Carton : "En 1940, à l'âge de 24 ans, Orson Welles est attiré à Hollywood par la RKO en difficulté grâce à un contrat digne de ses grands talents de conteur. Il obtient une autonomie créative totale, ne souffre aucune supervision et peut faire le film de son choix sur le sujet de son choix avec les collaborateurs de son choix."
Une voiture, sur une route du désert du Mojave, passe un panneau indicateur, Victorville, puis un autre, "Ranch de North Verde".
Extérieur jour, Victorville, Ranch des invités, 1940
(J-60) : John Houseman, ami et producteur exécutif de Welles, a décidé d'installer Herman Mankiewicz, surnommé affectueusement Mank, dans ce ranch pour qu'il se sente moins confiné pour écrire. Il vient en effet de le sortir de l'hopital où il était soigné pour de multiples fractures. Il le laisse aux soins de Fräulein Frieda, infirmière et nutritionniste, et de Rita Alexander, chargée de prendre en note ses idées et de les taper à la machine. Elle est la femme d'un pilote anglais de la RAF.
Orson Welles les appelle alors. Il tente d'un plateau où il tente de produire Au cœur des ténèbres. Il ne donne à Mank que soixante jours, et non 90 comme convenu avec Houseman, pour écrire le scénario. "Fait comme un rat" se dit Mank.
Intérieur nuit chez les Mankiewicz, des semaines plus tôt (flash-back).
Mank en veut à la MGM de l'écarter de la production après son scénario du Magicien d'oz. Saoul, il est néanmoins dorloté par Sara. Il doit aller à New York le lendemain. Mais conduit en voiture par Tommy, il a grave accident. A l'hôpital, Welles vient le voir.
1940 (J-50). Mank dicte à Rita l'histoire d’un grand magnat de la presse, solitaire dans un palais en ruine, qui continue de régner sur son empire en déclin. Un jour, le narrateur annonce sa mort. Rita pense tout de suite, sans le nommer, à Hearst. Mank dit n'avoir jamais travaillé pour lui. Il l'a connu quand il finançait les films de sa petite amie, Marion Davis.
Extérieur jour, Studio Paramount, 1930 (flash-back)
Charles Lederer arrive au studio Paramount avec le télégramme convenu : "Il y a des millions à prendre : tes seuls concurrents sont des crétins". Il voit Joe puis toute l'équipe de scénariste autour de Mank : George Kaufman, Perelman, Charles MacArthur, Shelly Metcalf et Ben Hecht. Tout le monde va chez Selznick pour la revue de scénario. De leur cogitation de 72 heures, rien n'est sorti et Joseph von Sternberg reste en retrait.
Lederer invite Mank à le retrouver le week-end pour voir sa tante. Il y arrive saoul réveillé par un cri. Titubant de sa gueule de bois, il rencontre Thalberg et Louis B Mayer, président de la MGM qui sont venu soutenir William Hearst dont la vedette prend un tournant dans sa carrière. Entre cette vedette en devenir et Mank, l'amitié est immédiate. Marion Davis possède en effet une intelligence très vive et une sensibilité de gauche. Elle est la protégée de "Pops". Celui-ci vante l'avenir du cinéma parlant, son ambition de faire des films littéraires, et non de gangsters.
1940 (J-16). Mank se plaint des corrections de Houseman. "Pauvre Sara" lui annonce au téléphone que "Le petit Joe" a du travail pour lui. Rita apprend que son mari est porté disparu. Mank s'en veut d'avoir été cynique, prévoyant cette mort. Dans la nuit, Rita le trouve ivre-mort avec la bouteille de whisky qu'il est allé chercher.
