Fairfield, une petite ville du Kentucky en 1905. Le juge Priest, un démocrate sudiste, a pris pour habitude de réveiller son vieux cur d'un verre de whisky matinal que lui sert Jeff, son vieux serviteur noir. Celui-ci est en retard ce matin là et le juge ne sera pas à l'heure au tribunal. Cela ne l'empêche pourtant pas d'assister au débarquement des passagers du bateau. C'est ainsi qu'il voit revenir en ville Ashby Corvin, un jeune sudiste fougueux qui revient avec trois superbes chevaux. Il croise aussi Mrs. Aurora Ratchitt qui le courtise galamment et à laquelle il ne manque pas de remettre ses cartons électoraux appelant à voter pour lui le mardi.
Ahsby est très connu et ne manque pas de saluer Lucy Lee qu'il a connu encore enfant et dont il s'aperçoit avec surprise qu'elle est maintenant maitresse d'école.
Le juge arrive au tribunal pour trouver face à lui son opposant politique, le nordiste Horace Maydew, persuadé qu'il va le remplacer aux prochaines élections et qui tient le rôle de procureur. La première affaire est celle du jeune US Grant Woodford qui passe son temps à jouer du banjo et est accusé de vagabondage. Le juge conseille au jeune homme de suivre les recommandations de son oncle et d'aller travailler dans les champs de coton du district voisin de Tornado. Il ne se fait pas faute de l'écouter jouer du banjo. Il est d'abord irrité d'un premier air nordiste que s'empresse d'interrompre Jeff pour l'accompagner à l'harmonica sur l'air de Dixie. Priest remplit de bonheur les accompagne au clairon. Le juge traite ensuite avec respect Mallie Cramp que le plaignant et Maydew méprisent ouvertement. Ford ne filme pas, pas plus que Priest ne voudra se souvenir de la sordide raison, une petite amande sera-t-il expliqué plus tard, qui a obligé Milly Cramp à subir l'opprobre publique en se rendant jusqu'au tribunal.
Priest doit en effet préparer la réunion des anciens combattants sudistes de la guerre de Sécession. Il voudrait convaincre le général Fairfield de se joindre à eux mais celui-ci s'est retiré du monde il y a dix-huit ans après un terrible drame et Priest, connaissant déjà sa réponse, n'insiste pas davantage remerciant le général de ses marques d'affection. C'est dans une petite pièce, occupée par moins d'une dizaine seulement de vieux soldats, que Priest tient sa réunion. Il y a là le docteur Lewt Lake, le tailleur d'origine allemande Herman Felsburg, le sergent Jimmy Bagby et le shérif Andy Redcliffe. Deux trappeurs, Finney et son fils viennent les rejoindre. La petite communauté s'interroge sur l'opportunité de laisser un tableau représentant le général et sa femme, infirmière, au mur de la salle de bal qui aura lieu le lundi. Ils décident d'ôter ce tableau qui révélerait à Lycy Lee qu'elle est la petite fille du général tant est nette la ressemblance avec sa grand-mère. Survient alors, Joe D. Habershamle, qui dirige la réunion des anciens combattants nordistes qui s'étonne que leur drapeau américain ne soit plus à sa place. Priest reconnait bien volontiers, sans le dire toutefois, que le sergent Jimmy Bagby a emprunté ce drapeau, et s'apprête à le ramener afin que la réunion nordiste puisse avoir lieu. Celle-ci est bien plus animée que celle des vieux sudistes. Priest peut néanmoins y faire son petit discours à la gloire de l'Amérique qui a su recoudre les fractures de la guerre civile en permetant qu'un juge sudiste devienne aussi celui des nordistes. Il en profite aussi pour débiner son adversaire aux élections. C'est néanmoins solitaire quil regagne sa réunion.
