Eternal daughter

2022

(The Eternal Daughter). Avec : Tilda Swinton (Julie / Rosalind), Carly-Sophia Davies (la standardiste), Joseph Mydell (Bill), Zinnia Davies-Cooke, August Joshi (le conducteur du taxi), Louis (Louis, le chien), Alfie Sankey-Green (L'ami dans la voiture). 1h36.

Julie Hart, accompagnée de Rosalind, sa mère âgée, vient prendre quelques jours de repos dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise. Autrefois, cet hôtel était la demeure de la tante de Rosalind. Julie espère que sa mère va être heureuse d'y revivre. Elle demande à la réceptionniste la chambre du premier donnant sur le parc qu'elle avait réservé. Mais sa demande n'a pas été enregistrée et la standardiste est vite excédée, donnant cependant, finalement et avec mauvaise grâce, la clé de la chambre désirée sans s'engager sur les jours à venir. Julie est pressée de ranger ses affaires et notamment les cadeaux qu'elle a prévu d'offrir pour l'anniversaire de Rosalind dans deux jours. Celle-ci est bien plus calme qu'elle, prenant ses cachets tranquillement dans une petite boîte et s'endort rapidement avec Louis, son chien fidèle, allongé à ses côtés. Le soir, une forte musique parvient à Julie. C’est la réceptionniste qui repart avec son ami dans sa voiture rouge avec autoradio poussé à fond. Julie passe une mauvaise nuit, inquiétée par des bruits sourds et répétés dans les étages supérieurs. Le matin toutefois, elle constate que Rosalind a bien dormi et est heureuse de son petit-déjeuner.

Julie va néanmoins se plaindre du bruit insupportable entendu durant la nuit mais se heurte à l'incrédulité de la réceptionniste, toujours hostile. Celle-ci lui délivre un message d'un cousin de Rosalind qui lui propose de leur rendre visite. Julie essaie de travailler dans une chambre dans les étages où la wifi fonctionne. Mais elle avoue au déjeuner à Rosalind n'avoir pu travailler au film qu'elle prépare tant elle a mal dormi. La réceptionniste, qui fait aussi fonction de serveuse, se montre un peu sèche quand elles doivent choisir le menu.

Dans la chambre l'après-midi, Rosalind explique à Julie que cette chambre fut celle où elle habitait avec sa sœur. Pendant la guerre, elles étaient venues se réfugier là. Sa tante était très marquée par la perte des ses fils, partis combattre. Julie s'excuse de rappeler à sa mère de mauvais souvenirs alors qu'elle croyait qu'elle serait pleinement heureuse dans cette demeure. Le soir, la réceptionniste repart de nouveau bruyamment dans la voiture rouge. Un mystérieux homme noir surgit dans le couloir et vient lui dire de ne pas s'inquiéter.

La seconde journée répète la première : petit déjeuner heureux, le déjeuner rapide et l'après-midi dans la chambre. Mais cette fois Rosalind demande à Julie de l'empêcher de faire la sieste car elle est prise d'un mauvais rêve. Elle se souvient avoir ici perdu un enfant alors que son mari était éloigné. Julie s'excuse encore d'avoir contribué à lui rappeler ces mauvais souvenirs. Elle enregistre néanmoins ceux-ci avec son téléphone. Le soir, le chien, Louis, s'échappe. Elle a du mal à le retrouver même avec l'aide de Bill, l'homme noir de la veille. Louis est revenu tout seul s'allonger à côté de Rosalind.Julie en avertit Bill et se confie à lui. Elle lui propose de participer à la fête d'anniversaire du lendemain mais il refuse, pris par une invitation de son côté.

La troisième journée, Julie voit Rosalind se confier aussi à Bill et dit qu'elle regrette que sa fille n’ait pas eu d'enfants et s'inquiète tant qu'elle soit heureuse. Le soir, ce sont les cadeaux déballés; Julie se prépare à enregistrer les souvenirs de sa mère mais Rosalind déclare brusquement qu'elle n'a pas faim. Julie voudrait qu'elle mange un peu mais comme elle refuse obstinément, Julie déclare à la réceptionniste qu'elle ne commande rien. Elle propose d'amener le gâteau. Quand Julie l'emmène, sa mère a disparu.

Julie le lendemain matin est seule dans sa chambre avec Louis pour compagnie qui est allongé sur le lit, non défait, à coté. Lui revient le souvenir des derniers instants de Rosalind très âgée à qui elle avait tenu la main. Julie écrit sur son ordinateur le début du film qu'elle veut réaliser : "par une nuit de novembre, un taxi s'approchait de l'hôtel dans la brume". Souriante et détendue, Julie quitte la chambre nommée Rosebud et rejoint dans le salon Bill qui accueille les nouveaux pensionnaires de la résidence pour personnes âgées de luxe. La réceptionniste, empathique, lui adresse ses bons vœux de départ.

L'inquiétante étrangeté de la mise en scène redouble le propos du film : le regret de n'avoir pas aimé suffisamment ses parents au moment de leur départ et la possibilité, par l'écriture d'un film, d'y remédier ou du moins de l'atténuer, même si l'héroïne restera l'éternelle fille de cette mère disparue.

La séquence d'anniversaire, le troisième jour, vient révéler ce que Julie Hart est venu faire dans ce manoir : préparer le film qu'elle va réaliser une fois que sa mère y est décédée. Lorsqu'elle s'en va de la chambre, dont on voit pour la première fois le nom, "Rosebud", elle a écrit sur son ordinateur la première séquence du film et remercie chaleureusement le personnel de l'établissement de luxe pour personnes âgées qui ont accepté qu'elle vienne y trouver l'inspiration. Le Rosebud emprunté à Citizen Kane (Orson Welles, 1941), c'est tout à la fois la petite boîte aux cachets, le sac aux souvenirsqui lui rapellent sa mère.

Ainsi les quatre-cinquième du film est le film de la réalisatrice et ce n'est que dans les dix dernières minutes que le dispositif est expliqué. Néanmoins plusieurs signes avaient alertés introduit à l'idée d'un dispositif complexe pas tant fantastique, style Les autres (Alejandro Amenabar, 2001) ni même baroque, style Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940) mais simplement étrange, en attente de résolution. Il en est ainsi des bruits répétés que seule entend l'inquiète Julie, des ombres qui passent sur les murs, des personnages qui apparaissent sans justification (Bill, le cousin), de quelques reflets dans les vitres ou du sac plastique blanc aux souvenirs ou même de l'irascible réceptionniste et ses départs fulgurant le soir avec son ami à la voiture rouge et l'autoradio poussé à fond. L'indice, plus classique, qu'un autre temps se superpose à l'action est la main avec la tâche de sang qui revient plusieurs fois, prise par Julie lors des derniers instants de Rosalind.

Le procédé consistant à faire incarner par la même actrice les deux rôles principaux, Julie et Rosalind, est exceptionnel par le fait de refuser tout trucage et de ne jouer que par le champ contre-champ lorsque l'une répond à l'autre et fait apparaître dans le cadre ou la fille ou la mère. Certes dans Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964), Peter Sellers incarnait trois rôles : le colonel Lionel Mandrake, le président Merkin Muffley et Docteur Folamour mais ici Julie et Rosalind échangent sans besoin que l'une ou l'autre soit en amorce. Elles ne sont qu'une seule fois réunies dans le même plan ; lors du repas d'anniversaire catastrophique ; Julie va alors chercher le gâteau d'anniversaire et, à son retour, Rosalind a disparu et ne reviendra pas.

Jean-Luc Lacuve, le 27 mars 2023