A 26 ans, Old Dolio, jeune femme effacée et renfrognée, vit toujours avec ses parents, Robert et Theresa, à Los Angeles. Ensemble, ils forment un gang de marginaux qui parviennent à subvenir à leurs maigres besoins par de modestes arnaques. La plus systématique consiste à ce qu'Old Dolio s'introduise dans le local des boîtes postales en évitant par des contorsions savantes les caméras de surveillance. Elle dérobe alors le courrier destiné à d'autres en le retirant des casiers voisins au moment de la distribution. Le butin est souvent très maigre ; une peluche, une cravate, un mandat de 20 dollars.
Ils tentent aussi d’apitoyer les bourgeois d’un quartier riche en leur rendant une montre perdue. Mais ceux-ci se montrent plus radins que prévus et ne donnent à Old Dolio qu’un chèque-cadeau pour un massage gratuit. Son père et sa mère lui ordonnent alors d'obtenir un remboursement partiel chez la masseuse. Celle-ci ne s'en laisse toutefois pas compter et Old Dolio accepte de se faire masser vingt minutes. Elle est tellement nouée que la masseuse ne peut poser la main sur elle sans qu'elle se rétracte. Ses parents interrompent la séance et n’obtiennent pas davantage un quelconque échange.
Ils rentrent vite chez eux en se contorsionnant pour passer inaperçus derrière la palissade de l'usine. Mais leur propriétaire, Stovik, les a repérés. Heureusement victime d'une maladie qui l'oblige à l'empathie avec le malheur des autres, Stovik ne peut que se montrer conciliant, jusqu'au lendemain toutefois. La famille rejoint ainsi le local au sous-sol d'une usine dont le système d'étanchéité défaillant fait suinter une substance rosâtre et baveuse à heures régulières qu'ils doivent ramasser au saut et porter dans les toilettes.
Le lendemain, ils passent devant l’usine et remettent leur pauvre butin de la veille. Stovik, exige 1500 dollars pour dans quinze jours. Une jeune femme enceinte propose alors à Dolio d'assister à sa place à la séance pour parents modèles qu’exige son assistante sociale et d’en ramener la feuille de présence pour vingt dollars. Dolio est bouleversée par l’image de l’enfant avançant tout seul vers le sein sur le ventre de sa mère. Le soir, alors qu'elle vient de gagner un concours pour aller à New York, elle propose en vain à sa mère d'y aller à deux, connaissant la phobie du père pour l'avion.
Le lendemain, dans le local de la poste, une caméra de surveillance et le remplacement des serrures des boîtes aux lettres, privent la famille de leurs maigres ressources. Old Dolio conçoit alors un plan : ils vont aller ensemble à New York. Mais, au retour, ils voyageront séparément et les parents embarqueront la valise de la fille qui demandera alors un remboursement à l'assurance de 1575 dollars. Le plan se passe comme prévu mais les parents ont si peur des turbulences dans l'avion qu'ils bavardent avec une jolie inconnue ingénue, Melanie, qui veut les rejoindre dans la course aux arnaques. Elle est fan des Ocean's eleven et s'ennuie comme assistante d’un ophtalmologue.
Old Dolio refuse cette intrusion qui lui semble inutile. Pendant qu'elle s'explique avec ses parents, Melanie va aux toilettes, non éclairées et subit la conversation de sa mère qui regarde la télévision où un vieil homme est surpris d'apprendre le prix de son rocking-chair. Melanie propose alors aussitôt à la famille de suivre son plan à arnaques. Elle se rend chez une vieille cliente en lui présentant sa "famille" et tente de lui extorquer la vente de vieux objets britanniques qu'elle conserve. Robert préfère lui voler un chèque que Dolio, experte en calligraphie, signe pour un montant de 650 dollars (plafond avant demande de confirmation bancaire). Melanie est offusquée par ce vol qui, comme Portoricaine, la met en danger d'être expulsée. Elle va s'en aller quand Dolio la retient et lui soigne sa main dont elle vient par inadvertance d’abimer un faux ongle rose.
Muni de cet argent, Robert se contemple dans la glace d’un vendeur de jacuzzi. Melanie dit à quel point elle aime ce délassement. Ils rentrent dans le magasin et, devant l'enthousiasme de Melanie, Robert achète un jacuzzi avec une avance de 150 dollars. Il prend la précaution de demander s'il pourra le retourner s'il ne lui plait pas.
