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L'inconnu du lac

2013

Un certain regard : prix de la mise en scène Avec : Pierre Deladonchamps (Franck), Christophe Paou (Michel), Patrick d'Assumçao (Henri), Jérôme Chappatte (L'inspecteur Damroder), Mathieu Vervisch (Eric, le voyeur), Gilbert Traina (l'homme du mardi soir), François-Renaud Labarthe (Pascal Ramière), Sébastien Badachaoui (Le copain d'Eric), Emmanuel Daumas (Philippe). 1h37.

Lundi, sur le parking d'un sous-bois du Var arrive une R25 marron-grenat. Franck, beau jeune blond sort de la voiture une serviette à la main. Il rejoint les rives du lac où des homosexuels de tous âges ont pris leur quartier pour l'été. Franck salue quelques habitués et s'en va nager le crawl. Au retour, il engage la conversation avec Henri, gros homme bedonnant, désabusé et sympathique, récemment quitté par sa femme, qui vient s'oublier parmi les beaux garçons. Henri ne drague pas et n'aime pas nager non plus. Il a peur du légendaire silure de cinq mètres qui hante les eaux du lac. Alors que la conversation se fait de plus en plus amicale, Franck aperçoit un bel Apollon brun au corps svelte et musclé qui s'engage dans l'eau. Quand l'inconnu sort de l'eau, Franck quitte Henri pour partir à sa rencontre. Dans le sous-bois où les hommes se cherchent, Frank ne le trouve d'abord pas puis finit par le trouver en compagnie d'un autre homme.

Mardi. Frank gare sa voiture au parking et rejoint la plage du lac puis Henri auquel il fait part de sa déception d'avoir manqué l'inconnu la veille avant qu'il trouve son amant du soir. Quand l'inconnu surgit, Frank se jette à l'eau à sa poursuite mais c'est peine perdue; il est largement distancé. L'inconnu se permet même de le narguer au retour. Franck le rejoint sur la plage et tous deux échangent quelques mots qui traduisent une attirance réciproque immédiate. Mais un jeune homme vient chercher l'inconnu en exigeant qu'il parte avec lui dans les sous-bois pour faire l'amour. Franck se console en acceptant les avances de d'un amant des années passées. Celui-ci éloigne Eric, un adepte de la masturbation, qui s'est approché trop près d'eux. Le soir Franck s'attarde à la recherche de l'inconnu. Il finit par l'apercevoir nageant dans le lac avec son amant. Et là, il est stupéfait de le voir noyer celui-ci. L'inconnu s'en va en voiture en remarquant celle de Franck. Celui-ci, choqué, reste dans le sous-bois jusqu'à la nuit tombée. Sur le parking, ses phares n'éclairent plus qu'une petite Clio rouge.

Mercredi. Frank gare sa voiture sur le parking en remarquant la présence de la Clio rouge. Il rejoint la plage et note la serviette abandonné de l'amant de l'inconnu. Il rejoint Henri et lui avoue ne pas être très en forme après la journée de la veille. Henri pense qu'il ne s'agit que d'une déception due à un nouveau contretemps amoureux. Franck voudrait inviter Henri à prendre un verre mais celui-ci refuse car il est occupé. Franck parcourt le sous-bois, repousse la tentative d'approche d'Eric et attend vainement l'arrivée de Michel.

Jeudi. Frank gare sa voiture sur le parking où la Clio est toujours stationnée. Henri n'est pas là. L'inconnu arrive sur la plage, tard le soir. Il rejoint Franck qui s'était endormi. Michel fait une fellation à Franck puis le masturbe. Ils se quittent à la nuit.

Vendredi. Frank gare sa voiture sur le parking et rejoint Franck qu'il embrasse sur la plage. Tout deux gagnent rapidement les sous-bois et font l'amour tout l'après-midi alternant pénétrations et masturbations réciproques. Le soir les voit aussi épuisés qu'heureux. Franck n'a pas osé avouer à l'inconnu qu'il l'avait vu tuer son amant. Il voudrait inviter l'inconnu à passer la soirée avec lui mais celui-ci s'y refuse. C'est juste avant de partir que Franck lui demande son prénom. L'inconnu s'appelle Michel.

