Arthur Hamilton traverse la gare Grand central de Manhattan suivi par un homme qui, lorsqu'il monte dans le train, l'interroge sur son nom et lui remet un papier dans la main avant de s'enfuir. Sur ce papier est écrit une simple adresse, 34 rue Lafayette. Sa femme, Emily, l'attend à la gare. Elle comprend qu'il est perturbé par des coups de fil reçus la nuit mais ne parvient pas à le faire parler. De nouveau cette nuit là, Arthur reçoit un appel de Charlie, un ami qu'il croyait mort, qui lui demande s'il a bien reçu l'adresse de la société discrète qui peut lui fournir une nouvelle vie. Charlie sait qu'Arthur n'est pas heureux et lui promet une merveilleuse renaissance s'il suit ses instructions : se rendre le lendemain à l'adresse indiquée sous le nom de Wilson.
Le lendemain, Arthur n'y tient plus : il quitte son bureau de vice-président de banque pour se rendre à l'adresse indiquée, 34 rue Lafayette. Là il ne trouve qu'une blanchisserie minable tenue par des vieillards qui lui indiquent une nouvelle adresse: un entrepôt de carcasses de bœufs. C'est pourtant bien là, dans un bureau discret, qu'on lui demande d'attendre M. Ruby en prenant un verre. Arthur est alors pris d'hallucinations et semble s'en aller violer une jeune femme. Remis de ce cauchemar il cherche à sortir du bureau mais ne tombe que sur une pièce où, chacun derrière un bureau, de vieux hommes s'affairent à de tristes passe-temps sans vouloir lui répondre. C'est alors qu'on le rappelle dans le bureau du jovial M. Ruby: celui-ci lui explique comment il va officiellement mourir, dans l'incendie d'un hôtel, et comment sa femme et sa fille, mariée et devenue distante, auront suffisamment d'argent pour continuer à vivre même mieux qu'avant sa mort officielle. Tout en mangeant son poulet au fromage, M. Ruby lui explique aussi qu'on va lui remodeler un corps neuf et une nouvelle identité. Comme Arthur hésite encore, on lui projette le film où il viole, mais s'en aller jusqu'au bout, la jeune femme du cauchemar. Ce film, lui explique le vieil homme qui dirige l'entreprise est eu sorte d'assurance qu'il ne peut désormais plus faire machine arrière vers son ancienne identité. Le vieil homme le convainc aussi benoitement qu'il n'a vraiment plus rien à attendre de sa vie passée.
Arthur Hamilton est alors opéré par le docteur Innes qui le transforme en Tony Wilson après quelques mois de rééducation physique. Puis c'est le faustien Davalo qui vient lui présenter le programme de sa nouvelle vie : il sera un peintre reconnu dont la carrière sera attestée par des diplômes d'écoles d'art prestigieuses. Des tableaux lui seront fournis. Il n'aura qu'à s'en inspirer pour suivre sa propre voie.
Lorsque Tony Wilson arrive dans sa nouvelle demeure de Californie il n'en croie pas ses yeux tant il y trouve de luxe et de charme. John, au service de la compagnie, est là pour veiller sur lui. Bientôt pourtant la tension nait entre les deux hommes. Tony n'arrive pas à peindre comme il le croyait et est irrité des demandes incessantes de John à vouloir lui faire rencontrer ses voisins. Un matin qu'il se promène sur la plage, Tony rencontre une femme solitaire contemplant la mer, Norma Marcus. Ils discutent de leur vie et Tony découvre ainsi que Norma a quitté sa famille depuis quatre ans pour vivre comme elle l'entend. Norma invite Tony le lendemain chez des amis très déjantés dit-elle. Et c'est effectivement à une fête dionysiaque où chacun se met nu pour fouler le raisin et se saouler à laquelle assiste Tony. Il résiste tant qu'il peut mais, emporté par la foule, il finit céder à l'orgie. Il devient ainsi l'amant de Norma.
Tony a fini par accepter de faire une fête chez lui. Mais il se saoule plus que de raison et finit par avouer à chacun quelques morceaux de son ancienne vie. Il est alors transporté dans sa chambre par des invités en colère. John lui révèle alors que tous ses voisins sont comme lui, des bénéficiaires d'une seconde chance. Désespéré que Norma lui ait menti, Tony s'en plaint à Charlie lorsque celui-ci lui téléphone pour lui demande de rester calme et de ne pas fuir. C'est pourtant ce que fait Tony pour retourner voir sa femme, Emily. Celle-ci a toujours le souvenir émue de son mari mais sait qu'il était mort à la vie depuis longtemps avant de périr dans un incendie.
