Hitchcock/Truffaut

2015

Cannes Classics Avec : Martin Scorsese, David Fincher, Arnaud Desplechin, Wes Anderson, James Gray, Richard Linklater, Olivier Assayas, Kiyoshi Kurosawa, Peter Bogdanovich, Paul Schrader. 1h20.

En 1962, Hitchcock et Truffaut s’enferment pendant une semaine à Hollywood pour mettre à jour les secrets de la mise en scène au cinéma. Les enregistrements originaux de cette rencontre servirent à élaborer le livre mythique : Le Cinéma selon Hitchcock

La séquence du couteau entre Sylvia Sidney (Sylvia Verloc) et Oscar Homolka (Carl Verloc) dans Sabotage. "Pourquoi vos films ne vieillissent-ils pas ?" demande Truffaut à Hitchcock ? Comme celui-ci ne fait que reprendre la question, dubitatif, Truffaut répond : "Parce qu'ils sont rigoureux. Ils ne rapportent pas les caractéristiques du moment mais sont faits par rapport à vous-même".

Un livre libérateur

En 1966, Truffaut publie son livre Hitchcock/ Truffaut. David Fincher se souvient du livre dans la bibliothèque de son père et de ce découpage de Sabotage expliqué sur deux pages. Pour Wes Anderson le livre, à force d'être consulté, n'est plus que feuilles volantes.

Révélation pour James Gray : un cinéaste qui parlait de son travail et pour Paul Schrader et David Fincher : on est vraiment en train de parler du métier. Pour Olivier Assayas, c'est une pièce essentielle de l'œuvre de Truffaut. Pour Peter Bogdanovich, Hitchcock est alors pris au sérieux. Pour Martin Scorsese, c'est la fin de la dictature de l'establishment sur ce que devait être le vrai cinéma. Nous nous sommes radicalisés comme cinéaste : oui, on peut y aller.

Le parcours des deux cinéastes

En 1962, Hitchcock a 63 ans. Il est très connu notamment pour ses apparitions à la télévision. Il est acclamé comme le maître du suspens. Il a terrorisé le monde entier avec Psychose. Il venait de terminer son 40e film, Les oiseaux. Truffaut, deux fois plus jeune, n'a alors fait que trois films mais il est universellement reconnu et apprécié.

Truffaut écrit une lettre à Hitchcock pour lui proposer d'analyser en profondeur l'ensemble de son œuvre (correspondance en français). Hitchcock accepte le principe d'une interview de huit jours que Truffaut prépare avec le même soin que s'il s'agissait de préparer l'un de ses propres films. Truffaut et son interprète logent au Beverly Hill hôtel et se rendent chaque matin au studio Universal où on parlait cinéma jusqu'au soir y compris en déjeunant. Le photographe Philippe Hallsman témoigne de cette rencontre par ses clichés en noir et blanc.

L'approche du cinéma par ces deux cinéastes ne se ressemble pas mais tous les deux vivent par et pour le cinéma. Hitchcock est né en même temps que le cinéma qui est pour lui lumière ombre; c'est la lumière qui crée une scène. Il s'est d'abord spécialisé dans l'écriture des intertitres des films muets puis dans les scenario, la production puis la réalisation. Il a alors pour assistante sa future femme, Alma Réville (extraitd'un film familial en super8)

David Fincher est impressionné par ses idées tel le plafond en verre. Son cinéma est amusant et magique. Pour Anderson, Hitchcock expérimente et fourmille d'idées. Hitchcock réalise le premier film britannique parlant puis, en 1934, son premier film 100% Hitchcock, L'homme qui en savait trop (extrait Hitchcock intime jouant avec sa fille)

Truffaut déclare à quel point Hollywood le tentait. Pour Kiyoshi Kurosawa, grâce au cinéma américain il est devenu Hitchcock et grâce à Hitchcock le cinéma américain est devenu ce qu'il est. Dans les années 40, il réalise quelques-uns de ses meilleurs films mais il décolle dans les années 50 (bandes-annonce publicitaires). Pour Martin Scorsese, il envoute les années 50 et 60.

Truffaut commence comme critique et, pour lui, la sortie d'un film d'Hitchcock est aussi importante que celle du dernier livre de Gide ou Aragon. Hitchcock fait partie de ce nouveau panthéon des vrais artistes : ceux qui écrivent avec leur caméra, les auteurs. Ce principe d'individualisation totale fait que, selon les mots de Truffaut, "le plus mauvais film d'Hitchcock est plus intéressant pour nous que le meilleur film de Delannoy".

