Kobe, 1940. Yusaku et sa femme Satoko vivent comme un couple moderne et épanoui Yusaku est à la tête d'une prospère société d'import-export et, passionné par le cinéma, entraine son neveu et employé, Fumio, et sa femme dans la réalisation de petits films amateurs d'espionnage mélodramatiques en super8. La tension grandissante entre le Japon et l’Occident conduit néanmoins l'armée à arrêter l'un des intermédiaires commerciaux anglais de Yusaku. Taiji, chef de brigade dans l'armée, responsable de la police politique de la ville vient l'informer qu'il doit faire attention à ses relations. Yusaku tient d'autant moins compte de l'avertissement qui sait que Taiji et l'ami d'enfance de sa femme et ne voudra à aucun prix lui causer du tort. Il verse ainsi la caution pour le commerçant auquel il permet ainsi de rejoindre Shanghai.
De son côté, Yusaku décide de faire un voyage en Mandchourie occupée pour négocier des achats à bas coûts de tissus, aliments et médicaments. Fumio l'accompagne, bien décidé à profiter du voyage pour filmer ce qu'ils verront. Au retour du voyage, la fête de fin d'année est un triomphe : le petit film de Yusaku, Satoko et Fumio fait un triomphe et chaque employé reçoit une belle prime. La fête est cependant un peu gâchée par Fumio qui déclare vouloir quitter la société pour écrire un roman après ce qu'il a vu en Mandchourie. Yusaku rassure sa femme et lui propose de partir bientôt pour les Etats-Unis.
Bientôt cependant, Satoko est convoquée par Taiji qui lui demande si elle connaît Hiroko Kusakabe qui a été retrouvée assassinée. Il lui apprend que cette femme a été ramenée de Mandchourie par son mari. inquiète sur la fidélité de son mari, Satoko, interroge Yusaku qui lui impose le silence en lui demandant de lui faire confiance.
Satoko, inquiète, va voir Fumio pour qu'il lui dise la vérité. Mais Fumio, sous surveillance politique, lui fait l'éloge de son mari et lui remet à son attention un paquet cacheté...
Le film apparaît artificiel sur bien des points : l'hyper-piqué de l'image 8K, les références au cinéma et la tentative de promouvoir une improbable résistance japonaise pendant la seconde guerre mondiale. Pourtant, le film profite de ces défauts pour resserrer le cadre et l'intrigue sur le seul sujet qui compte pour Kiyoshi Kurosawa : le couple.
Irréalité de l'image 8K
La prise de vue en 8K donne la même impression que les premiers films diffusés en numérique : l’image y est si détaillée que les acteurs ne ressemblent pas à des gens qui vivent à l’époque du film : ils ressemblent à des acteurs qui jouent dans un téléfilm. Selon Kurosawa, le personnel technique de la NHK a vraiment tenté d'atténuer l'artificialité de cette technologie.
Cette image irréelle constitue pourtant un atout pour accentuer l'impression de réclusion mentale dans laquelle s'enferme Satoko. Dès que son mari la quitte pour l'aéroport, elle semble solitaire, le monde cessant d'exister. Sur le port et face à Bob, les décors semblent vidés de personnages et tous jouent assez faux (le capitaine, Bob, les militaires) comme vus au travers du cerveau malade de Satoko. Perdue jusqu'à la folie après le bombardement de Tokyo qui donne raison à son mari mais qu'elle pressent perdu pour elle, Satoko erre, définitivement folle.
Amour du cinéma
Au cours du film, il est fait référence à Sadao Yamanaka, considéré comme l’un des plus grands du cinéma japonais, mobilisé pour la Mandchourie où il décéda, à l'âge de 29 ans. Le titre français du film est une référence aux Amants crucifiés (1954) de Kenji Mizoguchi dont le nom est cité dans le film même si l'action, située en 1941 est bien antérieure, alors que les deux films de cette année 1941, Les femmes d'Osaka et La vie d'un acteur, sont perdus.
Le parallèle entre les deux occurrences du petit film muet en super8 et le documentaire (?) sur les exactions commises en Mandchourie, utilisés deux fois dans un contexte différent, est très bien conçu. Le premier est montré innocemment lors de la fete de fin d'année puis glissé par Yusaku dans sa valise de sa femme pour lui eviter l'arrestation. Le second est non montré dans un premier temps puis montré quand assumé par Satoko, prête à accepter le rôle de traître à la patrie comme son mari.