(J-15) Houseman arrive, affolé par l'état de Mank. Il essaie de camoufler que c'est dû à l'alcool qu'il a amené ; le médecin n'est pas dupe. Au matin, mank subit les reproches de Houseman seulement 70 pages gribouillées donc à peine 40 au propre. Rita, inquiète, lui rappelle qu'il reste deux semaines et qu'ils n'auront jamais fini avant Noël. Ils reprennent avec le monologue de Bernstein sur la jeune femme sur le ferry : "elle portait une robe blanche et s'abritait sous une ombrelle blanche". Rita pense alors que Bernstein est Louis B. Mayer en "toutou". Mankiewicz convient qu’il ne l’aime pas :
Extérieur jour, studio MGM, 1934 (Flash-back)
Joe se plaint de n'être payé que 750 dollars par semaine, la moitié de son frère. Ils ont rendez-vous avec Louis B. Meyer qui leur énonce les trois règles d'or du studio qui ne se résument qu'à une seule : il est patron qui décide de tout. Après cette longue tirade flamboyante, Louis B. Mayer se fait tout petit devant ses employés, rassemblés dans un studio afin de leur demander, crise oblige, de faire le sacrifice de la moitié de leur salaire pour huit semaines. Il donne sa parole sacrée qu'ils retrouveront ces pertes quand "Roosevelt rouvrira les banques". Barrymore et Shirley Temple applaudissent, moins les petits salaires. Joe et Mank sont époustouflés par cette performance hypocrite.
1940 (J-14). Au petit matin, Herman se fait masser par Frieda alors que notes tapées, Rita va chercher des rubans à machine en ville. Joe appelle son frère au téléphone pour qu’il écrive le scénario d'une de ses pièces, L'homme sauvage de Bornéo. Il sera ainsi doublement payé comme auteur et scénariste. Il avoue s'inquiéter des conséquences d'une attaque contre Hearst. Scott Fitzgerald aurait dit qu'il était un homme fini ; il se dit que l'enfant prodige de la radio veut se frotter à Willie Hearst. Mank sent que c'est au mieux un ultimatum, au pire un pot de vin. Il refuse.
1933, intérieur nuit, salle de réception de San Simeon, (Flash-back).
Anniversaire de LBM, avec Hearst et Marion et Mank et Sara, Tugwell, conseiller de Roosevelt, Thalberg, assis à coté de LBM. Marion dit avoir vu 42e rue produit par la Warner. Surtout, elle a adoré les actualités : Hitler embrassant les bébés, Mank s'inquiète des camps de concentration nazis (détention des prisonniers politiques) et qu’ils brûlent des livres. Thalberg, qui était à Berlin, confirme ces inquiétudes à LBM, incrédule. Inquiétude vis à vis du livre de Upton Sinclair qui veut nationaliser des entreprises de Californie et qui pourrait devenir gouverneur. Un autre écrivain, Jefferson était arrivé au pouvoir. LBM en est certain : tout Hollywood votera Républicain, pour Frank Merrion. Mank défend toutefois le socialisme, partager la richesse, contre le communisme, partager la misère. Marion Davis jette un froid en disant que Hearst pourrait contrôler Sinclair comme Merrion.
Herman vient la réconforter dehors. Elle lui dit que Sinclair a déjà parlé d'elle en mal : "le plus puissant homme de presse maintient une actrice de cinéma dans un royaume de palais et de cathédrales, décoré par des cargaisons de camelotes importées d'Europe et entouré d’immenses étendues réservées aux zèbres et aux girafes. Il a du dépenser six millions de dollars pour la demoiselle et annonce à la une dès qu'elle change de chapeau". Herman déclare aussi que Sinclair a révélé que LBM aurait reçu un pot de vin pour vendre la MGM à un concurrent. Révélation aussi que Thalberg a acheté les droits d’un roman de Sinclair mais celui-ci a refusé que l'on change un mot de son texte et s'est enfui au Mexique pour financer un film sur la révolution (Viva Zapata). Marion n'a guère envie de jouer Elisabeth Browning ou Marie-Antoinette, les prochaines productions financées par Thalberg. Mank préfère lui citer le poème à sa Dulcinée de Don Quichotte : "Ses cheveux sont de l'or, ses joues sont des roses, ses lèvres du corail, son cou de l’albâtre, sa poitrine du marbre, ses mains de l’ivoire, sa blancheur celle de la neige".. et la meilleure des lettres est l'être aimé conclut-il sur un mot à lui.