Ce soir là, Lucy Lee abandonne exprès les rennes de son cheval afin d'attirer l'attention d'Ashby Corvin. Celui-ci est saoul mais quand l'honneur de Lucy Lee est mis en cause, il vient la défendre et gagne un combat à coups de cravache face au calomniateur. Priest lui ordonne de le laisser partir : la vérité est bien que Lucy Lee n'est pas la fille du docteur Lake mais celle de la compagne du fils du général qui s'était fait tuer dix-huit ans plus tôt en défendant son honneur. En rentrant, Ashby croise une femme mourante qui vient juste de débarquer du bateau en demandant à se rendre chez Mally Cramp. Ashby la conduit chez le docteur qui reconnait en cette femme la mère de Lucy Lee. Celle-ci, alertée par son nom prononcée par la mourante a à peine le temps de la voir. Elle s'en va demander des explications à Priest, celui qu'elle appelle oncle Billy. Comme celui-ci avait laissé visible la moitié du tableau ramené de la salle du bal, Lucy Lee reconnait dans le visage de l'infirmière celui de sa mère jeune à laquelle elle ressemble trait pour trait. En soulevant le drap qui cache l'autre moitié du tableau, elle comprend qu'elle est la petite-fille du général.
Alors que Lucy Lee s'en va, Priest voit le shérif emmener en prison le jeune U.S. Grant Woodford, accusé d'avoir violé une jeune fille blanche car il a été pris en chasse par des chiens alors qu'il se rendait à Tornado. Le lendemain les paysans de Tornado effraient toute la ville en venant pour lyncher US Grant sous la conduite du père de la victime et de Buck Ramsey. Le shérif a fuit et Priest se présente seul face à la foule. Avec son parapluie, il trace une ligne devant la prison puis appelle chacun par son nom pour les convaincre de respecter la loi. Quand Buck Ramsey s'avance, il le menace de son arme qu'il avait heureusement pris soin d'amener. Devant sa détermination, la foule se retire.
Du coup, le juge a presque perdu les élections du lendemain en s'aliénant les voix des paysans de Tornado. Qui plus est, la mère de Lucy Lee est mourante et il faudra aller la voir chez Mally Cramp. Celle-ci vient pourtant lui annoncer la mort de sa protégée. Elle insiste pour qu'elle ait l'enterrement somptueux qu'elle lui a promis. Priest sait qu'accepter de célébrer ses funérailles signera sa quasi exclusion de la communauté mais il l'accepte quand même.
Le juge assiste avec ses amis à la grande soirée de bal qui précède les élections. Il parvient même à convaincre Ashby d'inviter Lucy Lee et leur entrée fait sensation. C'est alors que survient le shérif avec le véritable agresseur de la jeune fille banche : c'était Buck Ramsey. Celui-ci essaie de s'échapper en s'enfuyant dans la carriole de Lucy Lee. Le trappeur l'abat et Ahsby parvient à sauver Lucy Lee avant que les chevaux ne s'emballent définitivement.
C'est le jour des élections. Horace Maydew est certain de sa victoire et l'est plus encore lorsqu'il voit surgir Priest suivant un corbillard avec pour seul autre cortège la carriole des femmes du bordel conduite par Mally Cramp. Un a un, les sudistes et même quelques nordistes ainsi que Mrs. Aurora Ratchitt rejoignent le cortège. Lucy Lee accompagne aussi le cercueil de sa mère et Ashby la rejoint. A l'église, Priest raconte l'épisode de l'évangile de saint Jean où personne ne jeta la pierre à la femme adultère, chacun ayant aussi une faute à se reprocher. La cérémonie voit même apparaitre le général qui repend place à coté de sa petite-fille.
Les élections se terminent et Horace Maydew gagne par 68 voies d'écart sur 1700. C'est alors que débarquent les paysans de Tornado qui votent en masse pour Priest. Le score est à égalité mais Priest prie son adversaire de reconnaitre sa défaite puisqu'il va voter pour lui-même et, ainsi, assurer sa réélection.
