Il est 4h30 du matin et Bongwan n'arrive pas à dormir. Il se prépare un petit déjeuner. A peine attablé, sa femme lui demande pourquoi il ne dort pas bien depuis quelque temps, pourquoi il a maigri, pourquoi il va partir si tôt travailler et finalement s'il n'aurait pas une maîtresse. Bongwan prend les questions avec le sourire mais se fige peu à peu devant l'intuition de sa femme.
Bongwan sort de chez lui au petit matin et se souvient d'être rentré tard un soir précédent, habillé d'une simple chemise à carreaux. Avec la jeune Changsook, il avait beaucoup bu et avait insisté pour l'entrainer au bas de son escalier. Ils s'étaient enlacés et déclarés leur amour. Marchant maintenant dans la nuit, Bongwan se souvient aussi, d'un soir où, après quelques pas de courses en jogging, il s'était écroulé en larmes. Il photographie la gare illuminée avec son téléphone et reçoit un appel de sa femme qui lui demande pardon de son agressivité. Bongwan s'engouffre dans le couloir souterrain menant aux quais. Dans son train de banlieue, il se souvient de la tendresse de Changsook posant sa tête contre son épaule. Il fait encore nuit lorsqu'il arrive dans la petite maison d’édition de Séoul dont il est le patron.
Areum, une jeune femme rentre dans la maison d'édition. Elle vient pour sa première journée de travail comme assistante auprès de Bongwan dont elle admire les critiques bien écrites. Bongwan lui sert un café et l'interroge sur sa vie privée. Elle vit seule : elle a perdu ses parents, son père notamment, mort récemment d'un AVC et sa sœur qu'elle aimait beaucoup. Areum est troublée et s'en va aux toilettes; Bongwan dans un flash mental se souvient du travail qu'accomplissait Changsook lorsqu'elle était son assistante. Tout ne se passait toujours bien, ainsi lorsqu'il lui demandait de manger avec lui le midi, elle le faisait attendre exprès en restant derrière l'ordinateur.
C'est maintenant avec Areum que Bongwan s'en va déjeuner. Il lui propose de la tutoyer et de l'appeler par son prénom. Dans le restaurant chinois où ils sont attablés s'engage bientôt entre eux une conversation très personnelle. Areum demande abruptement à Changsook pourquoi il vit. Celui-ci avoue ne rien en savoir. Il faut croire en quelque chose insiste Areum. Changsook croit que les idées et le réel sont des choses distinctes. Il est prétentieux de vouloir changer un réel que l'on ne connait pas. On a intérêt à s'en inspirer, à partir de lui, plutôt que de vouloir le modifier. Areum, y voit un aveu de faiblesse : se résigner à accepter le réel tel qu'il est. Bongwan s'incline devant l'intelligence d'Areum qui lui a été recommandé par son vieux professeur d'université.
Dans l'après-midi, la femme de Bongwan arrive au bureau sans prévenir et prend Areum pour la maitresse de son mari. Areum nie bien entendu et réussit tant bien que mal à éviter les coups que lui porte la femme de Bongwan. Areum sort avec son téléphone et revient accompagnée de son patron.
La femme de Bongwan a trouvé une lettre d’amour adressée à son assistante et celui-ci ne peut nier mais affirme que Areum n'y est pour rien et qu'il n'a plus de nouvelles de son ancienne assistante qui a démissionné et est partie à 'l'étranger depuis un mois ou deux. C'est à peine calmée que la femme de Bongwan rentre chez elle. Pour se faire pardonner cette épreuve, Bongwan invite de nouveau Areum au restaurant où il donne quelques détails sur son aventure amoureuse avec Changsook. Elle a démissionné et il n'a plus de nouvelles d'elle. Areum, qui cette fois accepte de boire avec son patron, trouve que ce départ a bien arrangé son patron. Elle lui avoue qu'elle croit en Dieu. Bongwan tient absolument à ce qu'elle vienne travailler le lendemain matin tôt.
Pendant qu'ils discutent, Changsook apparait soudain à la porte de la maison d'édition. Elle la trouve fermée. Elle se rend ensuite au restaurant où Areum et Bongwan mangent. Tous deux ont besoin d'aller aux toilettes. C'est Bongwan qui y va en premier et pour cela doit sortir dehors où, inévitablement, il tombe sur Changsook. Les deux anciens amants s'enlacent quand survient Areum, stupéfaite de ces retrouvailles. La conversation se poursuit un temps dans le restaurant puis, Bongwan propose de terminer celle-ci dans sa maison d'édition, non sans avoir au préalable acheté trois bouteilles de Soju. Il doit se résoudre à dire à Areum de ne pas revenir le lendemain puisqu'il ne peut employer qu'une assistante et qu'il donne priorité à sa maitresse. Areum lui en veut d'avoir cherché à la retenir puis à lui enjoindre brutalement de partir, elle lui en veut de mêler travail et amour. Elle s'en va en emportant quelques livres.
Il est 20h00. Bongwan étudie à son bureau et se souvient de la journée de travail si bien commencée avec Areum qui maitrisait parfaitement les logiciels d'édition.
Areum est dans un taxi. Le chauffeur remarque sa beauté. Elle l'en remercie. Elle ouvre sa fenêtre lorsqu'il lui fait remarquer que la neige tombe. Émerveillée, elle récite mentalement un Notre Père.