1940 (J-13) . Au matin, Rita est inquiéte de voir Mank endormi avec pêle-mêle sur le lit, notes gribouillées et alcool. Un livreur, Slim, amène une mystérieuse caisse alors que Houseman vient lui rendre visite. Il reste 13 jours et seulement 90 pages sont écrites. Il est anxieux et Orson appelle, confiant. Le whisky dans la caisse est transvasé dans des fioles. Rita menace de démissionner. Frieda explique qu'il a aidé administrativement et financièrement tout son village de 100 personnes à émigrer de l'Allemagne vers les USA. Il a écrit un film sur les nazis que personne ne veut produire. "C'est un homme bon et sensé. Il préfère écrire la nuit et a besoin de cet alcool pour éviter le mal de tête" conclut Fieda. Rita vient alors trinquer avec lui à Mankbourg, MankHeim.
Extérieur jour, studio MGM 1934 (flash-back)
Mank est convié au bureau de la MGM par Thalberg. La MGM affiche des panneaux pour Merriam. Il croise C.C., un figurant victime de la grande dépression et lui donne 1 dollar mais, faute d'argent sur lui, pas à Grady qui l'accompagne. Ils veulent aller à Miami, Floride, où la rumeur prétend que les studios vont s'installer.
Joe à la tête du tout nouveau syndicat des scénaristes en veut à LBM d'avoir rétabli les salaires mais pas versé les pertes enregistrées sur huit semaines; dur pour les petits salaires. Mank refuse de plaider pour eux.
Thalberg lui demande d'adhérer au fonds anti-Sinclair. "Vous persuader que King Kong mesure 15 mètres et que Mary Pickford est vierge à 40 ans et vous peinez à convaincre les électeurs aux abois. Faites un petit effort !" répond Mank. En sortant, il assiste au meeting de Sinclair qui dit la vérité : Il y a du travail en Californie, c'est une crise de richesse.
1940, jour J. Le manuscrit "Americain" est achevé. Houseman n'en revient pas : 200 pages écrites en 13 jours. Ils trinquent "aux dispositifs de soutien" autant médicaux qu'alccoliséset commentent le scénarion. Le roi Lear d'un point de vu multiple; qui eut cru qu’il s'attacherait autant à une luge. Mais 327 pages, c'est trop; Welles devra élaguer. Mank recevra une bonne rétribution mais il a cédé ses droits : il ne pourra être au générique. Il répond qu'il avait besoin d'argent. A la question "Pourquoi Hearst ?", Mank répond mystérieusement "Connaissez-vous la parabole du singe du joueur d'orgue de barbarie ?"
Extérieur jour, Wilshire boulevard, 1934 (flash-back)
En voilure avec Sara, Mank lit le gros titre du journal : "Des trains de travailleurs inondent la Californie". Une affiche prétend "Les chômeurs envahiront la Californie si je suis élu" Upton Sinclair; est-ce cela que vous voulez ? Même propagande à la radio, où Herman et Sara reconnaissent la voix de Maude Anderson, qui jouait tante Bertha dans Les sentiers solitaires.
