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Rester vertical

2016

Cannes 2016 : compétition officielle Avec : Damien Bonnard (Léo), India Hair (Marie), Raphaël Thiéry (Jean-Louis), Christian Bouillette (Marcel), Basile Meilleurat (Yoan), Laure Calamy (Mirande), Sébastien Novac (Le producteur). 1h40.

Léo est au volant de sa voiture lorsqu'il croise un beau jeune homme au bord d'une route. Il fait immédiatement demi-tour pour lui demander s'il a jamais pensé à faire du cinéma. Le jeune homme, importuné par cette approche un peu abrupte, repousse Léo qui repart vers les causses de Lozère. Avec son sac à dos et ses jumelles, c'est désormais en touriste que marche Léo. Sur le causse Méjean, il rencontre Marie, jeune bergère qui lui fait la leçon quant à sa défense idéaliste du loup qui, concrètement, tue les troupeaux de brebis de son père. Marie en veut à ce touriste ignorant mais pose la main sur son entre-jambe et les deux jeunes gens s'embrassent. Marie invite Léo chez son père. Léo fait aussi connaissance des deux garçons de Marie. Le soir, après un repas silencieux avec le père, ils font l'amour. Marie ne savait plus très bien quoi faire avec ses deux enfants. Elle est revenue aider son père mais cette vie n'est pas idéale pour elle. Ce ne l'est pas davantage pour Léo qui n'a ni métier ni domicile fixe.

Léo part vers l'extrémité ouest du pays (Brest jamais nommée). En chemin, il est revenu voir si le jeune homme croisé souhaitait faire du cinéma. Le vieillard qui habite là, Marcel, lui annonce que le jeune homme, Yoan, est parti en lui volant 50 euros. Léo se cache derrière les buissons pour voir le retour de Yoan qui se fait invectiver par Marcel. Il essaie sans succès de lui proposer à nouveau de partir. A Brest où il doit terminer un scénario malgré une sévère panne d'inspiration, Léo croise un clochard sous le passage couvert Jean Monnet auquel il donne un puis cinq euros mais ne parvient pas entretenir une conversation avec lui. Le producteur lui ayant versé une avance de 3000 euros, Léo repart vers les causses.

Cette fois, les enfants de Marie sont apprivoisés et les retrouvailles sont d'autant plus heureuses que Léo souhaite un enfant de Marie. Pourtant, après l'accouchement, c'est Marie qui ne semble pas heureuse. Le désir de Léo a disparu et il ne semble pas prêt à vivre avec elle. Du coup, elle décide de quitter Léo en lui laissant le bébé. Léo, de loin avec ses jumelles, la voit partir, prise en stop avec ses deux enfants et une valise. Il souhaiterait que Jean-Louis garde l'enfant pour partir à sa recherche mais celui-ci s'y refuse. Léo part donc avec son enfant qui ne cesse de pleurer. Il descend les lacets du causse... et arrive en barque dans le marais poitevin, tardivement, auprès de Mirande, une thérapeute naturopathe. Elle prend soin du bébé puis de Léo en lui faisant comprendre qu'il pourrait  avoir souhaité un enfant pour lui seul.