Trois mois plus tard la neige est toujours présente sur Séoul. Areum revient voir Bongwan pour le féliciter du prix littéraire qu'il vient d'obtenir. Bongwan l'interroge pour savoir si elle vit seul et ce que deviennent ses parents et sa famille. Areum lui répète ce qu'elle lui avait dit lors de sa première journée de travail et s'aperçoit que Bongwan l'a complètement oubliée et ne la reconnait même pas. Bongwan retrouve néanmoins rapidement la mémoire et, désarçonné, lui explique que Changsook est partie et qu'il est revenu avec sa femme pour s'occuper de leur petite fille qui est dorénavant sa seule préoccupation. Areum regrette qu'il n'ait cessé de mêler amour et travail et s'en va, sans retour. Bongwan lui court après pour lui remettre un livre. Elle l'accepte gentiment et s'en va.
A un scénario un peu plus simple que d'habitude, Hong sang-soo applique ses procédés de mise en scène toujours stimulants. Ceux-ci tournent cette fois cependant un peu à vide, tant le personnage principal ne semble jamais à même de saisir sa chance quand les situations se répètent.
Un scénario relativement simple qui privilégie les flashes-back.
Le scénario ne possède pas l'habituelle pliure en deux des films de Hong Sang-soo. Se déroulant sur deux jours séparés de trois mois (on admire l'ironie du titre), il a pour principaux évènements une méprise (celle de la femme de Bongwan) et deux retours inattendus, ceux de Changsook et d'Areum.
Il peut se résumer ainsi. Areum s’apprête à vivre son premier jour de travail dans une petite maison d’édition. Bongwan, son patron, a eu une relation amoureuse avec la femme qu’Areum remplace. Leur liaison vient de se terminer. Ce jour-là, Bongwan quitte le domicile conjugal bien avant l’aube pour partir au travail. Il n’arrête pas de penser à la femme qui est partie. Ce même jour, la femme de Bongwan trouve une lettre d’amour. Elle arrive au bureau sans prévenir et prend Areum pour la femme qui est partie. Bongwan invite Areum au restaurant et la supplie de revenir travailler le lendemain. Mais revient alors sa maitresse qui souhaite retravailler avec lui. Il congédie alors cruellement Areum. Trois mois plus tard, celle-ci revient pour le féliciter d'un prix littéraire. Il ne la reconnait d'abord pas puis lui raconte piteusement sa vie actuelle, de nouveau avec sa femme. Areum s'en va sans retour.
Quelques zooms avant ; jamais de champ-contrechamp ; la répétition de scènes presque à l'identique mais dans un autre contexte, ce qui révéle des possibles différents ; des séquences jamais clairement données comme des rêves (on se demande un temps si le retour d'Areum, après la prière dans le taxi, n'est pas le rêve d'un premier jour qui aurait pu se dérouler autrement) ou des flashes-back. Ceux-ci sont ici plutôt nombreux. On ne les perçoit comme tels qu'avec retard et parce que les personnages portent un autre habit (chemise à carreaux, jogging, grand manteau) que ceux de la séquence au présent.
Une mécanique subtile sans profit pour les personnages
La répétition des scènes, habituelle chez Hong Sang-soo, a pour but de montrer que des fins différentes sont possibles à une même situation; que cela ne dépend souvent que de pas grand chose : une remarque ou un état d'esprit. Mais, ici, toutes les scènes sont au profit d'Areum qui possède, beauté, intelligence, foi en sa possibilité de changer le monde, refus du "merdier" des relations amoureuses au travail.
Bongwan est un séducteur, certain de son charme mais routinier. Il emmène ses conquêtes successives dans le même restaurant, ce qui permet à Changsook de le retrouver avec Areum lorsqu'elle trouve la maison d'édition fermée. Il semble à chaque fois poser les mêmes questions aux femmes qu'il rencontre, profiter de sa position de patron pour tutoyer et les faire boire. Il n'est par ailleurs guère aventureux. Il préfère son ancienne maitresse à Areum mais semble le regretter en pensant à elle après son départ alors que Changsook se montrait déjà boudeuse -atermoiement pour le restaurant- et pénible -ses rapproches sur sa couardise- et manipulatrice -dénoncer Areum comme maitresse pour pouvoir rester avec son amant. En dépit des comparaisons toujours au profit d'Areum, Bongwan la laisse partir.
La fin est ainsi bien plus cruelle que celle Un jour avec, un jour sans (2015) où Min-hee Kim jouait déjà le premier rôle. Dans ce dernier film, qui se terminait aussi par un adieu sur un sol neigeux, Hong Sang-soo, attentif aux infimes variations du sentiment, rendait joyeuse une simple histoire d'amour platonique sans lendemain. C'est probablement ce qu'aurait pu être la relation entre Areum et Bongwan si ce dernier lui avait accordé plus d'attention que celle d'une tentative routinière de séduction.
Malgré la beauté lumineuse du personnage de Areum, la mécanique piteuse de Bongwan n'est pas transfigurée par l'habituelle subtile mécanique de Hong sang-soo : c'est comme si l'une neutralisait l'autre.
Jean-Luc Lacuve le 08/06/2017