En rentrant au studio, Mamk voit C.C. affublé d'un costume d'homme sandwich comme Grandy qui tourne pour la MGM. Les scénaristes se désolent de la propagande qui place dorénavant Sinclair perdant. Shelly veut lui montrer ce qu'il a réalisé : une fausse bande d'actualité où seuls les noirs et les pauvres votent pour Sinclair. Ceux qui travaillent n'en veulent pas, les vieilles l'accusent de socialisme, et Grady joue un clochard qui se prétend communiste. "Un scénariste est plus dangereux pour un public naïf qu'un politicard" conclut Mank. Il s'en ouvre, mécontent, à Thalberg qui lui révèle que c'est Hearst qui est à la manœuvre. Marion quitte la MGM, il l'a refusé pour Marie-Antoinette. Elle part à la Warner. Thalberg accuse Mank de ne pas se donner les moyens de ses idées. Mank essaie vainement de faire intervenir Marion auprès de Hearst ou de mentir à LBM pour annuler les actualités.
1940 (J+5) Charles Lederer ramène le script, American, à Mank. Il lui repproche d'avoir caricatué sa tante. C'est elle, telle que les Américains l'imaginent, en cantatrice qui fait des puzzles. Charles ramène le scénario, peut-être pour le faire lire à Marion, qui est le souhait non exprimé de Mank.
Extérieur nuit, Club Trocadéro, soirée électorale, 1934 (flash-back)
Hermann est à la table n°1. Sarah le prévient de se taire s'il ne peut être agréable. mank dit pourtant. "si on répète constamment quelque chose de faux, ils finissent par y croire". Chaque vote compte, les plus informés ne sont pas décomptés. Il parie 24 000 dollars que Sinclair gagnera. Mais rien n'y fait 814 000 contre 643 000 voix. Puis Louis B Mayer exulte au résultat final 949 000 contre 729 000. Il s'en va avec Sara mais Shelly est désespéré : Sinclair aurait déclaré avoir perdu à cause des fausses actualités. Eve, sa femme, est aussi est inquiète.
1940 (J+6). Rita et Mank attendent le retour de Houseman qui lit le script avec Orson. Joe vient le prévenir qu’il n'est pas bien de s'attaquer à Marion. On fait surtout courir le bruit qu'il s'en prend à Hearst parce que Mayer l'a viré; "Rosebud" serait le nom que Hearst donnerait aux parties génitales de Marion. N'a pas pris la place de Thalberg à cause de la blague trop raffinée "LeRoy s'amuse". Je suis au bout du rouleau, tu n'as jamais rien écrit de meilleur
Extérieur nuit- Studio MGM soirée électorale, 1934 (flash-back)
Shelley lui dit que c'est une de ses boutades qui a donné l'idée à Thalberg. Il est aussi désespéré d'avoir Parkinson; Il lui demande son arme, six balles mais quand il revient vers Eve, elle s'effondre sachant qu’il a toute une boîte de munitions. Dans le studio MGM, Shelly se tue.
1940 (J+7). Mank est réveillé par Rita : Marion est venue le voir. Elle aime Willie, en mauvaise posture financière. Si le film se fait ou échoue, ils se promettent de se pardonner et rester amis.
Intérieur Jour, synagogue de Wilshire boulevard, 1936. (flash-back)
Funérailles d’Irving G Thalberg. Selznick lui demande, s'il est viré de la MGM, de passer à International.
1940 (J+8). Rita réveille Mank : c'est Orson au téléphone, il a lu le premier jet, en est content mais LBM attaque la RKO : aucune salle ne voudra prendre le film.
Intérieur nuit, salle de réception de San Simeon, 1937, (flash-back).
Mank arriva saoul, LBM et Hearst parlent de l'échec de Marie-Antoinette. Norma Scherrer joue peut-être trop tôt après la mort de Thalberg. Le public n'est pas conquis. Marion-Antoinette, marionnette.
1940 (J+9) C'est maintenant au tour de Sarah de venir au ranch. Mank pense qu'elle aussi essaie de le convaincre de renoncer. Elle lui dit qu'elle l'aimera toujours tant qu'il lui permette de ne pas s'ennuyer.
Retour à San Simeon en 1937. Don Quichotte qui se battrait pour des valeurs sociales comme le souhaitait Upton Sinclair voyant Hearst dans sa jeunesse et Don Quichotte après deux mandats n'aurait rien fait et souhaite écraser le nouveau gouverneur. LB M révèle que Hearst paie la moitié de son salaire parce qu’il aime non pas tant ce qu'il écrit que ce qu'il dit.