A Brest, Léo toujours en panne d'inspiration obtient néanmoins une nouvelle avance de 3000 euros de son producteur qui s'impatiente toutefois d'un scénario qui n'avance toujours pas. Léo avoue être père, ce qui explique ce retard. Il retourne alors auprès de Marcel tenter, toujours sans succès de ramener Yoan avec lui. Mais c'est bientôt Jean-Louis qui débarque. Il veut qu'il retrouve sa fille et tente de vivre avec elle. Il ramène ainsi Léo à Sévérac-le-Château. Mais Marie ne veut plus de Léo, pas plus d'ailleurs que lui ne veut d'elle. Avec Jean-Louis, Léo revient donc sur le causse Méjean. Les bêtes ne sont pas sorties et Jean-Louis part s'en occuper. A son retour, il profiterait bien de Léo si celui-ci ne dormait pas avec son fils. Le matin, Jean-Louis constate avec horreur que le loup a tué son chien et plusieurs brebis. Jean-Louis est d'autant plus désespéré que Léo refuse ses avances. La nuit, lorsque Léo se réveille, il constate la disparition du bébé. C'est Jean-Louis qui l'a sorti afin que l'odeur du bébé attire les loups. Furieux, Léo s'enfuit avec la voiture de Jean-Louis et s'en va retrouver Marcel. Celui-ci est désespéré du départ de Yoan pour l'Australie et se morfond tout seul en écoutant les Pink Floyd à fond. Léo croise Yoan, pris en stop devant lui, puis retourne voir Mirande. Il doit bientôt s'enfuir dans les marais car son producteur est parti à sa recherche et exige son scénario. Léo avoue n'avoir rien écrit mais en écrit un qui satisfait le producteur. Mais, sur les conseils de Mirande, il fuit afin de n'être pas contraint de continuer un exercice qu'il n'aime plus.

Arrivé à Brest, Léo n'a plus d'argent et mendie dans la rue avec son bébé. Il est pris à partie par les clochards sous le passage Jean Monnet. Il ne doit qu'à l'arrivée improbable de Jean-Louis et Marcel d'échapper au lynchage. Il fuit de nouveau vers le marais poitevin et trouve Marcel mourant. Leo l'aide à prendre une potion euthanasiante et lui fait l'amour à en mourir sur la musique des Pink Floyd. Le matin, les gendarmes en patrouille constatent le décès de Marcel. Leo avoue l'avoir assisté dans son suicide. Il est arrêté. Léo est consterné de voir son fils lui être enlevé par la DASS. Léo est bientôt libéré et retourne vers Sévérac-le-Château pour tenter de retrouver son fils. Mais Marie lui ferme la porte au nez. Pire même, Léo se fait jeter dehors par le nouveau copain de Marie qui n'est autre que Yoan. Ayant volé une voiture, Leo se cache des gendarmes et constate qu'il fait les gros titres de la presse locale " il sodomise un vieillard avant de l'euthanasier sous les yeux de son bébé". Il rejoint alors Jean-Louis sur le causse Méjean et devient protecteur des brebis en dormant dans la grange par tous les temps.

Le temps a passé et Yoan vient lui porter son fils pour la journée. Un matin, il décide, une brebis dans les bras, d'approcher le loup. Il ne peut que tendre la main vers lui. Jean-Louis vient à son secours mais ils sont bientôt entourés par une meute de huit loups. Est-ce que rester vertical, bien droit devant les loups, suffira à assurer leur survie ?

La narration en zigzag de Rester vertical provient de la matérialisation immédiate dans l'image des désirs des héros. Le film accumule ainsi les ellipses, les sautes géographiques pour ne pas retarder les élans des personnages faits de désirs changeants, parfois improbables, parfois contrariés mais qui restant debout, contrarient la peur, la solitude et le désespoir. Il y une affirmation politique à ne pas renoncer à être soi-même, à ne pas renoncer à ses désirs même quand ceux-ci n'ont pas abouti.

Une géographie imaginaire du désir

La carte des désirs met longtemps à se dessiner entre quatre lieux différents. Il y a le Causse Méjean de Lozère où habitent Marie et son père ; Sévérac-le-Château à une cinquantaine de kilomètre de là où Marie trouve refuge ; le marais poitevin distant de plus de 700 kilomètres par la route, et Brest, éloigné de 400 kilomètres de plus.

Aucune justification n'est donnée quant au choix de Brest pour que Léo s'y astreigne à l'écriture, ni biographique, ni économique. La Mégane de Léo est d'ailleurs immatriculée dans le Rhône.  Brest a donc un attrait tout symbolique pour Léo en rapport probablement avec les lignes droites et nettes d'une ville reconstruite par les Américains au sortir de la guerre. Située face au grand large mais aussi lieu de misère pour les SDF qui se retrouvent sous le passage Jean Monnet, peut-être symbolise-t-elle un possible départ pour l'écriture mais qui sera toujours contrarié.