Tony accepte alors de revenir vers la compagnie mais exige d'avoir de nouveau une seconde chance. Ruby exige lui en retour qu'il lui livre le nom d'une personne qui pourrait être intéressée par l'entreprise, ce que Tony refuse. Il est alors contraint de passer ses jours dans la salle d'attente, la salle aux petits bureaux qu'il avait vus à son arrivée. Les mêmes vieux hommes l'y attendent ingurgitant leurs doses de médicaments. Charlie est là aussi et lui révèle que, pour tous ceux-là, la renaissance fut un échec. Tous attendent une nouvelle nouvelle chance. En attendant, ils soutiennent ceux qu'ils ont parrainés dans l'entreprise. Charlie a aujourd'hui la chance d'être appelé. Tony qui ne veut pas attendre aussi longtemps que lui a de nouveau une entrevue orageuse avec Ruby.
Ruby décide alors de passer à l'étape suivante. Tony est photographié sous toutes les coutures puis réveillé en pleine nuit. Le vieil homme lui explique que les renaissances ne sont pas toutes des réussites et que la compagnie est devenue un conglomérat financier qu'il ne contrôle plus, toujours à la recherche de nouveaux clients. Tony est alors emporté vers la salle de chirurgie. Mais il comprend bien vite qu'il va être exécuté. C'est en effet le docteur Innes qui lui explique qu'il va lui créer une hémorragie interne pour mettre en scène sa mort par accident de voiture. La perceuse s'approche du crâne de Tony.
Frankenheimer décrit une société américaine schizophrène qui rêve d'une vie idéale et pour cela est prête à toutes les transformations mais qui ne possède pas en elle-même le talent pour changer, d'où l'échec irrémédiable de sa tentative et l'inclinaison paranoïaque à penser que cette société fomente un complot contre soi. La forme baroque adoptée place le spectateur dans cette même position inconfortable que le héros, plus attentif aux déformations, dérèglements, frustrations d'une vie sans but et sans centre que réceptif aux jouissances du changement.
Du vieil homme impuissant au constat de la perte de désir
Les changements proposés à Arthur sont de toute nature : de vice-président de banque, il devient peintre ; il quitte sa triste ville en banlieue de New York pour une somptueuse villa californienne; incapable de désirer sa femme et d'aller jusqu'au bout dans son viol cauchemardé, il est initié aux fêtes dionysiaques par Norma. Il se plaint pourtant de n'avoir pas voulu cela, que ces désirs lui ont été imposés mais il est incapable d'en proposer de nouveaux, espérant toujours une discussion avec le vieil homme pour les faire émerger. Si la renaissance est si difficile c'est bien parce que tous ces vieux hommes derrière leur bureau se sont rabougris et que nul espoir ne leur est permis. Emily était plus lucide, Arthur était mort bien avant l'incendie de l'hôtel dans lequel il était censé avoir péri.
L'entreprise proposant des renaissances est elle-même à bout de souffle et symbolise les dérives du capitalisme. Le vieil homme avait au départ les meilleures intentions du monde, cherchant à offrir à chacun une seconde chance et tentant d'améliorer les performances de son entreprise aidé de ses fils et de proches collaborateurs. L'entreprise a ensuite évolué, passant sous contrôle d'un congloméra en essayant de recruter trop large, accumulant les échecs qu'elle ne peut camoufler qu'en cherchant de nouveaux clients. Ruby avec son poulet au fromage et Davolo s'amusant du désir enfantin d'Arthur de posséder une grosse boule rouge, tout comme les blanchisseurs et les bouchers sont les derniers éléments humains d'une société s'apprêtant à basculer dans la schizophrénie entre désirs désincarnés et hommes sans désirs, laissant alors à ceux-ci tout l'espace pour développer une paranoïa où toute la vie se refugie dans la fuite d'une société jugée menaçante.
Une forme pour la schizophrénie matinée de paranoïa
Frankenheimer utilise une grande forme baroque classique héritée de Welles (grand angle, plongée et contre-plongée, caméra subjective) qu'il mixte avec une dimension plus populaire, surréaliste, contemporaine d'origine télévisuelle : générique au visage humain déformé (globe oculaire, intérieur de bouche, plissements de peau) signé Saul Bass, montage rythmé sur action réduite, pour mettre en place cette société schizophrène générant de la paranoïa.
Le film s'inscrit ainsi dans la lignée de Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965) et préfigure Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974), À cause d'un assassinat (Alan J. Pakula, 1974), Les trois jours du condor (Sidney Pollack, 1975), Les hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976).
Jean-Luc Lacuve le 10/08/2014.