Je veux voir
2008

Catherine Deneuve, à Beyrouth pour un gala de bienfaisance, accepte la proposition d'aller en voiture dans le sud Liban pour la journée. Elle "veut voir" avant de rentrer le soir pour la cérémonie du gala.

Rabih et Catherine Deneuve vont voir quelques immeubles en ruine dans Beyrouth mais ils en sont chassés sans que l'on sache bien pourquoi (danger d'éboulement, militaires ou milice). Rabih roule pendant deux heures sur une morne route décorée de jeunes martyrs morts au combat.

Arrivé dans le village de sa grand-mère, Rabih ne sait pas même retrouver où elle se situait parmi les gravats.

En revenant, Rabih récite à Catherine un dialogue de Belle de jour qu'il connaît par cœur en français et en arabe. Ils se trompent alors de route et sont rappelés au parcourt sécurisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige qui craignent des bombes à sous-munition.....

Je veux voir est un documentaire de fabulation : les personnages jouent leur propre rôle mais ils le font en interprétant une fiction mise en place par le réalisateur. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (JHKJ) veulent ici confronter une icône du cinéma aux ruines d'un pays pour voir si le cinéma peut faire quelque chose, reconstruire, réconcilier ou simplement informer et sensibiliser. Il est possible que le produit final soit du cinéma politique mais le fait certain est que, dans son projet, il s'agit d'abord de faire politiquement du cinéma.

Le dispositif de création porte les traces de la fragilité : un scénario pas complètement écrit, une incertitude sur la durée du filmage et des moyens économiques ridicules. Le film repose essentiellement sur le goût de la liberté de Catherine Deneuve. Une Liberté telle que les réalisateurs ont pensé plus crédible de justifier son déplacement au Liban non pour une aventure de cinéma mais pour un gala de bienfaisance. Tant est si bien que l'ambassadeur de France qui joue ici son propre rôle a créé la réception pour honorer la présence de Catherine Deneuve et que le film s'en sert comme d'un élément appuyant sa fiction.

Tu n'as rien vu des ruines de Beyrouth

La puissance du cinéma est convoquée dès la première image. En contemplant Beyrouth face à la fenêtre de l'immeuble, Catherine Deneuve reprend la pose d'un de ses plus grands films, Le vent de la nuit de Philippe Garrel.

Les discussions techniques qui ont alors lieu hors champs (voiture, horaire, parcours) à son sujet alors qu'elle est filmée plein cadre pensant à autre chose et comme séparée de ces considérations par une vitre ou un obstacle visuel rappellent les pratiques courantes chez Jean-Luc Godard visant à déployer tout autant le lyrisme des moyens de mise en scène que celui de l'action. Enfin et bien sur le "je veux voir " rappelle les affirmations d'Emmanuelle Riva dans Hiroshima mon amour au sujet de ce qu'elle a vu dans le musée consacré aux conséquences du largage de la bombe atomique et les répliques plus célèbre encore d Eiji Okada : "Tu n'as rien vu à Hiroshima."

Ainsi, avant même que ne démarre la voiture, le film s'est-il empli du souvenir de la puissance du cinéma qu'il va une nouvelle fois d'agir de confronter avec les traumatismes de l'histoire. JHKJ usent du dispositif minimum. Les deux acteurs se parlent cadrés dans la voiture alors que les vitres reflettent les immeubles de Beyrouth.

Le premier contrechamp sur la réalité des ruines montre un immeuble détruit dans lequel Catherine Deneuve voit une marque du bombardement récent. Rabih ne lui dira pas "Tu n'as rien vu à Beyrouth" mais se contentera d'indiquer qu'il s'agit là d'un immeuble détruit lors d'un bombardement précédent. De même, leurs visites aux immeubles en ruines sera bien vite stoppée sans que l'on sache si la cause en est due à la dangerosité des lieux, prêts à s'effondrer ou à une cause politique.

Rabih nous avait promis une route magnifique jusqu'à chez sa grand-mère. En fait nous n'en verrons rien, juste une longue ligne droite avec les portraits de martyrs. Même attente déçue, lors de la visite du village en ruine. Rabih ne trouve pas les ruines de la maison où il passait ses vacances enfant.

Et la vie continue

Le voyage du retour sera bien diffèrent. Certes les menaces pèsent que ce soient les bombes à sous munitions ou l'avion. Peur réelle ou peu fantasmé, peur réellement saisie ou peur de fiction ? Qu'importe puisque ce n'est pas tant la catastrophe de l'événement qu'il s'agit de saisir mais la menace permanente qui semble recouvrir le territoire du ciel jusqu'au sous-sol.

Et pourtant la vie continue comme la vie continuait après le tremblement de terre filmé dans Et la vie continue de Kiarostami. Comme chez le maître iranien, la voiture zigzague dans la campagne et les arbres figurent d'inquiétantes frontières. On essaie d'ouvrir une route symbolique. Catherine Deneuve obtiendra de la Finul qu'on la laisse aller, qu'on la laisse être filmée si près de la frontière. On rêve que la fin du tunnel est proche. Arrivé près de Beyrouth un immense chantier en bord de mer transforme les ruines séparant ce qui est irrémédiablement détruit et rejeté à la mer du fer qui pourra servir à nouveau : puissance des hommes et puissance de la mer à tout reconstruire toujours. "Est-ce que tu pourras revenir ?" est la question aussi que Rabih pose à Catherine.

La réponse, ce sera la grâce du dernier regard échangé entre Rabih et Catherine Deneuve, discutant avec l'ambassadeur. JHKJ disent, et on veut bien les croire, qu'ils ont pensé à la fin de La dolce vita. Lorsque Mastroniani, après avoir vu la baleine échouée, regarde la jeune serveuse, il ne reconnaît pas alors celle qui lui avait indiqué que le salut passerait par l'écriture de son livre. Ici, Catherine comprend le regard de Rabih. Ils sont amis, elle reviendra et le cinéma sera ce pont de l'esprit entre nous, si loin de Beyrouth, et eux si près de tout reconstruire.

Propositions très simples filmées avec la plus grande économie de moyen dans un symbolisme flottant qui laisse au spectateur le choix de se l'approprier tout en évoquant les grands noms du cinéma, Je veux voir est une proposition de cinéma plus fragile mais à la fois plus ouverte au monde que le m'as-tu vu Hunger de Steve McQuenn, autre plasticien cinéaste.

Jean-Luc Lacuve le 08/12/2008

(voir la vidéo de la rencontre avec Khalil Joreige au Café des images le jeudi 4 décembre 2008 sur le blog de nos amis de radio666).

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Avec : Catherine Deneuve, Rabih Mroue. 1h15.

 
Genre : Documentaire de fabulation
Thème : conflits israélo-palestiniens