Samedi. Frank gare sa voiture sur le parking où la Clio a disparue. Un hélicoptère survole le lac. Henri explique à Franck qu'un cadavre a été retiré de l'eau. Peut-être a-t-il été victime du silure qui hante les eaux du lac. Henri pense que la saison est définitivement gâchée par la mort du nageur.

Dimanche. Frank gare sa voiture sur le parking. Michel arrive et les deux hommes regagnent les sous-bois pour faire l'amour. C'est alors que surgit un inspecteur de police qui les interroge sur leur emploi du temps du mardi. Franck doit avouer qu'il est parti à la nuit tombée sans vouloir donner le nom de son amant de ce soir là. L'inspecteur parti, Franck s'inquiète du manque de réaction de Michel à la mort de son amant. Michel a beau jeu de lui faire remarqué qu'il a menti en disant ignorer qui était cet homme.

Lundi. Frank gare sa voiture sur le parking. Il rejoint Henri qui lui fait part de ses soupçons sur Michel. Frank n'est pas rassuré quand il nage dans le lac. En fin d'après-midi, alors que Franck et Michel sont seuls sur la plage, le premier, apeuré refuse de suivre le second dans l'eau. Il finit toutefois par s'y résoudre. Michel embrasse Franck dans l'eau et les amants s'aiment jusqu'à tard le soir. Franck est dépité qu'une nouvelle fois Michel ne veuille pas passer la nuit avec lui.

Mardi. Cette fois c'est Franck qui arrive tardivement et Michel lui en fait le reproche. La plage est quasi déserte et Philippe interroge Franck pour savoir si c'est de lui que l'inspecteur tient qu'il était son amant du mardi. Franck réfute mais ne sait trop quoi répondre quand l'inspecteur lui demande de dire avec qui il a passé le reste de la nuit puisque Philippe est reparti tôt le mardi. Michel est irrité des questions de Franck qui n'a plus de désir pour lui. Il part seul. Franck s'attarde et se laisse draguer par Eric. Sur le parking, l'inspecteur attend Franck et le pousse dans ses retranchements, lui affirmant son inconséquence vis à vis d'un possible serial killer qui s'en prendrait aux homosexuels. Franck n'avoue pourtant pas. Il est néanmoins effrayé par l'arrivée de Michel qui a écouté la conversation. Franck avoue l'aimer toujours.

Mercredi. Peu de monde sur la plage. Franck se beigne. Henri s'en va voir Michel et le provoque l'accusant sans sourcilier de meurtre. Henri s'éloigne alors dans le sous-bois invitant du regard Michel à le suivre. Lorsque Franck regarde le rivage, il ne voit ni Henri ni Michel. Affolé, il rejoint la plage et pénètre dans le sous-bois pour voir Michel finir de faire l'amour à Henri en l'égorgeant de son couteau. Franck ne peut empêcher qu'Henri se vide de son sang. Affolé, il se cache dans le sous-bois et finit par apercevoir l'inspecteur. Michel l'a devancé et poignarde l'inspecteur obligeant Franck à se cacher derechef. Michel appelle Franck ; celui-ci se cache. Puis, à la nuit tombée, Franck sort de sa cachette et appelle Michel.

Film noir tout autant que film érotique, L'inconnu du lac expose de façon presque expérimentale comment la passion l'emporte sur la raison. La première ne peut être entretenue et répétée que par la différence ce qui nie, d'une certaine façon, le règne de la raison par nature uniforme, responsable et orientée vers un but. Cet état d'avant la raison est vécu dans un paradis terrestre dans lequel vit hélas un diabolique silure.

Différences et répétitions dans le jardin d'Eden

Le dispositif dans lequel vont s'introduire différences et répétions est celui du parking, du sous-bois, du lac et des deux zones de la plage. Le film commence, chacun des jours de la semaine, du lundi au lundi, par un même plan fixe en légère plongée du parking. Seule la disposition des voitures change à l'intérieur du cadre. Mais c'est justement ce simple dispositif qui génère l'inquiétude. La présence obsédante de la Clio rouge, son absence le samedi ou la présence de la R25 de Franck quand Michel rejoint sa voiture le mardi soir du meurtre sont alors autant de moments générant l'attente d'une résolution. Enfin, l'absence de ce plan fixe initial les derniers mardi et le mercredi prépare l'accélération de l'action vers le drame final.