1940 (J+10) Orson Welles vient au ranch pour lui dire que le film risque d'être bloqué et qu'on veut bien lui payer ce qu'on lui doit sans qu'il s'attelle à la moindre réécriture avec, en plus, une prime de 10 000 dollars.
Retour à San Simeon en 1937. Les invités ont déserté la table. Hearst raccompagne Mank jusqu'à la porte en lui racontant l'histoire du singe du joueur d'orgue de barbarie qui croyait qu'il obligeait le joueur à jouer chaque fois qu'il dansait.
1940. (J+10). Orson Welles accepte finalement de mettre Hermann au générique. Rita reçoit une lettre comme quoi son mari a survécu sur une ile
Intérieur nuit Hôtel Baltimore, février 1942. Mank et Welles reçoivent l'oscar du meilleur scenario. George Scheffer, président de la RKO reçoit le prix à leur place.
Rio de Janeiro, Brésil 1942, "It's all true", conférence de presse, Citizen Kane avec neuf nominations, ne reçoit qu'un Oscar. "Mank tu n'es qu'à mi-auteur".
Le vrai Herman Mankiewicz est filmé par la télévision avec son Oscar. Il dit que le scénario a été écrit en l'absence d'Orson Welles.
Carton : Mank mourut onze ans plus tard des suites de l'alcoolisme. Ce fut sa dernière collaboration avec Orson Welles, son dernier scenario original et la dernière fois qu'il réclama d'être au générique. Il confiait à un ami : "je suis un rat pris dans mon propre piège que je répare dès qu'une brèche m'offre une chance de m'enfuir. Il avait 55 ans.
David Fincher trouve en Mank un personnage d'orgueilleux qu'il affectionne. Scénariste apprécié, Herman Mankiewicz est considéré comme un bouffon par Louis B. Mayer, le patron de la MGM, et comme une marionnette par William Hearst. Ami de la maitresse de celui-ci, Marion Davis, Mank pensait pourtant pouvoir influencer le magnat de la presse. Humilié par lui, Mank va en faire un sombre Don Quichotte, vidé d'idéal et de substance par Louis B. Mayer. Lui-même, bien loin alors du singe du joueur d'orgue de barbarie, va alors réaffirmer le pouvoir de l'écriture. Ce scénario de la genèse de Citizen Kane, ou plutôt de la rédaction de la première mouture de celui-ci, American, est au coeur de la structure narrative du film. Le plan sur American achevé arrive au mi-temps du film, après six flash-backs narrant sa rédaction et avant six autres pour imposer la signature de son auteur.
Un scénario sauvé par Netflix
Le scénario de Mank est dû au père de David Fincher, grand admirateur de Citizen Kane et dans la même position que le scénariste éponyme du film. Franck Fincher, l'écrit, alors tout juste journaliste retraité, au début des années 1990. Il essaie, comme son héros, de réaliser l'œuvre de sa vie en espérant la confier à un grand cinéaste; ce que n'était alors pas son fils.
C'est dire la lourde tâche qu'assume David Fincher, dix-sept ans après la mort de son père : respecter le scénario que certains diront très bavard et statique alors qu'il est devenu le plus grand cinéaste de la planète. Mais seule cette position permet à David Fincher de trouver en Netflix un producteur peu regardant sur le contenu, du moment qu'il apporte son prestige.
Mank est en effet un film difficile, structuré en laborieux flash-backs, qui raconte moins la petite cuisine hollywoodienne que l'odyssée d’un homme qui tente de racheter sa faute. Herman Mankiewicz a en effet été inconsistant en paroles au point de faire perdre, par les conséquences d'une boutade de trop, les élections de gouverneur de Californie, celui qui représentait son idéal politique. Il en veut par ailleurs à Hearst, qui aurait pu soutenir Upton Sinclair, d’avoir succombé au diktat de Louis B. Mayer plus qu'à l'influence de sa maîtresse, l'intelligente Marion Davis, et être ainsi passé, lui aussi, à côté des idées généreuses qui furent celles de sa jeunesse.