L'espace sauvage et dépouillé du causse de Méjean avec ses étoiles numériques qui clignotent dans le ciel est un territoire d'aventures. Le marais poitevin est le lieu le plus nettement féerique avec le locus amoenus de la demeure de Mirande par lequel on arrive en barque. Le torse de Léo y est connecté avec les terminaisons d’une plante grimpante en guise d’électrodes. Là aussi cependant le cauchemar peut remplacer le rêve avec l'arrivée du producteur armé à sa recherche. Le marais poitevin est aussi le lieu de résidence de Marcel et Yoan et se trouve donc rapidement à la croisée des désirs des personnages.

Le chaos des désirs

Le moteur du désir ne peut s'accommoder d'une longue ligne droite. C'est la première phrase qu'écrit Léo sur son ordinateur à Brest et qu'il efface immédiatement. C'est aussi le premier plan du film. Or justement il est suivi d'un demi-tour, puis d'un second pour repartir après l'échec de convaincre Yoan.

Le film ne cesse d'accumuler des ellipses avec des raccords de plans inattendus qui relancent l'action là où on ne l'attend pas :  Les yeux de Marie en colère / l'entre-jambe de Léo sur laquelle elle pose la main; tête posée sur le ventre de Marie, jambes entrouvertes laissant voir l'origine du monde / L'accouchement documentaire du bébé ; descente des lacets du causse / navigation de la barque sur le marais poitevin ; face à la porte fermée de Marie, Léo proteste / Surgit Yoan qui le chasse violemment ; Léo endormi / réveillé par Jean-Louis qui voudrait libérer le lit ; Léo endormi / réveillé par Mirande qui lui annonce l'arrivée du producteur.

L'ellipse des neuf mois de grossesse, comme si l'enfant avait été conçu par le seul désir du père et enfanté avec la douleur de la mère, est la plus impressionnante mais toutes celles, moins visibles, qui raccourcissent les voyages installent ce sentiment de chaos, de désirs contrariés mais pouvant toujours renaitre.

Le sentiment du merveilleux (sexe de Marie amoureusement caressé, Mirande et ses soins, l'enfant riant, la brebis fragile tenue dans les bras), du désir des corps les plus improbables (vieux paysan ou vieillard grabataire) ne cesse d'irriguer un film qui dit que l'amour paternel peut être aussi fort que l'amour maternel (première fois qu'un père, et non une mère, est montré privé de son enfant par la DASS), qu'une mère aussi peut n'avoir pas un désir d'enfant si grand qu'elle ne puisse partir en l'abandonnant à son compagnon. Repoussoir face à la modernité du couple, Marcel, qui ne parle que par invectives et injures, qui ne regrette sa femme que pour son travail domestique est tout de même sauvé par la séquence de l'euthanasie où il meurt d'amour sur la musique des Pink Floyd accédant ainsi au statut de héros tragique. A l'inverse, Yoan, le plus jeune est systématiquement protecteur. Certes, il vole mais revient toujours aider même après son départ, peu probable, pour l'Australie/ Autriche. Il est le protecteur de Marcel puis de Marie. Toujours habillé de blanc et le seul à ne jamais être montré nu, il incarne une sorte d'ange.

Après s'être beaucoup trompé, Léo finit seul. Il affronte néanmoins la peur du loup, métaphore de tout ce qu'on espère de fort et dangereux dans la vie, même si on n'arrive pas toujours à ses fins. Il affronte le loup quitte à en mourir comme il avait expérimenté le refus de l'embourgeoisement, comme la frayeur de la paternité à assumer seul. Rester vertical est le  seul espoir qui lui reste. La féerie est de ce monde mais elle est terrifiante pour qui, comme Léo, doute.

Jean-Luc Lacuve, le 26/08/2016

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