Du coup, une autre visite de client âgé est prévue; il s'agit cette fois d'un vieil homme mourant. Celui-ci demande à ce que la famille fasse comme si elle était la sienne. Dolio et Theresa se prennent au jeu ; pas Robert qui entreprend de fouiller la maison pendant qu’il envoie Dolio éponger le mur de leur sous-sol. Celle-ci en est meurtrie. Chez elle, elle découvre le chèque de 1575 euros versé par l'assurance. Elle va assister à une nouvelle séance de parents modèles où elle révèle à quel point l’absence d’amour de sa mère la traumatise.
Pendant ce temps là, Robert a installé le jacuzzi et, en accord avec sa femme, se tient prêt à satisfaire ainsi tous les désirs supposés de Melanie pour qu'elle les accompagne ensuite pour d’autres coups. Alors qu'il se déshabille devant elle, Melanie comprend l’ineptie de leur conception de la vie et s'apprête à s’enfuir quand surgit Dolio. Revenant de la séance de parents modèles, elle est profondément amère du manque d'amour reçu de ses parents depuis 26 ans. Elle exige que, pour l’argent de l'assurance, sa mère l'appelle pour une fois "chérie", qu'elle regrette de ne pas l’avoir portée bébé sur son ventre, qu'elle prenne soin désormais de sa fille le matin et la laisse libre de danser quand cela lui plait. Theresa, bloquée par sa demande précise et soudaine, refuse. Melanie prend alors la main de Dolio et s'enfuit avec elle, promettant que, pour les 1575 dollars, elle saura répondre à son attente.
Après l’avoir appelée "chérie", ce qui met mal à l'aise Dolio, surtout qu'elles dorment dans la même chambre, Melanie lui présente au matin les pancakes du petit déjeuner. Dolio veut mimer la naissance en sortant d’un placard sombre mais Melanie lui propose autre chose. Se rappelant du local des toilettes sombres du premier soir après l'aéroport, elle y entraine Dolio. A peine la porte refermée, un tremblement de terre intervient. Dolio panique et se croit mourir dans l'instant en hallucinant des étoiles dans le noir au-dessus d'elle. Elle dit accepter de mourir puisque rien ne vaut la peine d'être vécu pas même sa relation avec Melanie puisqu'elle avait l’intention de la voler. En sortant en pleine lumière, Dolio est surexcitée d'être en vie et s'apprête à tout acheter dans le magasin adjacent. Melanie, déçue des intentions de vol de Dolio, l'en empêche. Elle va s'en aller quand elle voit Dolio ramper vers elle comme un bébé demandant sa tétée.
Les deux femmes s'en retournent chez Melanie pour accomplir le dernier souhait, une danse. Celle-ci à peine finie, on frappe à la porte : ce sont les paquets cadeaux d’anniversaire apportés par les parents qu'elle n'a pas reçus de ses un an à ses dix-huit ans. Le dernier est une invitation au Melisse de Santa Monica, un des restaurants les plus chics de la ville. Les parents s'y montrent charmants et offrent un collier à Dolio et raccompagnent les filles chez Melanie. Dolio est décidée à revenir avec eux le lendemain. Melanie pressent une arnaque et regarde si les 1575 dollars sont toujours cachés dans le placard électrique. S’ils n’y sont plus, Dolio restera avec elle bien entendu. Il se pourrait aussi qu'il ne reste plus que 525 dollars, signe qu'ils lui laissent sa part ; c'est-à-dire aussi sa liberté. Les 1575 dollars y sont et Dolio se réveille donc le matin prête à partir. Elle découvre alors que les parents ont volé tout ce qu'il avait à voler dans la maison, désormais completement vide et bien entendu les 1575 dollars. Dolio et Melanie, d’abord effondrées en rient puis s'embrassent.
Les parents ont toutefois laissé les cadeaux d'anniversaire. Dolio et Melanie vont dans le magasin se les faire rembourser. Le total fait 485 dollars. Melanie saisit alors le collier que Dolio a reçu la veille au restaurant : le total passe à 525 dollars. Dolio est libre ; elle se laisse tendrement embrasser par Melanie.
