Carl Herikson, l'irrésistible jeune premier américain, arrive à Paris. Parmi ceux qui vont l'accueillir au Ritz, la journaliste Claudine André, Philippe de Moranne, rédacteur en chef de "Paris-Soir", et sa maîtresse, la comédienne Paulette Nanteuil. Carl est d'autant plus surpris de reconnaître Paulette, le soir même, sur la scène du Théâtre du Gymnase, qu'elle lui avait donné au Ritz un autographe signé Claudine André. Afin de se faire pardonner, elle accepte l'invitation à souper de Carl. Pour la première fois depuis six ans de vie commune, Philippe aura passé la nuit sans voir rentrer sa compagne. Le quadrille est en place. Philippe trouve beaucoup de charme à Claudine, qui veut séduire Carl. Paulette souhaite garder Carl et ne pas perdre Philippe. ..
Ecrite durant l’été 1937, Quadrille est représentée pour la première fois le 21 septembre 1937 au Théâtre municipal d'Orléans, puis à partir du 24 septembre de la même année, au théâtre de la Madeleine. La pièce est toujours à l'affiche lorsque Guitry en réalise l'adaptation cinématographique, avec les mêmes interprètes. Le tournage débute le 30 novembre pour une première fin janvier 1938 à Monte-Carlo. Ainsi, exception faite du Mot de Cambronne, les délais de "mise en conserve" sont nettement plus courts que ceux qui avaient conduit aux tournages de Pasteur (la pièce avait seize ans), Mon père avait raison (dix-sept), Faisons un rêve... (vingt) ou Désiré (dix), œuvres qui avaient parfois été tournées avec des distributions modifiées. Un remake en sera tiré en 1997 par Valérie Lemercier (Paulette Nanteuil), entourée d’André Dussollier (Philippe de Morannes) et Sandrine Kiberlain (Claudine André).
Quadrille, dira Guitry est une scène à deux personnages, précédée de deux actes et prolongée de trois, elle se noue pendant les deux premiers actes, les nœuds sont serrés pendant 25 minutes et elle se dénoue non sans difficulté pendant les trois derniers. Guitry assuma tellement la proximité du film avec la pièce que lors d'une représentation à Monte-Carlo, il fait stopper la projection du film après le second acte pour monter jouer le troisième acte sur le proscenium en compagnie de Gaby Morley et Jacqueline Delubac. Puis ils reprennent leur place dans la salle tandis que la projection reprend pour les trois derniers actes.
Le quadrille est une danse qui fut à la mode au XIXe siècle. Elle s'effectue selon un rituel au cours duquel les danseurs exécutent une série de figures. La pièce de Guitry présente quatre personnages, un journaliste et une comédienne (le couple), une journaliste (seule et libre) et un comédien (qui a des vues sur la comédienne). Ce pourrait être un chassé-croisé mais comme le titre l’indique, chacun exécute différentes figures en jouant les comédies de la vérité et du mensonge. La caméra suit les protagonistes dans leur déplacement et s'arrête pour less situations d'affrontement. A ces moments, Guitry use des champs/contrechamps pour mieux éclairer la fonction de séduction ou de rejet
La pièce est en effet un documentaire sur la façon de jouer la comédie. Les malheurs des personnages ne sont qu'un canevas. La tragédie n'existe en coulisse (chagrin dans l'appartement qu'on ne voit pas; tentative de suicide dans la chambre voisine). Cet emploi du hors champs s'ajoute aux invariants chers à Guitry : présence de Pauline Carton, dialogue brillants avec usage habile du téléphone avec un décalage entre ce que le personnage dit et ce qu’il fait et, ainsi, double sens des termes employés.
Chaque personne est typé, à commencer par la satire de l'acteur hollywoodien charismatique qui confesse : « Quand je tourne, on me dit toujours : "Ne faites rien - dites vos mots." Et quand on prend un gros plan de moi, on me dit : "Attention, pensez !" Je demande à quoi il faut que je pense, on me répond : "À rien !" Alors je ne pense à rien de toutes mes forces - et ça fait une image qu’on peut placer dans toutes les circonstances ! »). Le cocu, personnage omniprésent chez Guitry est moins pitoyable qu'habituellement (notamment interprété par Raimu), puisque joué par Guitry lui-même. La comédienne est comédienne, ne distinguant plus bien la vérité et le mensonge. Seul le rôle de Jacqueline Delubac, dont Guitry va bientôt divorcer, en pigiste est peut-être un peu transparent.
Jean-Luc Lacuve , le 20 octobre 2021.