Des flash-backs élaborés
Citizen Kane doit une grande partie de son originalité à sa structure constituée de six flash-backs, pris en charge par cinq personnages différents pour une enquête qui n'aboutit pas. La personnalité de Kane, due au regret jamais comblé du manque d'une enfance heureuse auprès de sa mère, sera incomprise sauf du spectateur qui associe, dans le plan final, la luge de l'enfance au mot "rosebud". Il est donc aussi logique que Mank recourt à une construction en flash-backs.
A défaut d'être fulgurante, cette construction est parfaitement équilibrée. Les deux raisons de l'écriture du scénario sont expliquées dans les douze flash-backs et les deux enjeux du présent, écrire et faire reconnaitre son nom au générique, sont parfaitement distribués autour du point central du film qui voit American, la première mouture du scénario de Citizen Kane, achevé.
Dix des douze flash-backs sont annoncés par un plan où, dactylographié à la machine, apparaissent les indications flash-back, jour ou nuit, lieu et année. Ceux des années 1934 et 1937 sont numériquement et explicativement les plus importants. Cinq sont consacrés à la campagne anti-Sinclair de 1934 ; le premier relatant la boutade fatale qui aboutira aux fausses actualités. Un seul est annoncé comme se situant en 1937 mais il est, de fait, fractionné en trois, les deux autres n'étant pas annoncés. Ils expliquent ce qu'aurait pu être Hearst s'il avait suivi les aspirations de sa jeunesse et évité ainsi le malheureux résultat de 1934. En dehors de ces six flash-backs de 1934, ceux qui sont également annoncés se consacrent, pour le premier à l'explication de l'accident de Mank quelques semaines plus tôt ; à la rencontre avec Marion Davis en 1930 ; à l'anniversaire, très politique également, de LBM en 1933 ; et aux funérailles de Thalberg en 1936.
Ce sont ainsi douze flash-backs puis, à la fin, trois moments documentaires sur l'oscar et sa réception qui fractionnent le récit central sur les soixante jours où Mank écrit le scenario American.
Ces douze flash-backs sont insérés dans treize segments au présent de 1940 : six ont lieu avant la première rédaction du manuscrit, un ce jour-là, et six après. Le présent de 1940 est ainsi, tout autant celui de la rédaction du scénario, celui de la volonté de Mank de ne pas céder aux pressions et de revendiquer la paternité du scénario.
Si l’entrée dans le flash-back est nettement marquée, sa sortie est souvent signalée par un plan sur les blocs-notes où est écrite la première mouture du scénario. Les lettres militaires reçues par Rita encadrent ce récit, une mauvaise nouvelle au début, une bonne nouvelle à la fin.
On évitera devant une telle construction de reprendre le reproche, classique envers Citizen Kane et repris ici par Houseman quand il s'adresse à Mankiewicz après 40 pages : "un fatras de bavardages, de bouts de scènes qui s'agitent comme des pois sauteurs. Quand il lui demande de simplifier, Mank rétorque "Avec plus de temps, ma lettre aurait été plus courte, j'écris comme ça. Le récit est un grand cercle, une brioche roulée, pas une ligne droite vers la sortie. On ne résume pas la vie d'un homme en deux heures, on mieux on en donne un aperçu".
Hollywood reconstitué
Mank est inspiré, semble-t-il, des photos prises durant la Grande Dépression par Walker Evans et Dorothea Lange. Il donne pourtant davantage l'impression de pasticher l'esthétique des studios jusqu'aux indications pour les projectionnistes de l'époque des changements de bobines... qui n'existent plus pour un film numérique.