Le soir, la ville défile devant la maison de Priest : femmes des ligues antialcooliques, cadets de l'école militaire et les gens de Tornado arborant une bannière : "il nous a sauvé de nous-mêmes". Lucy Lee et Ashby voudraient aussi le saluer mais le vieux juge est fatigué et, seul, il s'enfonce dans sa maison sombre et déserte.
En 1950, John Ford a achevé sa trilogie sur la cavalerie; il s'inquiète de la guerre de Corée dans This is Korea (1951), documentaire prônant le retour au pays des soldats, et réalise finalement L'homme tranquille (1952). Fort de se succès, il poursuit ainsi avec une uvre intimiste qui possède pourtant la même structure épique et cosmique de la majeure partie de ses westerns. Ici aussi le juge Priest devient égal au milieu par l'intermédiaire de la communauté. Il ne le modifie pas mais en rétablit l'ordre cyclique. Représentant de la collectivité, il devient capable d'une action qui l'égale au milieu, et en rétablit l'ordre accidentellement et périodiquement compromis. Il faut tout à la fois la médiation de la communauté vis à vis de ses représentants et la médiation de ceux-ci vis à vis de la communauté, pour rendre aux individus leur grandeur et leur humanité. Tel est le rôle ici encore de ces moments collectifs intenses (réunion d'anciens combattants, bal et défilés). Le mouvement est réel chez Ford, mais, au lieu de se faire de partie à partie, ou bien par rapport à un tout dont il traduirait le changement, il se fait dans un espace global dont il exprime la respiration.
Un petit projet hautement personnel
En 1934 pour la Fox, Ford avait réalisé Judge Priest sur un scénario de Dudley Nichols basé sur le personnage célèbre de l'écrivain Irvin S. Cobb. Le soleil brille pour tout le monde s'appuie sur le travail du scénariste Laurence Tucker Stallings qui tricote des variations sur trois nouvelles de Cobb. "The Sun Shines Bright" donne son titre au film. Ce sont les premières paroles d'une chanson célébrant la quiétude du Kentucky, My Old Kentucky Home. Le juge Priest est un notable débonnaire, rendant une justice à l'instinct, vétéran sudiste de la guerre de Sécession, alcoolique et rusé. "The lord provides" introduit le thème des funérailles où le juge raconte l'épisode de la femme adultère tiré de l'évangile. La troisième nouvelle, "The Mob from Massac", raconte la tentative de lynchage. Dans cette dernière nouvelle aussi le shérif s'apprête à livrer le prisonnier (ici, il fuit) alors que Priest trace avec son parapluie la fameuse ligne à ne pas franchir. Il y a aussi l'appel à l'amitié mais moins développée que dans le film et le même retournement de situation en faveur du juge le jour de l'élection qui lui assure là une large victoire et la reconnaissance avec la fameuse banderole "II nous a sauvé de nous-mêmes". Cobb s'était basé sur un fait réel se passant dans le Kentucky à Bowling green mais l'avait déplacé dans l'Ohio de son enfance. Ford ramène donc l'histoire prés de son lieu réel.
Le rôle du juge Priest est confié à Charles Winninger, 68 ans, qui succède ainsi à Will Rogers. Une grande partie de la troupe fordienne forme le reste de la distribution dont l'acteur noir Stepin Fetchit, que le cinéaste affectionnait beaucoup mais dont le rôle de serviteur noir paresseux et peureux suscita de nombreuses controverses. Ford commence à tourner le 18 août 1952 dans les studios Republic. Il le termine en un mois avec deux journées d'avance sur le plan. Le film sort en mai 1953 mais, dépourvu de vedettes, ne sera même pas distribué dans toutes les grandes villes. Les critiques sont rudes : "une tragi-comédie légère, pauvrement écrite et trop longue de 90 minutes", écrira ainsi Variety alors que le Time jugera le film "laborieux, pédant et mièvre".
