Ferronnier aux chantiers navals de Marseille, Gilbert a décidé de prendre du repos. « Je ne vais pas travailler toute ma vie » explique-t-il au contremaître. Gilbert habite l'Estaque, quartier populaire au nord de la grande cité phocéenne. Il y vit chez ses parents - le père, à la suite d'un accident du travail, est au chômage - avec ses deux petites soeurs et son frère Boule. Avec un copain, Boule vient de faire main basse sur la caisse d'un bar dont le patron l'a reconnu. Lorsque celui-ci vient menacer Boule de le livrer à la police, Gilbert arrange le coup en promettant au cafetier de lui restituer son argent. Gilbert passe ses journées avec des copains : Mario, un camionneur marié et père de famille, qui ne manque pas une occasion de prendre du bon temps ; Banane, un Maghrébin toujours de bonne humeur ; « le Muet », un Italien, qui parle peu en comparaison avec la faconde de ses compagnons. Les uns et les autres boivent sec car il fait chaud sur la terrasse du « Café du centre ». Parfois, des jolies filles passent, qui déclenchent sifflets et lazzis. L'une d'elles, Josyane, a tapé dans l'oeil de Gilbert, et sa copine, la blonde Martine, a fait un gros effet sur Mario qui, après huit ans de mariage, n'est plus à une infidélité près. Les couples se retrouvent au bal, le soir, en plein air. Boule, en costume blanc, invite Josyane et la serre de trop près : Gilbert le frappe, Boule sort son couteau, Mario sépare les deux frères.
La drague, le baby-foot, les tournées de « casa », la pêche font passer le temps. La nuit, c'est la fête, d'un bistrot à l'autre, au restaurant d'où l'on part sans payer. À bord d'une voiture volée, les quatre compères sillonnent la ville avant de terminer leur virée chez « les putes ». Au matin, on a mal aux cheveux.
Les choses sont devenues sérieuses entre Josyane et Gilbert. Ils se sont revus, se sont aimés. En revanche, chez Mario, c'est la soupe à la grimace : sa femme l'a traité d'ivrogne et menace de le tromper à son tour. Un jour, Banane persuade Gilbert de l'accompagner sur un « coup » sans risque : une propriété vide avec plein d'argent dedans. Banane s'est trompé : un homme surgit, avec un fusil, qui tire sur les deux fuyards. Gilbert s'écroule, frappé à mort. Josyane l'attend en vain au rendez-vous qu'ils s'étaient fixé. Des enfants jouent au football sur un terrain vague : la vie continue à l'Estaque, sous le chaud soleil de l'été.
Fils d’un docker et originaire de Marseille, Robert Guédiguian puise dans le terreau socioculturel qui l’a vu grandir le matériau de son premier film, coécrit et réalisé avec Frank Le Wita. Ici, le travail et l’argent – ou plutôt leur absence – régissent les conversations et servent de moteur au récit. “Il est mort ce quartier et nous avec”, constatera Gilbert, propos qui n’a rien de fictionnel. Une fin annoncée, contre laquelle Guédiguian luttera néanmoins, en racontant le port et l’Estaque. Il peuple ce lieu de personnages que va jouer la même troupe d’acteurs et d’actrices au fil des décennies (dont on voit ici les émouvants débuts et la jeunesse), symboles d’un cinéma qui se fait à plusieurs, sur le temps long. Dans Dernier été, le jeune cinéaste installe, sans le savoir, le duo d’amoureux emblématique de son œuvre, Ariane Ascaride et Gérard Meylan, qu'on retrouvera notamment dans Marius et Jeannette, le succès qui fera connaître Guédiguian au grand public en 1997. Jean-Pierre Darroussin rejoindra la fine équipe pour le film suivant en 1985 et ne quittera plus cet univers où le drame côtoie, dès ce premier film, allègrement la fête.
Dernier été décrit des personnages et un quartier. Il dépasse la descsription réaliste en traçant un chemain tragique pour ses héros qui rappellent ceux de Pasolini dans Accatone ou Mamma Roma. Ceux-ci sont accompagnés par la musique de Bach pour les premiers et de Vivaldi pour les seconds. Guédiguain use ici des Quatre saisons de Vivaldi. Musique et fin tragique affirment son point de vue. Il s'agit moins de distanciation que d'établir une bonne distance avec le réel manifesté par l'étrangeté, entre intelligence et émotion.
Dans la famille de Gilbert, on écoute à la télévision Le Genocide Culturel, Intervention de Pier Paolo Pasolini à la fête de l'Unita de Milan (été 1974) : (...) je relève, en effet, que la destruction et le remplacement des valeurs dans la société italienne d'aujourd'hui mènent, sans bourreaux ni exécutions de masse, à la suppression de larges portions de la société elle-même. Ce n'est du reste pas là une affirmation complètement hérétique ou hétérodoxe. On trouve déjà dans le Manifeste de Marx un passage qui décrit avec une clarté et une précision extrêmes le génocide perpétré par la bourgeoisie sur des strates déterminées des classes dominées, surtout non ouvrières : le sous-prolétariat et certaines populations coloniales. L'Italie vit aujourd'hui, d'une façon dramatique et pour la première fois, le phénomène suivant: de larges strates, qui étaient pour ainsi dire demeurées en dehors de l'histoire - l'histoire de la domination bourgeoise et de la révolution bourgeoise - ont subi ce génocide, à savoir cette assimilation au mode et à la qualité de vie de la bourgeoisie.
Mais comment s'effectue ce remplacement de valeurs ? Je prétends qu'aujourd'hui il s'effectue clandestinement, au moyen d'une sorte de persuasion occulte.
Alors que du temps de Marx c'était la violence explicite, au grand jour, la conquête coloniale, l'imposition par la force, les moyens sont aujourd'hui plus subtils,habiles et complexes, le processus est beaucoup plus techniquement au point, et profond. C'est en cachette que les nouvelles valeurs sont substituées aux anciennes,et peut-être ne faut-il même pas le dire puisque les grands discours idéologiques sont presque inconnus des masses (la télévision, pour prendre un exemple sur lequel je reviendrai (...)