Même utilisation répétée du plan fixe pour saisir les conversations entre Henri et Franck les deux premiers jours avant qu'une alternance de gros plans des visages des deux hommes ne génère un désir de possible rapprochement le mercredi. S'enchainent aussi, chaque jour, la traversée du sous-bois, la vue du lac et ses deux parties de la plage, celle rassurante avec Henri et celle de la drague avec Michel ou les homosexuels. Le mari jaloux d'Eric viendra préciser les lieux assignés à chaque action, nage, repos et drague. Guiraudie se fait fort de ne nous montrer que ces seuls lieux en les magnifiant par l'infini variation des miroitements du lac, la splendeur des arbres et de leur feuillage, les variations de la lumière selon les heures et les jours, avec ou sans vent, avec plus ou moins d'ensoleillement ou de nuages passant devant la lune.

Les variations à l'intérieur du cadre sont répétées par l'érotisme gay des corps masculins dénudés et la répétition des séquences de sexe. La vue des sexes masculins en action est limitée à la toute fin de la masturbation avec éjaculation de Franck avec l'homme du mardi et à un bref plan de fellation de Franck à Michel le vendredi. Toutes les autres scènes de sexe sont filmées de dos (la première fellation de Michel, le jeudi soir) ou cachées dans les fourrés ou d'assez loin (la fellation d'Eric le dernier mardi). Ce qui est en revanche plus explicite c'est la possibilité d'une répétition éternelle du plaisir qui s'offre dans cette sorte de jardin d'Eden où chaque phase se termine par un : "Je vais jouir, embrasse-moi" avant de recommencer de plus belle.

Le serpent-silure du jardin d'Eden

Le serpent diabolique va chasser ces hommes inconscients de leur plage. Dès le premier lundi est mentionnée la présence d'un silure de cinq mètres qui pourrait hanter les eaux du lac. Michel est un excellent nageur et sa nage racée lui permet d'échapper à la poursuite de Franck le mardi. Son entrée soudaine dans le champ alors que Frank, au repos dans l'eau, a renoncé à le suivre préfigure son rôle de prédateur. Il n'est pas jusqu'à l'aspect brun et moustachu de Michel qui le rapproche du silure avec sa peau gris verte et ses deux barbillons sur la mâchoire supérieure. C'est le silure qui est accusé par le pécheur puis par Henri d'avoir pu noyer Pascal Ramière. Dès lors l'équivalence, Michel-silure-serpent-diable se fait transparente

Ces hommes pris dans leurs plaisirs, l'inspecteur à beau jeu de leur rappeler qu'ils ne sont pas encore humains qu'ils n'ont aucun sentiment pour ceux qui souffrent, qu'ils n'ont même aucune conscience du danger qui menace leur paradis avec un serial killer dans les parages. Mais pour eux la répétition du même à chaque fois recommencé un peu différemment est bien plus puissante que la prudente raison. Michel est le plus lucide qui accepte la mort et la donne quand l'amour n'est plus. Il gère l'économie de la relation, refusant une fusion permanente qui la dévitaliserait. Le diable était aussi un ange.

La possible éternité d'une plage idyllique qui tient l'humanité à la marge (l'inspecteur et Henri) et la présence alors obligatoire du serpent diabolique définissent un lieu biblique qu'il n'est pas difficile d'assimiler au jardin d'Eden. Les lieux légendaires sont toujours présents dans l'univers d'Alain Guiraudie. La force du film est de ne maintenir la métaphore que par la seule grâce de la mise en scène où chaque plan réaliste se double d'une mystérieuse splendeur.

Jean-Luc Lacuve le 14/06/2012

Commune de Les Salles-sur-Verdon
autour du lac de Sainte-croix
Le silure, taille moyenne : 1,5 m ; atteint 2,5 m
(80 à 90 kg) en France
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