Prenant fait et cause pour la Palestine, Jean-Luc Godard est coutumier des provocations sur la question juive.

Dans Deux ou trois choses que je sais d'elle (1966), lorsque son héroïne, prostituée occasionnelle, emmène un client dans un hôtel et que celui-ci lui fait remarquer que c'est un hôtel réservé aux juifs parce qu'il a une étoile, elle ne trouve pas ça drôle.

En 1976, lorsque, illustrant sa notion du montage comme vision comparative de l'histoire, il fait chevaucher dans Ici et ailleurs une image de Golda Meir, premier ministre israélien, avec celle d'Adolf Hitler. Parce que les deux prononcent le mot Palestine.

Ça reste "rugueux" interroge Jean Narboni dans Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard (2007). "Non il n'y a rien à changer" dit Godard. "Hitler a prononcé une fois le mot Palestine" ajoute-t-il. Un texte en arabe sur un corps carbonisé ça fait analogie", "ça fait métaphore" réplique Narboni "chacun le prend pour lui. L'objectivité vient de la relation entre les images. "Au contraire, les images sont complètement subjectives" rétorque Godard. "Tu induis par ton montage, il y une incitation" conclut Narboni pas plus convaincu par cette explication que par celle de Deleuze. Celui-ci, dans L'Image temps, s'évertue à prouver comme quoi dans ce cas le montage chez Godard au lieu de rapprocher, scinde et différencie. Le mot Palestine est une qualité commune et pas une ressemblance.

Le rappel des forfaits perpétrés dans les stades, comme le Heysel, qui rappelle celui du Vél'd'Hiv dans Soigne ta droite (1987). Ou ce reproche adressé à Romain Goupil durant le tournage d'Allemagne neuf zéro : « Tu te dis anti-fasciste et, quand tu filmes le stade des JO de Berlin, tu ne filmes qu'un stade, pas celui d'Hitler !»

Dans JLG/JLG (1994) que, dans les camps nazis, les détenus au seuil de la mort étaient désignés sous le terme de « musulmans ». Il sous-entend que les victimes d'hier sont devenues les bourreaux d'aujourd'hui.

Godard n'a de cesse de dénoncer la faute inexpiable du cinéma de n'avoir pu empêcher ni les camps d'extermination ni Hiroshima. C'est le thème majeur de ses Histoire(s) du cinéma (1988-1998) ou de Ecce homo (2006). La certitude que rien n'est infilmable, même la Shoah, l'oppose à Claude Lanzmann, qui, lui, s'insurge contre le caractère suspicieux qu'auraient des images du génocide. Persuadé de l'inadéquation de celles-ci, Lanzmann se range à l'avis d'Elie Wiesel, qui craint que le cinéma ne transforme un événement innommable en « phénomène de superficialité ». Mais, en négatif, dans ces mêmes Histoire(s) ses propos sur Hollywood "inventé par des gangsters juifs", et sur l'invention du cinéma par ces producteurs émigrés d'Europe centrale ayant compris que "Faire un film, c'est produire une dette ".

Dans Notre musique (2004), film au départ duquel il voulait reprendre le schéma du Silence de la mer, de Vercors, en imaginant un officier israélien installé chez des Palestiniens, il déclare que « le peuple juif rejoint la fiction tandis que le peuple palestinien rejoint le documentaire ». Avec démonstration rhétorique, photographies à l'appui. Champ : les Israéliens marchent dans l'eau vers la Terre promise. Contrechamp : les Palestiniens marchent dans l'eau vers la noyade. Il s'en explique dans Morceaux de conversations... : « Les Israéliens sont arrivés sur un territoire qui est celui de leur fiction éternelle depuis les temps bibliques... » Jean Narboni lui fait remarquer que le mot « fiction » est choquant. « Alors, réplique-t-il, on dira que les Israéliens sont sur TF1, c'est la télé-réalité. Et les autres, dans un film de Frédéric Wiseman ».

« Un catholique, je sais ce que c'est : il va à la messe, dit-il dans le film d'Alain Fleischer à Jean Narboni. Mais un juif, je ne sais pas ce que c'est ! Je ne comprends pas ! » Jean-Luc Godard s'est pourtant autoproclamé « juif du cinéma » pour signifier son destin de cinéaste persécuté. Il dit que, culpabilisé de n'avoir pas été alerté dans son enfance par l'Holocauste, choqué par les propos antisémites de son grand-père maternel qui faisait des plaisanteries sur son « médecin youpin »,

En 2009, dans son roman intitulé Courts-circuits, Alain Fleischer raconte qu’en aparté, lors d’une pause sur Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard (2007), Jean-Luc Godard aurait lâché cette phrase à son ami et interlocuteur Jean Narboni, ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma : "Les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un Etat palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’Etat d’Israël."

La polémique américaine commence le 6 octobre 2010 quand le The Jewish Journal titre : Jean-Luc Godard est-il antisémite ? Au même moment, Alain Fleischer aborde cette question dans un ouvrage intitulé, Réponse du muet au parlant. En retour à Jean-Luc Godard (mars 2011), et souligne des propos troubles sur la question.

Daniel Cohn-Bendit dans le journal Le Monde et Antoine de Baecque dans Rue89 considèrent que l'antisionisme de Godard ne peut pas être assimilé à de l'antisémitisme.

Jean-Luc Lacuve, le 9 octobre 2022

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