Le titre japonais, La femme d'un espion, rend compte du centrage du film sur Satoko qui prend conscience des enjeux politiques, connus de son mari, et du point de vu courageux de celui-ci. Yusaku a le rôle ingrat du metteur en scène qui s'efface devant sa star. Il la met en valeur dans cette belle scène de son petit film muet où, en gros plan, Satoko enlève son masque. Le jeu retenu d'Issey Takahashi y est pour beaucoup alors que Yû Aoi est plus expressive jusqu'à la folie finale sur la plage. A aucun moment, il n'a le beau rôle. Un plan vient juste signaler qu'il met la bobine de film dans la valise de sa femme sans que l'on sache alors quil a substituer le film muet à la preuve accablante de l'utilsation de l'arme biologique. En obligeantsa femme à un trajet séparée, il peut alors la dénoncer pour ne pas lui faire prendre le risque d'un imposisble voyage dans un caisson de bois.Auparavant aussi, il avait limité les risques de la participation de Satoko, se contentant d'une belle journée pour achetert avec elle les bijoux et montres qui doivent constituer leur capital sous le joeyux prétexte de leur anniversaire de mariage. Yusaku n'écrase ainsi jamais Satoko d'une quelconque suffisance et c'est ensemble qu'ils vivent leur espoir de partir aux Etats Unis en juillet 1941. Cette fusion du couple, plusieurs fois rappelée, est magnifié au point de laisser dans l'ombre l'inutilité de lancer l'alerte quelques mois avant l'attaque de Pearl Harbor en décembre.
Contexte politique
Le film semble promouvoir l'existence d'une résistance de l'intérieur aux exactions japonaises avec ces quatre personnages que sont Satoko, Yasaku, Fumio et l'infirmière Hiroko Kusakabe. Les cartons de la fin semblent vouloir indiquer qu'il s'agit d'une histoire vraie. Yusaku aurait délivré sa dénonciation pour mourir quelques années plus tard mais les USA auraient fait auparavant, pour le protéger, un faux certificat de décès dont fait part le docteur Nozaki en le croyant mort sur un paquebot indien coulé par des japonais.
Recherches Wikipedia et dossier de presse à l'appui, il semble cependant que seul le contexte historique est véridique : L'expansion japonaise dans l'est de l'Asie commence en 1931 avec l'invasion de la Mandchourie, province chinoise. Créée entre 1932 et 1933 par mandat impérial, l'Unité 731 y était une unité militaire de recherche bactériologique de l'Armée impériale japonaise. Officiellement, cette unité, dirigée par Shirō Ishii et regroupant une centaine de chercheurs, se consacrait « à la prévention des épidémies et la purification de l'eau », mais, en réalité, elle effectuait des expérimentations sur des cobayes humains ou des recherches sur diverses maladies en vue de les utiliser comme armes bactériologiques. Les expérimentations pratiquées au Mandchoukouo (nom de la Mandchourie sous domination japonaise) ont fait entre 300 000 et 480 000 victimes. L'État japonais n’a reconnu son existence qu’en 2002. L'Unité 731 est aujourd'hui reconnue responsable de crimes de guerre et crimes contre l'humanité. L’expansion japonaise se poursuit en 1937 avec une offensive brutale contre la Chine. Le 27 septembre 1940, le Japon signe le Pacte tripartite avec l'Allemagne et l'Italie et intègre ainsi l'alliance militaire connue sous le nom d'« Axe ». Les États-Unis, voulant freiner l'agression japonaise et forcer ses troupes à quitter la Mandchourie et la Chine, imposent des sanctions économiques au Japon. Devant les lourdes pénuries de pétrole et autres matières premières, et motivé par la volonté de remplacer les États-Unis comme puissance dominante dans le Pacifique, le Japon décida alors d'attaquer les forces américaines et britanniques en Asie et de s'emparer des ressources de la région. L'attaque-surprise du Japon le 7 décembre 1941 à Pearl Harbor (à Hawaï) endommage gravement la flotte américaine, empêchant les États-Unis, au moins à court terme, d'interférer avec les opérations militaires japonaises.
Jean-Luc Lacuve, le 13 décembre 2021