Le soleil brille pour tout le monde sera le dernier titre produit par Argosy Pictures, la compagnie créée par Ford et Merian C. Cooper en 1939, remaniée à la suite de la guerre et travaillant en association avec Republic Pictures depuis 1950. Herbert J. Yates, dirigeant de la Republic Pictures, ne sut, selon Ford, pas quoi faire du produit fini. "Il y avait de la comédie, du drame, du pathos, mais il n'y comprenait rien. Pour lui, un film devait être empli de sexe et de violence." Herbert J. Yates imposa plusieurs coupures, notamment des séquences mettant en scène des personnages de Noirs dont la première. Le métrage passera ainsi de 100' à 92'. Suite à l'échec commercial, il est encore réduit de deux minutes et cette troisième version devint le standard sous lequel le long-métrage fut diffusé à la télévision. C'est par hasard que l'on redécouvre le director's cut plusieurs années après, lors de l'impression vidéo dont le modèle était une copie personnelle de Ford, jamais retouchée. La version depuis diffusée est celle de 100 minutes.
Donner sa respiration à la communauté
Le film est construit sur une succession de grandes scènes où l'intensité comique ou dramatique ne cesse de croitre : la première séance de tribunal avec U.S. dégénérant en parodie de fanfare sudiste ; la réunion des anciens combattants avec le vol du drapeau, l'examen du tableau et le discours aux nordistes ; le lynchage de U.S. évité par le juge ; Lucy Lee découvrant sa mère puis l'identité de son grand-père par le tableau ; le cortège funéraire ; le final de l'élection ; les défilés devant la maison du juge. Quelques ellipses se glissent entre ces grands blocs narratifs : le procès de Mally Cramp, la délégation de vieux sudistes se rendant chez Ahsby pour le convaincre d'inviter Lucy Lee au bal. Les histoires s'entremêlent avec rapidité : à peine Lucy est-elle sortie de chez le juge qu'on amène à celui-ci US, qui vient d'être arrêté.
La nostalgie qu'exprime Le soleil brille pour tout le monde est intimement liée au sentiment que la communauté, statique, unie et heureuse est en voie de disparition. La ville vit avec le souvenir de la guerre civile ravivé par de pittoresques cérémonies. Priest peut néanmoins y faire son petit discours à la gloire de l'Amérique qui a su recoudre les fractures de la guerre civile en permutant qu'un juge sudiste vienne aussi celui des nordistes. Il en profite aussi pour débiner son concurrent politique en l'associant aux carpetbaggers, un de ces Nordistes enrichis en s'installant sur les terres d'un Sud dévasté. Mais cette opposition entre Nord et Sud sera bientôt balayée par la disparition des seconds et seule la flèche du progrès, dont Maydew se fait le chantre, vaincra, oublieuse du charme des roueries d'antant. Ainsi Priest se retrouvant seul entre les deux salles, nordiste et sudiste, ou s'enfonçant dans le noir seul chez lui à la toute fin du film.
Entre-temps, Priest aura réussi à maintenir la communauté unie en évitant le lynchage imminent du jeune noir accusé à tort et en ramenant jusqu'aux prostituées au sein de la communauté. L'opposition au lynchage rappelle celle de Vers sa destinée avec un discours en totale opposition avec la chasse aux sorcières de McCarthy : il ne faut pas se fier aux apparences, souvent trompeuses, coupable ou innocent, chacun a droit à un procès équitable. Le rachat des prostituées rappelle celui de Chihuahua dans My darling Clementine ou de Dallas dans La chevauchée fantastique. Encore faut-il qu'elles se sortent de cet état. Ici c'est Jeff qui se charge de les mettre sur le bateau.
Jean-Luc Lacuve le 28/06/2014
Bibliographie : The old judge Priest, (The Lord Provides; A Blending of the Parables; Judge Priest Comes Back; A Chapter from the Life of an Ant; Sergeant Jimmy Bagby's Feet; According to the Code; Forrest's Last Charge; Double-Barrelled Justice; and A Beautiful Evening) en ligne avec Le projet Gutenberg.