Marcel Marx, ex-écrivain et bohème renommé, vit au Havre où il bénéficie de l'amour protecteur de sa femme, Arletty. Il a fait le deuil de son ambition littéraire et mène une vie satisfaisante dans le triangle constitué par le bistrot du coin tenu par Claire, la boulangerie d'Yvette et celle du marchand des quatre saisons et la gare. L'arrivée des trains constitue en effet une clientèle potentielle pour son métier honorable de cireur de chaussures qui lui donne le sentiment d'être, comme le rappelle le sermon sur la montagne, plus proche du peuple en le servant.
Héla, les clients de la gare ont de trop pauvres chaussures pour les faire cirer. Seul un gangster vient faire cirer les siennes. Juste avant d'être abattu par ses anciens complices il a heureusement le temps de payer Marcel qui s'en réjoui avec son ami et collègue Tchang, le vietnamien qu'il a toujours pris pour un chinois.
Sur le port du Havre, un gardien découvre la nuit que des voix se font entendre dans un container. le lendemain les CRS et la croix rouges sont dans l'attente de l'ouverture du container qui vient d'Afrique avec cinq jours de voyage et deux jours de transit forcés avant un départ initialement prévu pour Londres. Un problème d'ordinateur a bloqué en France ces clandestins dans le container. Lorsque la porte s'ouvre, un jeune garçon noir s'en échappe. Il serait abattu par un CRS si le commissaire Monet ne l'en empêchait.
Marcel se fait jeter comme un malpropre devant un marchand de chaussure et s'en va manger son sandwich sur le port. Il y rencontre le jeune noir en fuite, de l'eau jusqu'à la taille qui espérait être arrivé à Londres. Il lui propose son sandwiche quand il est interpellé par Monet qui recherche aussi le jeune garçon en fuite.
En rentrant chez lui, Marcel découvre sa femme très malade. Yvette les conduit à l'hôpital avec sa camionnette.
Le lendemain, Marcel dépose près du port un sandwich pour le jeune garçon noir en fuite....
Kaurismäki a dit être séduit par la lumière du Havre. C'est bien possible, le nom du commissaire étant une allusion transparente à Claude Monnet. Mais l'architecture de la ville correspond aussi à son cinéma simplifié et sans fioriture à l'image de la ville rectiligne reconstruite par Benjamin Perret... et puis Calais avait déjà été prise pour Welcome. La destruction de la jungle de Calais, le 22 septembre 2009, est regardée à la télévision comme un élément de réalité brute, un élément de stupéfaction que l'humanité de ses personnages va tenter de transformer ; faudra-t-il pour cela en appeler aux souvenirs des temps passés, bien meilleurs, voir même au miracle.
Détestation de la modernité
Marcel Marx, personnage venu de La vie de Bohème, a abandonné ses ambitions littéraires et doit se satisfaire d'une vie qu'il n'ambitionne pas de modifier. C'est un homme avec des problèmes de mélancolie qu'il gère au mieux sous la protection de sa femme qui prend en charge le quotidien. Pour Marcel, ce quotidien demeure poétique grâce à ses souvenirs, ceux de la grandeur ancienne de la classe ouvrière ou d'une noblesse de la misère qui lui fait évoquer les saintes écritures (les saintes écritures) et se comporter dignement, sans se plaindre, comme autrefois Chaplin.
La brutalité du monde contemporain (CRS assassins, préfet hors de ce monde) s'efface pour lui derrière le monde plus humain des années 60 : le commissaire solitaire en R16, une 403, des curés en soutanes ou des téléphones en bakélite à cadran.
Dans ce monde poétisé, il est toujours possible de faire appel à la gentillesse ou au miracle. Celui-ci intervient entre deux infirmières qui semblent pouvoir faire basculer le destin ou sous la forme d'un cerisier qui refleurit.
Cette poésie désuète est soutenue par des acteurs qui semblent ne jamais être sortis de leur passé poétique, de Jean-Pierre Leaud à Pierre Etaix aux souriants Kati Outinen et Little Bob et aux toujours formidables Daroussin et Wilms.
Jean-Luc Lacuve le 22/12/2011.