Olivier Assayas : Le cinéma prend conscience de lui-même, se mettre en danger, se révéler, révéler ses peurs, ses passions (extraits de Vertigo, La taverne de la Jamaïque). Desplechin est fasciné par la terreur qui hante le cinéma de Hitchcock ; pas de différence entre ce qui le fait vibrer de peur et d'amour.

Hitchcock a souvent raconté l'anecdote du commissariat dans lequel il fut enfermé enfant mais Truffaut a vraiment été emprisonné, ce que révèle Les 400 coups, très autobiographique. Truffaut est viscéralement attaché à la liberté. Bazin l'a adopté et fait entré aux Cahiers du cinéma. Il va se trouver d'autres pères de cinéma : Renoir, Rossellini et Hitchcock. Hitchcock avait libéré Truffaut et Truffaut avec son livre veut libérer Hitchcock de sa réputation d'amuseur.

Les enregistrements de 1962

Mise en place des enregistrements ("On the air", "Nous sommes sur mer" traduit Edith Scob). Truffaut interroge : "Avec vos films, les gens prennent du plaisir mais font semblant de ne pas être dupe. Ils bouderont leur plaisir. Ils irritent les critiques qui vous trouvent désinvolte à l'égard de la vraisemblance". Hitchcock sait qu'il doit perpétuellement déjouer l'attente du public : "Ils disent montrez-moi" et moi je leur dis : Êtes-vous sur ?" Ce qui est logique est ennuyeux.

Truffaut interroge : est-ce qu’on peut définir le suspens ? Le suspens, c’est quand on a peur ; ce qui est faux n'est-ce pas ? Oui répond Hitchcock. Dans Easy vertue (1927), le jeune homme fait sa proposition en mariage et la jeune fille promet de répondre de chez elle douze heures plus tard au téléphone. C'est sur le visage de la standardiste, 12 heures plus tard que le spectateur attend la réponse : à la fin, elle rit et est soulagée. Le suspens n'est pas toujours causé par la peur.

David Fincher : La mise en scène la plus simple et la plus dépouillée Les oiseaux jouer avec l'espace pour s'en servir, jouer avec la durée ou comme le dit Truffaut la dilation du temps, étirer le temps ou le télescoper Truffaut l'enfant rencontre dans la rue sa mère avec un homme qui n'est pas son père : l'intention est que els deux se sont vu l'un et l'autre

Olivier Assayas : Truffaut n'est pas un styliste concision vitesse Hitchcock mais pas le sens mathématique de son espace. Wes Anderson aime la précision graphique. Peter Bogdanovich le confirme: il voit le film dan sa tête. Pour Richard Linklater les images viennent toutes seules et il ne se pose pas de question, on ne sent jamais le manque de confiance. Ses choix fonctionnent toujours

Pour Kiyoshi Kurosawa, il plait au grand public mais est à l'avant garde du cinéma (verre de lait de soupçon, avec extrait du livre). C'est une attitude que je devrais avoir, presque une bible mais je me suis interdit de l'imiter formellement. Dans Les enchainés, la scène du baiser est démoniaque. Hitchcock filme seulement le visage et on ne sait pas ce qui se passe avec leur corps. Wes Anderson sait qu'ainsi le charme ne sera pas rompu. Et Hitchcock le dit : Il a ainsi offert au public le privilège d'embrasser ensemble Cary Grant et Ingrid Bergman dans une sorte de ménage à trois temporaire. Il mettait les acteurs mal à l'aise mais Hitchcock leur disait : "Je me fous de ce que vous ressentez ce qui m’intéresse ce que ça donnera à l'écran"

David Fincher s'interroge sur la nécessité pour Hitchcock de tourner avec des stars, de montrer des visages connus. Martin Scorsese sait que dans La loi du silence, Hitchcock se moque du ressenti des acteurs. Hitchcock raconte combien il a du insister pour que Monty regarde vers l'hôtel en face du palais de justice. Ce n'est pas le ressenti de l'acteur qui doit déterminer la mise en scène. Pour moi, tous les acteurs sont du bétail conclut Hitchcock.

