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In water

2023

Voir : photogrammes

(Mul-an-e-seo). Avec : Shin Seok-ho (Seoung-mo), Ha Seong-guk (Sang-guk), Kim Seung-yun (Nam-hee), Kim Min-hee (voix au téléphone). 1h01.

Sur l’île rocheuse de Jeju, un jeune acteur, Seoung-mo tente de réaliser son premier court-métrage. Il demande à Sang-guk, un ami qu'il a recruté comme caméraman, de ramasser des coquillages. De retour à la maison que Seoung-mo a loué pour le tournage, les deux amis retrouvent l'actrice Nam-hee qui a accepté la proposition de tournage de Seoung-mo. Ils partagent une pizza et du pepsi-cola.

Le lendemain matin, les trois jeunes gens parcourent une ruelle où Seoung-mo projette de tourner; Nam-hee accepte de bonne grâce d'aller et venir sur ses indications. Ils choisissent finalement une seconde ruelle où pousse une fleur de colza jaune. Le midi, ils déjeunent avec quelques sandwiches que s'est procuré Seoung-mo. Sang-guk s'étonne de la proximité qu'il constate entre Nam-hee et Seoung-mo. La première explique avoir toujours respecté l'intégrité du second au point qu'ils étaient devenus amis à l'université. Seoung-mo remercie ses amis d'avoir accepté sa proposition malgré le peu d'argent qu'il peut leur donner : une location où chacun a quand même sa chambre et de maigres repas. Il veut faire un film pour l'honneur car ne sait pas faire des films qui rapportent de l'argent. Il va dépenser en une semaine, l'argent qu'il a gagné dans son job d'été à mi-temps. Ils vont observer la plage et les touristes qui profitent de la mer.

Le troisième jour, Seoung-mo attend que ses amis reviennent du supermarché et en ramènent quelques victuailles payées avec sa carte bleue. Il n'a pas d'inspiration et ils ne tourneront pas davantage que la veille. Ils vont de nouveau au bord de la mer. Sang-guk et Nam-hee discutent et le premier demande à la seconde de lui faire une démonstration de quelques gestes de karaté qu'elle pratiqua autrefois. Pendant qu'il discutent Seoung-mo observe une silhouette blanche en contrebas et demande à ses amis de retourner à la maison pendant qu'il va interroger celle qui s'avère être une habitante qui à l'habitude de consacrer quelques jours au nettoyage des plages et de ramasser les déchets. Seoung-mo se dit impressionné par son engagement bénévole. Le soir les trois amis discutent et Nam-hee raconte avoir été réveillée la nuit précédente par une voix qui lui cria "reprenez vos esprits" sans qu'elle sache à qui attribuer cette voix. Seoung-mo, plutôt agressif, reproche à Sang-guk de ronfler.

Seoung-mo a décidé de tourner. Alors que ses amis sont partis devant, heureux de le voir de meilleure humeur, celui-ci téléphone à celle qu'il aima autrefois pour lui demander de l'aider. Il aimerait utiliser pour son film la chanson qu'il lui offrit autrefois pour son anniversaire. La jeune femme accepte et la lui envoie par téléphone. Seoung-mo rejoint Sang-guk et Nam-hee qui s'est habillé de blanc pour jouer la ramasseuse de déchets qu'il interroge. Sang-guk filme deux fois cette rencontre; la première prise étant inaudible à cause du vent. Seoung-mo leur explique alors son scénario : celui d'un jeune homme qui hésite sur son destin : il ne veut pas ressembler aux touristes insouciants et ne peut pas non plus s'engager dans une juste cause. Ce déchirement est le sujet des plans du court-métrage qui le voit s'enfoncer dans la mer au son de la chanson composée autrefois : "Connais-tu cet homme qui n'a jamais connu l'amour et qui est resté pur et a nagé vers la mer ?"

Avec une production de plus d'un film par an, Hong Sang-soo court à chaque fois le risque que ses admirateurs se lassent d'une succession de films qu'ils pourraient considérer comme mineurs. Avec celui-ci, qui ne dure qu'une heure et une image floue durant la grande majorité des séquences, le risque est majeur. Pourtant, encore une fois, Hong réussit à être incroyablement inventif et terriblement émouvant tout en livrant les clés de son art poétique.

L'art poétique de Hong

Hong l'a répété plusieurs fois, tout part du réel, d'une observation, souvent d'une maison, d'un lieu pour créer. Grâce à la rencontre fortuite d'une jeune femme ramassant des déchets au pied d'une falaise et à une chanson d’amour écrite des années plus tôt, il a les éléments d'une histoire à raconter. Il aurait pu assurer en trouvant une banale histoire à filmer mais il ne se serait agi que de l'illustration de cette idée : là c'est la construction qui est émouvante, la prise de risque et la confiance que le réel peut toujours offrir quelque chose de neuf.

Cette trivialité revendiqué du réel se déploie avec son contraire : la volonté de Hong se raconter l'absolue singularité de son personnage qui n'est ni un touriste qui ne pense à rien venu s'amuser ni un être engagé accomplissant un acte altruiste. Il n'a pas encore trouvé sa place, la chanson d'amour en est le révélateur; être pur qui n'a pas encore trouvé l'amour, il fait parti intégrante d'une nature dans laquelle il se fond ; bouleversnatte image finale où il est absorbé par les flots, ni noyé ni englouti, juste absorbé comme une touche de couleur sur la toile d'un peintre.

Cette essence indistincte de Seoung-mo, confondu avec le monde mais comme en empathie avec lui, s'exprime dans toutes les séquences floues. Celle du ramassage des coquillages par Sang-guk l'est à peine; la discussion autour de la pizza ne l'est pas du tout; séquence classique d'échanges de paroles autour de leur installation dans la maison. En revanche, lorsque les trois amis sortent en repérage, Seoung-mo est pleinement investi dans son travail de mise en scène et le flou est conséquent.

Jean-Luc Lacuve, le 7 juillet 2024.

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