Old Dolio, 26 ans, suit un parcours initiatique qui lui permet de sortir d'un état où tout est bloqué, figé par des parents sans sentiments, enfermés dans un mode de survie qui les tient à l'écart du monde aussi sûrement que le sont à l'autre extrémité du spectre économique les Kajillionaires (mot d'argot américain désignant les gens immensément riches ; combinaison possible du son «ka-ching», souvent utilisé pour une caisse enregistreuse à l'ancienne, avec un milliard ou un billion).
Le corps et le cosmos
Miranda July, dans ses performances aussi bien que ses films, présente toujours des éléments singuliers, presque dérangeants tant la présence du corps est forte. Ici la première d’entre elles est la séance de massage où il est impossible de poser la main sur Dolio tant elle se contracte au moindre contact. La masseuse, jeune femme imposante et solide, se contente alors de passer ses mains à quelques centimètres au-dessus de son corps. Dolio en sort bouleversée dans un plan magnifique où elle est filmée au premier plan, en larmes, alors que ses ignobles parents entrent dans la profondeur de champ pour écourter la séance et la faire revenir vite éponger la mousse de la maison.
Plus corporelle encore, la vidéo de la tétée où, en gros plan, un bébé rampe sur le corps de sa mère pour ouvrir la bouche sur son sein. Cette scène primitive est déclinée ensuite durant le film avec la question (ventre ou berceau) dans l'avion, la demande de pouvoir la refaire à nouveau, refusée par la mère puis tentée par Mélanie dans les toilettes avant que Dolio, en guise de demande de pardon et de supplique amoureuse, la pratique à même le sol de la station service.
Si le corps doit se libérer et exister, cette libération passe par une vraie secousse cosmique, ici mise en scène par le tremblement de terre et la vision des étoiles dans le ciel des toilettes de la station service. Miranda July parvient à combiner le plus trivial et le plus spirituel par un accord qui passe par la plénitude du corps et de l'esprit.
Le chemin vers la tendresse
Les parents de Dolio ont tenté de l'assécher pour qu'elle devienne un instrument sans âme ni corps à leur service. Son prénom, lourd à porter, n’est que l’espoir d’être aussi chanceuse que le vieil sdf, Old Dolio, qui gagna le gros lot de la loterie nationale. Old Dolio cache ainsi ses émotions derrière ses longs cheveux et son corps dans un survêtement trop ample. Le corps d'Old Dolio qui doit exécuter les acrobaties les plus complexes pour esquiver les caméras de surveillance, adopter les postures les moins naturelles, est ainsi modelée selon les diktats du mode de survie permanent imposé par les parents. Old Dolio gomme toute expression corporelle personnelle, y compris sa propre voix, qu’elle masque dans une neutralité extrême.
Robert et Theresa ne perdent pas une occasion pour rabaisser leur fille (oubli du plan B, pas de diplôme, pas de distinction…) alors qu’ils ont une idée stéréotypée et grotesque des désirs féminins. Sans doute croient-ils sincèrement que, pour s'attacher les services de Melanie dans leurs prochains coups, ils vont combler ses désirs en lui offrant une séance de jacuzzi et de sexe.
Avant le tremblement de terre cosmique, Dolio connaît des moments d'épiphanie : la tétée mais aussi la vue sur la skyline de New York, la séance de manucure dans le restaurant, révélation amoureuse, et l'envie d'une vie de famille normale exprimée dans la maison du mourant. Là, alors qu'elle se prend à rêver de pouvoir dire comme tout le monde "Je vais sortir la tondeuse du garage", elle est ramenée à la mesquine réalité par son père.
Dolio cherche aussi par elle-même sa libération en retournant à une séance de "parents modèles" où elle exprime sa souffrance d'avoir vécu sans amour maternel. Elle en revient avec un dossier sur ce qu’un enfant peut attendre de ses parents qu'elle présente comme preuve accablante de sa détresse à ses parents et que Melanie va prendre en charge.
La fin peut paraître un peu conventionnelle : le baiser entre les deux femmes pouvant préfigurer une vie de couple normative. Mais ce serait faire un procès excessif au film qui décrit d’abord une libération, une plénitude du corps et de l’esprit dans une tendresse qui semblait inaccessible à cette adolescente tordue et desséchée par ses parents.
Jean-Luc Lacuve, le 17/10/2020 (après la séance de ciné-club du 8/10)