus de nuit qui le conduit au centre d'asile de nuit. Il n'obtient pas son lit habituel mais négocie avec celui qui l'occupe pour rester près de son ami. Celui-ci tente de le rassurer pour son examen du surlendemain. Lors du repas dans la salle commune, sa petite amie guinéenne lui téléphone pour lui dire qu'elle a reçu une demande en mariage d'un ingénieur. Souleymane lui dit qu'elle ne peut attendre de lui ce qu'elle souhaite et abrège la conversation. Tout en lavant son linge, il tente d'en apprendre plus sur les questions qu'on pourra lui poser le lendemain. A cinq heures, les sonneries de téléphone retentissent; Souleymane, comme les autres, cherche un hébergement pour la nuit prochaine par le 115.
Le jour suivant, veille de l'entretien, Emmanuel n'est pas au rendez-vous de la gare du Nord. Souleymane apprend à son travail que le mardi est son jour de congé. Il se rend donc au bout de la ligne de RER où il habite ; l'appelle et le cherche dans la cité, en vain. Souleymane appelle sa mère au téléphone qu'un ami lui passe enfin. Elle ne se sent pas bien et abandonnée. Il supplie Barry de l’attendre pour 20 heures puis finit par attendre le retour d'Emmanuel sur le pas de sa porte. Lorsque celui-ci rentre avec sa compagne, il prend prétexte de la fermeture du compte suite au problème de la cliente ayant refusé le paquet abîmé pour refuser de le payer. Une altercation suit et Souleymane est projeté en bas des escaliers, la pommette et le sourcil en sang. Pleurant heures, il attend Barry qui est dans le RER à Nation qui lui remet de mauvaise grâce les attestations nécessaires à son entretien contre les 40 euros récoltés. Souleymane court pour attraper son bus de nuit qu'il rate d'un rien. Il cherche un lieu pour dormir et le trouve quand s'ouvre une porte cochère. Là, il peut téléphoner à sa petite amie et lui dit renoncer à elle pour son bonheur.
Le matin Souleymane intègre un lieu de secours aux sdf où il peut se laver. Il prend la chemise blanche apportée par Khalil. Il parvient au rendez-vous de l'ofpra et suit l'agente. Il s'emmêle rapidement dans son histoire dont il ne possède aucun élément concret. Il s'écroule et raconte son histoire; celle d’un bon fils, parti chercher du travail en France et qui a subi des sévices avant d'arriver. L’agente de l'ofpra l'informe qu'il aura sa réponse dans un mois.
Souleymane sort, sonné. Sa préparation n'a servi à rien et il sait qu’il ne sera pas régularisé.
L'histoire de Souleymane est un document vraisemblable sur la réalité des livreurs à vélo doublement exploités, par les plateformes et ceux qui profitent de leur situation de sans papiers. C'est aussi un film de faux suspens sur la capacité de Souleymane à obtenir le statut de réfugié politique. Au bout de la course, la chute est inévitable.
Le livreur à bicyclette
Souleymane doit courir après le temps, minute après minute, sur son vélo, face à des clients pour monter dans le métro ou le bus du soir, pour trouver son lit à côté de son ami, pour trouver un accueil de nuit pour lendemain, pour laver son linge ou pour trouver l'argent qui les papiers lui permettant d'asseoir son discours mensonger ou pour échapper aux sollicitations de Khalil, voir pour appeler sa mère au téléphone. Les temps de rencontre avec les autres, dégagé des contraintes immédiates, sont rares : le temps d'un café, d'une rencontre avec un vieil homme, d'une discussion sur leur avenir avec sa petite amie restée en Guinée.
Migrant économique, Souleymane est exploité par la diaspora africaine : Emmanuel qui lui prend un fixe de 120 euros par semaine soit près de la moitié de ce qu'il gagne pour lui louer son compte ou Barry qui lui procure des papiers douteux et des conseils insuffisants, bien loin de l'attention qu'il faudrait pour réussir son entretien. Un monde sans vrais méchants mais des solidarités faibles, une compassion éphémère, sans solution.
C'est surtout sur la performance du filmage à vélo que se concentre l'aspect documentaire; les clients et patrons, les policiers et humanitaires sont des figures conventionnelles trop vite abandonnés pour constituer autre chose qu'une succession de silhouettes entre bons et méchants.
Une chute inévitable
Dans Le voleur de bicyclette (Vittorio de Sica, 1948) auquel le film ne manque pas de faire penser, on trouvait aussi une réalité économique à déchiffrer avec des voleurs qui se volent entre eux et une même fin sans solution. Mais le film ne se prétendait pas un documentaire sur un colleur d'affiche. Ricci faisait tout pour retrouver sa bicyclette même des actes idiots ou répréhensibles (consulter une voyante, gifler son fils, se faire aider par un ami, voler une bicyclette). Ici Souleymane est un héros positif, qui en dépit des difficultés atteint ce qui est supposé être le sujet central du film; avoir ou pas des papiers. En effet, toute l'histoire est montée en flash-back, signe que le point crucial du développement dramatique est cet entretien. C'est bien pourtant sur toute son aventure en vélo que se concentre le film. En effet, modèle de responsabilité, de courage pour éviter le pire, Souleymane ne parvient à son entretien le jour dit que groggy par les coups accumulés et prêt à être cueilli K.O. debout par l'agente de l'ofpra.
L'agente de l'ofpra, malgré sa bonne volonté, ne peut que constater les évidents mensonges de Souleymane. "Votre histoire à vous", elle le pressant, c'est celle des migrants économiques que la loi française refuse d'accueillir. En rajouter avec une mère aimante et folle a une vocation tire-larme inutile. Souleymane a beau être maintenu sur son vélo les quatre cinquième du film; son parcours pour arriver en France est un passé qui pèse plus lourd.
L'odieuse réalité dépasse la fiction car, si Souleymane n'a aucune qualification, l'acteur Abou Sangare possède une qualification dans la mécanique incontestable, diplôme adéquat et emploi et s'est pourtant heurté à trois refus de régularisation. Il est heureux que le film lui ouvre cette fois les portes d'une France trop souvent sans compassion ni même simple rationalité économique aveuglée par une idéologie rance et rétrograde.
Jean-Luc Lacuve, le 17 octobre 2024