Pour David Fincher, le jeu de l'acteur est important mais revoie à un langage dont rend compte la structure du film. Hitchcock creuse la psychologie des personnages plus que n'importe qui justement parce qu'il interdit à l'acteur de se laisser déborder par ses sentiments

Sur un extrait de Que la lumière soit, Martin Scorsese indique que la guerre avec la paranoïa et les interrogations suscitées a aussi entrainé une rupture dans la façon d'interpréter au cinéma. L'acteur est devenu l'élément principal dans la façon dont son corps personnel s'exprime à l'écran. Les acteurs d'Hitchcock venaient d'une autre tradition. David Fincher pense qu'il aurait été impossible à Hitchcock de demander à un acteur moderne de s'exprimer dans un carcan où on lui dit exactement ce qu'il doit faire dans les 3,5 secondes qui viennent.

Truffaut a trouvé une forme intermédiaire dans le fait de parler avec les acteurs le soir et d'utiliser leurs propres mots pour écrire ses dialogues du lendemain. "C'est plus vivant" dit-il à Hitchcock qui trouve néanmoins cela dangereux pour la courbe du film. La courbe montante de l'histoire ne permet pas aux acteurs de creuser leur personnage car les acteurs vous entrainent alors autre part.

Hitchcock artiste métaphysique et onirique

David Fincher l'affirme, Hitchcock adapte l'histoire à son style. Il trouvera des péripéties qui mènent à une chute vertigineuse. Pour Olivier Assayas, Hitchcock aime transformer le scenario. Il invente une clarté dans l'écriture qui capte de l'invisible pour produire une sorte de spiritualité. Pour Martin Scorsese, Les oiseaux comporte une dimension apocalyptique, une purification de la terre. La plongée exprime le point de vue de Dieu. Dans de nombreux films, la plongée à une dimension religieuse.

Questions de Truffaut : "Acceptez-vous d'être considéré comme un artiste catholique ? Hitchcock répond par un bref ; "Coupez !" Puis "Je sens l'odeur du péché originel". "-Yes" et encore "Je sens dans votre travail, le sens d'une culpabilité des hommes. Quelqu'un a toujours quelque chose à se reprocher auquel Hitchcock répond par un malicieux "Tu peux ignorer la religion mais Dieu te retrouver toujours"

Desplechin et Scorsese analysent Le faux coupable comme un transfert de culpabilité : on me prête un crime que je n'ai pas commis mais suis-je innocent ? On vibre d'empathie pour chaque geste, chaque objet. Tout le désigne comme coupable et on sait qu'il n'a rien fait. Formidable scène de la prière. Les inserts sur les éléments banals de la prison indiquent le sentiment d'oppression du personnage ; avec la prière muette, le coupable apparait en surimpression. Pour Desplechin, le mal c'est que l'homme innocent soit condamné. Le méchant n'est qu'un des agents du mal.

"Vous rêvez très souvent" Demande Truffaut "Non", le rêve éveillé alors seulement car le péril et la solitude tiennent une grande place" et Hitchcock de répéter : "je ne suis pas doué pour l'ordinaire".

Paul Schrader voit dans les objets fétiches d'Hitchcock (clé, menottes, corde...) une charge freudienne. Olivier Assayas confirme, hyper-perception des objets comme élément éléments essentiels de mise en scène avec, le souligne Desplechin, une charge de mystère : on ne sait pas ce que ça signifie. Ainsi dans L’homme qui en savait trop (1935), la mère tombe lentement avec, en surimpression, un train lancé à grande vitesse ; insert sur le pin's représentant un skieur puis un élargissement du champ sur la fillette devant ce qui semble être la fourrure d'un animal avec évocation de La belle et la bête. Après quelques instants, un nouvel élargissement du champ indique une simple fourrure. Hitchcock a connu le cinéma sous sa forme la plus pure avec le cinéma muet; Hitchcock regrette que l'on ait abandonné le cinéma pur avec le son.

Penser visuellement avec une sensibilité onirique, c'est le secret perdu du cinéma muet pour Desplechin. Richard Linklater est convaincu que son cinéma fonctionnerait même s'il passait en muet. Pour Martin Scorsese, la transparence a une fonction complexe  ; ce n'est pas objectif. Ce qu'appuie Desplechin : le monde qui figure sur la transparence est comme une toile de rêve

Vertigo et Psychose

Truffaut questionne Hitchcock sur Vertigo, plus poétique que dramatique avec les efforts que déploie un homme pour créer une femme à partir d'une femme morte.