Welles recherchait un sujet à la hauteur de ses ambitions, et l’entrepreneur le plus en vue de cette époque lui apparaissait à sa mesure. C'est Mankiewicz qui en fait un Don Quichotte raté, soumis à Louis B. Mayer qui apparait plus ou moins sous les traits de Bernstein dans Citizen Kane. Mankiewicz avait obtenu la somme, considérable pour l’époque, de 10 000 dollars, en échange de laquelle il acceptait de laisser Orson Welles apposer son seul nom sur le scénario. Celui-ci terminé, l’écrivain comprend qu'il tient l'oeuvre de sa vie et se bat pour en assumer la paternité. Frank Fincher ne reprend toutefois pas complètement à son compte la thèse de Pauline Kael, la critique du New Yorker, qui avait affirmé, dans un article de 1971, que l’originalité de Citizen Kane, sa construction en puzzle, la multiplicité des points de vue qui s’y affirmaient n’étaient redevables qu’à Mankiewicz. Welles en aurait injustement tiré gloire et, en cosignant in fine le script, se serait attribué la moitié d’un travail qu’il n’aurait jamais effectué. En effet, il est bien signalé que le scénario est trop long, 327 pages. Il sera intégralement repris encore une seconde fois par Mankiewicz. Puis Welles en tirera une version définitive pour son chef-d'œuvre de réalisation.
Tirade en contre-plongée de Louis B. Mayer : "Règle n°1 : l'art pour l'art. On dépense un million de dollars pour des scénarios que nous ne tournons pas. Parce qu’ils ne me font pas pleurer; ce qui me fait pleurer, l'émotion qui provient (en gestes) de la tête, du cœur, du sexe). Règle n°2 : il se dit que la MGM a plus d'étoiles que le ciel. Ne le croyez pas, notre seule étoile c'est Léo le Lion. Ceux qui l'ont oublié sont allés voir ailleurs. Règle n°3 : pour le public MGM signifie Metro Goldwyn Mayer pas du tout, c’est Mayer ganza mishpoka; Mayer et toute sa famille. Ne l'oubliez pas. Quand on a un problème, on vient voir papa. Dans ce commerce, celui qui achète un billet n'emporte qu'un souvenir; ce qu'il a acheté appartient toujours au vendeur. C'est ça la magie du cinéma. Que personne ne vous dise le contraire".
On croise dans son film en 1930, David O. Selznick à la Paramount avec sa dream team de scénariste tentant, plus ou moins concernés, de proposer un film à Sternberg. Puis dès la séquence de 1933 on fait connaissance des personnages principaux : Louis B. Mayer avec Thalberg comme producteur et William Randolph Hearst et sa vedette, Marion Davis.
Mank reprend quelques plans de Citizen Kane, ainsi la bouteille qui tombe des mains de Mank comme la boule de neige des mains de Kane et des scènes que l'on retrouve dans Citizen Kane comme l'évocation de Kane en fauteuil roulant ou les puzzles de Susan Alexander. Sont marquées d'un romantisme plus forts les scenes que l'on ne voit pas chez Welles comme celle de la femme à l'ombrelle, seulement citée dans le flash-back de Bernstein. La poésie culmine dans la séquence dans le parc de San Simeon avec la citation du poème de Don quichotte à sa Dulcinée, ici repris intégralement : "Ses cheveux sont des tresses d’or, son front des champs élyséens, ses sourcils des arcs-en-ciel, ses yeux des soleils, ses joues des roses, ses lèvres du corail, ses dents des perles, son cou de l’albâtre, son sein du marbre, ses mains de l’ivoire, sa blancheur celle de la neige, et ce que la pudeur cache aux regards des hommes est tel, je m’imagine, que le plus judicieux examen pourrait seul en reconnaître le prix, mais non pas y trouver des termes de comparaison".
Jean-Luc Lacuve, le 8 décembre 2020