Un jeune garçon un peu attardé conduit un tramway sorti de son imagination, dont il reproduit le bruit par une onomatopée locale : "Dodes'kaden, dodes'kaden".
Il part ainsi à la découverte d'un quartier déshérité, reflet négatif du Japon industriel, où cohabitent divers personnages dont chacun possède ses propres caractéristiques, à commencer par la propre mère du garçon, qui prie Bouddha pour sa guérison mentale. Puis, un employé de bas étage persécuté par sa femme ; des ouvriers journaliers qui passent leur temps à boire et, quand l'envie leur prend, à échanger leurs femmes ; un fabricant de brosses impuissant et pourtant père de famille nombreuse d'enfants d'autres hommes du voisinage ; une fille de quinze ans, qui est violée par son oncle chômeur, poignarde le garçon qu'elle aime et pense à se suicider, mais veut garder le bébé dont elle est enceinte ; un clochard et son jeune fils habitant dans une carcasse de 2 CV, le fils finissant par mourir de manque de soins, tandis que le père, idiot, rêve à de luxueuses villas; un ancien industriel qui n'a jamais pardonné à sa femme de l'avoir trompé ; une fille provocante qui passe son temps à attirer l'attention des mâles du voisinage, et encore un vieillard philanthrope qui indique aux cambrioleurs où est son argent et empêche un autre vieillard de se suicider.
Premier film en couleurs de Kurosawa, Dodes'kaden (onomatopée signifiant " tchou-tchou ") est une uvre s'inspirant d'un récit de Shugoro Yamamoto (déjà auteur de Sanjuro), qu'il transpose dans un registre symbolique, qui n'est pas tendre pour le Japon du " miracle économique " dont il montre l'envers de la médaille.
Le film dépeint les bas-fonds, qu'il a déjà décrit dans nombre de ses films (Les bas-fonds, L'ange ivre...). Le quartier est ici extremement pauvre, où les personnages se croisent, se querellent, s'inventent des vies... Dans cette galerie de personnages qui semblent tous plus fous les uns que les autres, le rêve est la seule façon d'échapper à la dureté du quotidien, au manque d'argent, au manque d'avenir...
Kurosawa pousse cette fois au paroxysme ce qu'il avait seulement ébauché dans Les bas-fonds : la folie des habitants est décrite de manière extrement poussée, et dans ce monde profondément individualiste, seuls quelques personnes semblent se préoccuper du sort des autres. La plupart des habitants sont au contraire extrements cruels, se moquant des plus faibles qu'eux. Le quartier se fait ici huis-clos étouffant, chaque être est prisonnier de son image, des ragots qui circulent, de sa condition...
Lorsqu'il dépeint la misère extrême avec le duo père-fils qui vit dans une carcasse de voiture et doit mendier sa nourriture, Kurosawa semble nous indiquer une voie pour s'en sortir : s'évader dans l'imaginaire, comme le père qui ne cesse de penser aux plans et à l'aménagement de leur future maison... Pourtant, l'issue de leur destinée nous montre que Kurosawa ne semble pas croire à ces vertus de l'imaginaire. Le propos se fait extremement pessimiste et confine parfois à la misanthropie.
Dodes'Kaden reprèsente des nombreux changements radicaux dans la carrière d'Akira Kurosawa : c'est son premier film en 5 ans, depuis Barberousse en 1965, c'est son premier film sans Toshiro Mifune après une étroite collaboration et complicité de 17 années, et c'est son premier film en couleurs. En effet, alors que la couleur était largement utilisée par tous les cinéastes du monde, Kurosawa continuait à tourner en noir et blanc, considérant que les pellicules couleur ne donnaient pas encore le résultat qu'il en attendait.
Kurosawa semble alors au Zenith de sa carrière, mais sa santé est fragile, et paradoxalement, le montage financier de ses films reste difficile dans son pays. Sans grandes vedettes commerciales, le film est un échec public cinglant qui déstabilise totalement Kurosawa. Il sombre dans une dépression et touche le fond en attentant à ses jours. Il lui faudra cinq années pour s'en remettre. En mars 1976, c'est une formidable résurrection : Kurosawa reviendra sur le devant de la scène avec un magnifique film soviétique, Dersou Ouzala, lauréat de l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood.
Editeur : Wild Side Video, 2006. 2h35 minutes | Japonais Mono | Nouveau master restauré - 1.33, 4/3 | Sous-titres : Français |
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Bonus :
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