David Fincher y trouve confirmation qu'un cinéaste ne peut rien cacher ce qui nous effraie ; "Je vais me laisser aller" a du se dire Hitchcock établissant un lien direct à son inconscient : "Cet homme veut créer une image sexuelle de celle avec qui il veut coucher, explique Hitchcock, métaphoriquement il s'abandonne à une forme de nécrophilie. En revenant de la décoloration, Judith n'a pas fait le chignon. Elle s'est déshabillée mais elle n'a pas enlevé sa petite culotte. Cary Grant attend qu'elle ressorte nue. Pendant qu'il regarde la porte, il a une érection." dit Hitchcock qui s'empresse de dire "Coupez" après cette déclaration.

Pour David Fincher dans cette histoire perverse le point de vue le plus intéressant est celui de la femme. Point de vue presque plus honnête alors que Scotie qui représente le point de vue d'Hitchcock. Vera Miles était tombée enceinte. Hitchcoc a surmonté sa frustration avec Kim Novak avec laquelle il est allé beaucoup plus loin.

Martin Scorsese se souvient que, dans son cercle, le film était introuvable. Tout le monde en voulait une copie même en 16mm. Mais le film déçu Hitchcock car il rencontra peu de succès public et critique. Il l'attribue au trou dans l'histoire ; comment pouvait-on savoir que Scotie ne grimperait pas au sommet ?

Pour David Fincher, la mécanique fonctionne mais le sous-texte remonte jusqu'à prendre la place du texte. Martin Scorsese ne prend pas davantage l'intrigue au sérieux. C'est un fil sur lequel on peut accrocher des choses, les formes poétiques du cinéma ainsi de la filature, du mystère des vieux quartiers de San Francisco et surtout du tableau dans le musée. Hitchcock ne film pas le regard de face de Kim Novak mais le regard de Stewart sur ses cheveux qui sont semblables à ceux du tableau. Pour Martin Scorsese, le film est universel parce qu'il cherche à combler un vide et nous met face à notre propre sentiment de perte ou de mélancolie. La question du désir tour le monde comprend ça, affirme Fincher. Le moment ou elle sort de la salle de bain le plus beau moment du cinéma un fantasme mais pour lui c'est réel. Le baiser est extraordinaire renchérit Scorsese, Scotie a un peu de satisfaction et après il faut partir ; être vivant et vivre avec la peur, celle de notre condition humaine. On a l'impression de vivre le temps d'une vie avec lui.

David Fincher s'afflige de la réputation de mauvaise réception attribuée à Vertigo en se basant seulement sur les trois premiers mois d'exploitation lors de sa sortie.

Hitchcock s'intéresse au public car, pour lui, le cinéma est le plus grand mass-média du monde. Olivier Assayas confirme que l'érotisme, les émotions troubles et obscures sont transmises d'une façon acceptable par tous les publics dans le cinéma d'Hitchcock. Pour Arnaud Desplechin, tous les cinéastes de cette époque sont sensibles au fait de plaire à leur public mais Hitchcock a un dialogue intime avec le public : il vit le film avec le public et pour le public. Scorsese s'attriste que l'on ne peut plus jouer avec le spectateur comme avant avec ces explosions toutes les deux secondes et les hyperboles. Il est plus difficile pour le metteur en scène de faire accepter sa version de l'histoire, de jouer avec la structure narrative pour en accentuer ou atténuer les effets.

Psychose est inspiré d’un fait divers et n'a couté que 800 000 dollars mais, pour Hitchcock, il s'agit surtout jouer avec le spectateur comme d'un orgue. Pour Scorsese, dans la première scène : tout est dans le soutien-gorge. Les scènes avec le Texan sont banales comme un pont pour mener au prochain point culminant, celui du ralentissement dans la chambre où l'argent est étalé et où il joue avec l'attente du spectateur sur ce que va faire Marion. En suscitant des interprétations en attente (Scènes de conduite au cadre parfait), en retenant la solution,  l'explosion qui suivra aura plus d'impact. Marion vole, s’enfuit, éprouve des remords, le type du motel lui raconte ses problèmes. Et toutes les attentes sont totalement bouleversées avec la scène de la douche et ce moment ou le pommeau fait un angle étrange laissant apparaitre une silhouette derrière le rideau.

Peter Bogdanovich se souvient du hurlement de la foule comme si elle ne voulait pas voir mais ne pouvait pas s'en empêcher. Le public était sous le choc, incapable de comprendre ce qui s'était passé. Pour la première fois, aller au cinéma était dangereux. Hitchcock confirme qu'il lui fallu sept jours de tournage pour cette séquence très découpée... Où il ne fallait pas montrer les seins de l'actrice.

