Draquila - L'Italie qui tremble
2010

Dans les rue d'Aquila, le maire se demande comment il va faire pour que ses concitoyens reviennent dans une ville désertée et envahie par les gravas et les herbes folles.

3h32, le 6 avril 2009, le tremblement de terre fait 308 morts. Angela Merkel, Barack Obama, Carla Bruni, George Clooney viennent sur le site. Silvio Berlusconi arrive aussi. En fait, non, c'est Sabina Guzzanti qui s'est fait sa tête et se paye sa tête : "Le tremblement de terre a été un grand succès. Aucun autre avant lui n'avait fait une telle audience".

L'Aquila est l'une des vingt villes d'art italienne mais au lieu de la reconstruire, Berlusconi promet aux 70 000 sans abris un projet de 4 500 nouveaux logements, de splendides maisons. Accueilli avec des invectives : "Berlusconi, sac à merde", les habitants traumatisés se laissent convaincre.

Le seul moyen de reconstruire la ville aurait été de lever un impôt puisque les caisses sont vides. Mais l'impôt est impopulaire. Quatre jours après le séisme le plan logement est présenté à la télévision. Il sera réalisé en cinq mois et sa direction est confiée à Guido Bertolaso, chef de la Protection Civile, marié à la fille d'un important constructeur.

Au nom de l'urgence, le maire et les habitants ne sont pas consultés. Le centre ville se vide de ses habitants et est surveillé et bouclé par les gendarmes. 30 000 personnes sont éparpillées à 200 kilomètres de distance dans les hôtels de la côte. On leur dit de faire semblant d'être en vacance. 30 000 autres sont installés dans 164 villages de tentes.

Pour promouvoir son plan de reconstruction, L'Aquila héberge le G8 (cout 185 millions d'euros) avec des frais supplémentaires. Les réfugiés sont dans les tentes jusqu'en septembre dit-il à sa quinzième visite. La succession de promesses lui permet de gagner les élections européennes malgré les scandales sexuels qui s'accumulent.

Le professeur Colapietra est l'un des seuls habitant à braver l'interdiction et à retourner habiter en ville. Dans les camps de tentes, Coca-Cola, alcool et café sont interdits pour ne pas exciter les refugiés, enfermés derrière du grillage.

La loi est modifiée pour que les "cas d'urgence" soient étendus aux "grands événements" qui permettent de déroger à la loi par ordonnances spéciales avec nomination d'un commissaire qui décide seul de l'attribution de travaux. Un décret dit "anti-crise" rend plus onéreux les recours en justice des particuliers : 1 000 euros au lieu de 500 et 2 000 pour contester un décret signé du président du conseil. Deviennent "grands événements", le congrès européen des familles nombreuses ou une visite papale. La protection civile devient le bras armé du pouvoir.

Les bâtiments sortent de terre mais à 2 700 euros le m2 contre 900 normalement. Le jour l'anniversaire de Berlusconi, pour ses 73 ans à fin septembre, 400 logements sont proposés. Berlusconi rappelle ses débuts, glorieux pour lui, à Milan-2 dans le bâtiment.

Son financement avaité pourtant été très opaque.Massimo Ciancimino, fils de l'ancien maire de Palerme arrêté pour association mafieuse, rappelle que son père a investi dans Milan 2 un milliard de lire qui lui en a rapporté 4,5 milliards. Son second, Stefano Bontade, a fait la même chose. Ils ont ainsi, auprès de Berlusconi, employés la méthode d'encerclement : se rendre indispensable à quelqu'un. Les magistrats rappellent que les profits de la mafia étaient estimés à 100 milliards d'euros en 2004, 150 aujourd'hui. Ils sont réinvestis dans l'économie officielle et la contamine progressivement en altérant les règles du marché et de la démocratie.

Berlusconi propose une loi pour que La protection civile se transforme en société cotée en bourse. Bertolaso enlève les tentes le 30 septembre avec l'arrivée de l'hiver. Il est nommé ministre. On propose l'hospice ou un hébergement à 70 kilomètres aux réfugiés. La loi du "légitime empêchement" est promulguée pour éviter aux responsables politiques d'aller en justice. Mais, le 10 février 2010, 27 personnes sont arrêtées. Bertolaso est mis en examen pour corruption. Le numéro deux, Angelo Balducci, pour corruption et instigation à la prostitution. La transformation de La protection civile en société cotée en bourse ne se fera pas

Nouveau scandale lorsque l'on apprend que la protection civile avait des informations sur les secousses avant le tremblement (qui ressemble à ceux de 1703 et 1462). Les écoutes révèlent un cynisme effarant. Le 31 mars 2009, une commission Grands risques s'était réunie sans résultat. Le jour du tremblement de terre, il n'y a qu'une quinzaine de pompiers, pas d'alarme.

Les nouveaux logés sont heureux. Ils ont reçu télé, casseroles, étagère, cafetière, fer à repasser, champagne et mot de bienvenue. Ils ne se rendent pas compte qu'une ville a été sacrifiée pour la popularité d'un homme.

Les jours du règne de Berlusconi semblent comptés : c'est le moment de ne pas se laisser abuser une fois encore.

Matteo Garrone dans Gomorra (2008) s'était déjà attaqué aux dégâts causés par la mafia en Italie où rien ne semblait avoir changé depuis Main basse sur la ville (Francesco Rosi, 1963).

Sabina Guzzanti, actrice, réalisatrice, et auteure satyrique très populaire en Italie, mène son enquête en fouillant sous les décombres du tremblement de terre de l'Aquila du 6 avril 2009. Elle montre comment le pouvoir politique recycle l'argent de la mafia dans des programmes immobiliers couteux et affreusement vulgaires. La propagande éhontée du pouvoir abuse les victimes du tremblement de terre et transforme le magnifique village historique de l'Aquila en barres de HLM édifiées autours de centres commerciaux.

La virulence de la propagande, un système économique précaire, des jeux de pouvoir illégaux et même les catastrophes naturelles sont utilisés pour réduire les citoyens au silence et assujettir la démocratie Italienne.

Sabina Guzzanti abandonne assez vite sa caricature de Berlusconi, une de ses imitations les plus célèbres, pour dresser un dossier terrible sur la manipulation des lois, le goût du pouvoir pour le sexe et l'argent, la corruption généralisée, le mépris du service public et de la protection des citoyens. Le silence de la gauche, le muselage des médias ont aussi contribué à transformer les habitants de l'Aquila, peuple montagnard et fier. Ils ont échangé ce qu'ils avaient de plus précieux, leur communauté, une ville dynamique pleine d'étudiants, d'œuvres d'art, contre un petit appartement meublé par Berlusconi dans des cités dortoirs. Ils ont cru à la propagande de la télévision plutôt que ce qu'ils avaient sous les yeux. Terrible constat.

Jean-Luc Lacuve le 8/03/2011

Test du DVD

Editeur : France Télévision et Bellissima Films, mars 2011. VO avec sous-titres français. 17 €

Suppléments :

  • L’algorithme Gioiello (14 min)
  • L’archevêque Molinari (4 min)
  • Les psychologues (10 min)
  • Demander au chef de camp (5 min)
  • La bande-annonce

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(Draquila - L'Italia che trema). Avec : Sabina Guzzanti (elle-même) et Silvio Berlusconi (archives). 1h33.

 
Voir : photogrammes du film
Genre : Documentaire
dvd
Thème : Urbanisme