Juste sous vos yeux

2021

(Dangsin-eolgul-apeseo). Avec : Lee Hye-young (Sangok), Kwon Hae-hyo (Jaewon), Cho Yun-hee (Jeongok), Shin Seok-ho (Le neveu), Saebyuk Kim (Sa compagne), Young-hwa Seo, Lee Eun-mi. 1h25.

Sangok se réveille tôt dans un appartement aisé du centre de Séoul. Inspectant son ventre de ses mains, elle se réjouit intérieurement de ne pas souffrir et pouvoir profiter de chaque minute qui passe et de n’avoir à accorder de l’importance qu’à à ce qu'elle a sous les yeux sans se préoccuper du passé ou du futur. Elle va dans la chambre de sa sœur, Jeongok, qui l’a accueillie la veille mais qui dort encore.

Quand Jeongok vient retrouver Sangok au salon, elle lui raconte avoir fait un beau rêve durant la nuit et lui propose de prendre le petit-déjeuner dans l’un des endroits qu'elle préfère de Séoul.

Les deux sœurs passent donc une agréable matinée dans l'attente du déjeuner. Elles évoquent un projet immobilier au petit-déjeuner. Jaewon est stupéfaite de savoir sa sœur sans économies conséquentes qui lui permettraient d'acheter un appartement. Ancienne actrice célèbre, Sangok était partie il y a cinq ans aux Etats Unis suivre un homme et n'avait presque plus donné de nouvelles depuis. Jaewon avait été blessé de ce silence, ignorant que sa sœur vivotait en vendant de l'alcool dans une épicerie spécialisée. Jaewon avait d'autant plus ressenti durement cet abandon qu'elle élevait seule son enfant et que celui-ci aimait beaucoup sa tante.

Mais les deux femmes sont heureuses de se retrouver et continuent leur promenade dans le parc. Elles y rencontrent deux jeunes filles dont l'une reconnaît Sangok et lui dit son admiration pour son jeu d'actrice d'autrefois et la beauté qu'elle a su conserver. Elle voudrait qu'elle rejoue bientôt. Plus loin sur un pont, Sangok voudrait que sa sœur lui raconte son rêve mais elle refuse : cela porterait malheur, puisqu'il est bon, s'il était révélé avant midi. En attendant, elles décident d'aller rendre visite au fils de de Jaewon dans son snack qu'il tient avec sa compagne. Elles n'y trouvent que celle-ci qui leur sert très gentiment une soupe dont elle est la spécialiste en attendant le retour de livraisons de son compagnon. Celui-ci les retrouve alors qu'elles allaient partir et offre un cadeau à sa tante : un joli porte-monnaie avec un peu d'argent pour acheter ce qu'elle souhaite. Sangok a fait une tâche en mangeant sa soupe mais ne veut pas rentrer se changer pour si peu. Elle quitte donc sa sœur et prend le taxi pour son rendez-vous.

Un appel téléphonique dans le taxi informe Sangok que le déjeuner est reporté d'une heure car le restaurant prévu est fermé. Sangok en profite pour revenir dans la maison de son enfance, transformée en magasin de vêtements. Elle discute avec la propriétaire et avec la fille de celle-ci qui lui rappelle sa propre enfance.

Sangok retrouve Jaewon dans le restaurant "Roman" de Séoul où il lui a donné rendez-vous. Sangok comprend que Jaewon, le réalisateur, la voit toujours comme l'actrice dont il était amoureux adolescent.  Il n'a à lui proposer qu'un projet de film, pas encore écrit. Elle refuse en expliquant avoir un cancer et n'en avoir que pour six mois à vivre. C'est un temps insuffisant pour faire un film, pas même écrit. Jaewon lui propose alors de venir la chercher le lendemain pour tourner le début d'un court-métrage. Sangok lui demande franchement s'il désire coucher avec elle ; ce qu'il avoue. Ils se quittent sous la pluie avec la promesse de se revoir le lendemain.

Au réveil cependant, Sangok reçoit un message vocal de Jaewon l'informant que le beau rêve fait ensemble la veille, sous l'exaltation de l'alcool, n'aura pas lieu. Il s'en excuse. Sangok rit d'une telle lâcheté et muflerie masculine. Comme la veille, elle retourne voir sa sœur, toujours endormie dans son lit. Elle lui demande si, dans la nuit, elle n’aurait pas fait de nouveau un beau rêve.

Comme habituellement chez Hong Sang-soo, Juste sous vos yeux accorde une grande importance aux rêves. C’est une alternative possible au réel, celui-ci pouvant bifurquer en empruntant plusieurs chemins. La beauté des films de Hong est en effet de nous faire percevoir que la réalité aurait pu être riche de plusieurs autres possibles. Cette fois-ci cependant, le film se présente de manière plus simple ; c’est la journée de Sangok qu’elle vit comme un rêve, portée par l’espoir d'un dernier film et la mise à distance du passé. Le mantra qu'elle se répète inlassablement est continuellement remis en cause par les révélations successives sur sa vie. C’est ainsi bien davantage que de voir « Juste sous vos yeux »  auquel convie Hong sang-soo.

Entre deux rêves

Sangok, une actrice disparue des écrans depuis des années, est revenue des Etats-Unis pour rencontrer Jaewon, un célèbre réalisateur qui lui a donné rendez-vous pour déjeuner. Sans le dire, elle espère jouer un rôle avant de mourir; terrible information qu'elle ne donnera au réalisateur (et au spectateur) qu'en fin de journée. C'est un beau rêve qu’elle fait et que semble lui promettre sa sœur qui se souvient du rêve fait durant la nuit et qui porterait malheur, puisqu'il est bon, s'il était révélé avant midi.

Et la journée se passe merveilleusement bien : petit-déjeuner champêtre avec sa sœur; rencontre avec une admiratrice puis avec son neveu attentionné et, profitant d'un contretemps pour le déjeuner, rencontre avec une petite fille qui lui rappelle son enfance. Le rêve se poursuit avec la rencontre avec le réalisateur qui, lors d'un déjeuner bien alcoolisé,  lui propose, faute de film, une escapade amoureuse et créatrice pour le lendemain.

Cependant le rêve s’effondre au lendemain ; le réalisateur dessaoulé s’est remis de ses émotions et renonce à ce qu’il considère comme un instant d'exaltation artificielle, provoquée par l’alcool. Ne reste plus à Sangok qu'à espérer que sa sœur ait de nouveau fait un beau rêve pour espérer une nouvelle belle journée, pour elle, qui n’en a plus beaucoup à vivre.

Les plis du temps

Le film est ainsi plein d'une terrible mélancolie, bien loin du mantra que Sangok se répète et répète aux autres plusieurs fois : ne plus penser qu’au présent. Pour elle, c'est "le seul paradis sur terre" car le passé comme l’avenir sont inquiétants. Plusieurs éléments sont venus nous alerter que cette journée ne pouvait se figer dans un présent idyllique : la curieuse position recroquevillée sous le pont pour fumer, la tache sur le vêtement,ou la petite fille vue de dos comme un adieu à l'enfance que seule voit Sangok et que nous ne pouvons voir et éprouver.

Jean-Luc Lacuve, le 30 septembre 2022.

Retour