Cette petite histoire préfigurait beaucoup de choses pour le cinéma (Richard Linklater,). Hitchcock rompt avec ce qu'on attend. Le Vietnam, la révolution mondiale n'y sont sans doute pas étrangers. On aimerait que tout soit net mais la vie n'est pas comme ça (Scorsese). Hitchcock se dit satisfait que le film ait eu un tel impact sur le public : notre art a provoqué une émotion de masse. Elle n'est pas due à un roman très apprécié mais un pur effet de cinéma. L'utilisation de la mise en scène a crée une émotion. Ma fierté est que le cinéma appartienne aux cinéastes, à vous et à moi

Philippe Halsman prend les photos sous la direction de Hitchcock, volontiers facétieux dans el choix des poses.

Conclusion

La conversation, commencée en 1962, s'est développée bien au-delà du livre. Hitchcock et Truffaut s'écrivent et se téléphonent constamment, se donnent à lire leurs scenario, voient les films de l'autre

Après 1966, Hitchcock réalisera trois films en tout et pour tout. Il était taraudé par des questions : "Aurais-je du travailler sur le récit ou les personnages de façon plus expérimentale ? Ne suis-je pas devenu prisonnier de mon propre style? Peut-on prétendre être artiste quand on travaille à Hollywood ?"

En 1979 la remise de l’oscar donne lieu à un discours de Truffaut "en Amérique on dit "Hitch" en France "monsieur Hitchcock". Quinze jours après la cérémonie, Hitchcock est rentré chez lui après avoir renvoyé son personnel sachant qu’il ne tournerait plus.

Truffaut est mort à 52 ans, quatre ans après Hitchcock ; ce qui était impensable mais non sans avoir revu et corrigé une dernière édition du Hitchcock/Truffaut.

Enregistrement de 1962. Truffaut : "Entre vos personnages, se crée un fossé, un secret qui enserre tant qu’il n'est pas révélé puis qui, lorsqu'il s'explique, libère les personnages. Vos films cachent ainsi sous des histoires policières des dilemmes moraux". "Oui" approuve Hutchcock. "Et bien, ce sera ma conclusion".

Le film est assez touffu et donne d'abord l'impression qu'il n'apprendra vraisemblablement rien aux connaisseurs de l'œuvre d'Hitchcock et ne révélera rien de sa place dans l'histoire du cinéma aux non spécialistes. Les interviewes de grands cinéastes contemporains sont trop découpées (une trentaine de séquences saucissonnées, chacun intervenant deux ou trois fois en 1h20 !) pour saisir l'originalité des propos. Pas certain non plus que le plan tel que nous avons tenté de l'indiqué au-dessus nos intertitres soit très lisible.

Pourtant de nombreuses remarques sont bienvenues. Ainsi l'équivalence pour Hitchcock de ce qui bouleverse, l'amour ou la crainte, et la nostalgie de devoir se passer de l'un et l'autre au bout du chemin de Vertigo. L'intensité de l'émotion est liée au fait que, dans ses films tout  est ramené à ses émotions personnelles. Comme le remarque Truffaut au début : "Vos films ne rapportent pas les caractéristiques du moment mais sont faits par rapport à vous-même". La direction d'acteurs obéit à ce même principe inflexible : Hitchcock creuse la psychologie des personnages plus que n'importe qui justement parce qu'il interdit à l'acteur de se laisser déborder par ses sentiments. Ce n'est pas le ressenti de l'acteur qui doit déterminer la mise en scène. "La courbe montante de l'histoire ne permet pas aux acteurs de creuser leur personnage car les acteurs vous entrainent alors autre part (....) Pour moi, tous les acteurs sont du bétail" conclut Hitchcock.

L'amour et la crainte sont abordés sous des angles très spéciaux, "pervers" par Hitchcock. L'érotisme, les émotions troubles et obscures sont transmises d'une façon acceptable par tous les publics dans le cinéma d'Hitchcock. En témoigne l'analyse du chignon-petite culotte de Vertigo, du rôle du soutien-gorge de Janet Leigh dans la première séquence de Psychose. La dimension catholique et onirique de son cinéma se manifeste surtout dans Le faux coupable et Les oiseaux et, plus généralement, avec les plans en plongée.

Les extraits de films, magnifiquement restaurés, concourent à démontrer la puissance d'un cinéma d'auteur qui selon, les termes de Truffaut ne peut vieillir puisque centré sur le style de l'homme et non celui de l'époque.

Jean-Luc Lacuve le 18/11/2015