David part en repérage photographique dans le désert à la frontière du Mexique. Dans la voiture dort Katia que l'on devine être sa maîtresse. Une certaine Michelle lui téléphone en effet pour s'inquiéter de son absence. Il lui dit se rendre à Twentynine Palms, dernière étape avant le désert de Mohave. Katia se réveille. Entre eux, ils parlent un mélange d’anglais et de français. Ils s'arrêtent devant un paysage et laissent passer un train avant de s'approcher plus avant. De retour dans la voiture, ils se disputent lorsque Katia exige que David lui dise à quoi il pense. David refuse de répondre. Katia pleure. Ils arrivent dans le désert de Mohave, font l'amour près d'un monticule de pierre puis, nus, s'y dorent au soleil. Dans leur motel de Twentynine Palms, ils font l'amour dans la piscine. Le soir, à la télévision, ils tombent par hasard sur un film conceptuel.
Le lendemain, ils retournent dans le désert. David laisse Katia conduire. Elle abîme la voiture sur les arbustes du désert. Alors que David descend examiner les dégâts, ils sont doublés par une voiture noire aux fenêtres teintées. David rassure Katia en espérant pourvoir répare les rayures de la voiture de location et la laisse à nouveau conduire. Le soir, ils retournent dans la piscine mais sont dérangés par trois garçons qui jouent au ballon. Le soir ils regardent à la télévision un show idiot.
Le troisième jour, ils partent à nouveau dans le désert et font une longue ballade qui les emmène devant une maison abandonnée, Katia s'attendrit devant un chien à trois pattes. Ils se disputent violemment quand Katia croit, à tord, que David a écrasé le chien. Lorsque plus tard Katia s'enferme dans la salle de bain, ils se disputent et David la jette à la rue. Plus tard, il vient l'observer, alors qu'elle est effrayée par les passages inquiétants d'une voiture bleue. Une nouvelle fois ils se réconcilient. Ils font l'amour.
Le quatrième jour, ils partent à nouveau dans le désert. Une voiture blanche leur fait une queue de poisson. Un peu plus tard, ils roulent avec difficulté sur une route caillouteuse. Ils sont alors violemment poussés hors de la route par la camionnette blanche. Ses trois occupants les font sortir de la voiture. Ils déshabillent Katia et l'obligent à regarder le viol de David. Choqués, ils parviennent à retourner à leur hôtel. Le lendemain matin, David, le visage tuméfié est incapable de la moindre réaction. Katia sort acheter uen pizza. A son retour, elle entend David pleurer contre la porte de la salle de bain fermée à clé. Brutalement la porte s'ouvre. Elle est jetée sur le lit et des coups de couteau viennent lui déchirer le ventre. David, les cheveux arrachés par endroit, vient de la tuer. Le plan final le montre mort, nu comme dans la chambre, perdu dans le désert. Un flic, qui a garé sa voiture près de celle de David, tourne autour du cadavre qu'il vient de découvrire, parlant dans un talkie-walkie. La caméra s'élève toujours davantage.
Bruno Dumont raconte que l'histoire du film s'est imposée à lui lorsqu'il s'est trouvé dans le désert en repérage pour une superproduction américaine qu'il devrait bientôt tourner. La peur physique ressentie dans le grand espace désertique s'est transmuée en désir de faire un film d'horreur. S'inspirant des films de Spielberg mais aussi des séries diffusées sur M6, il distille tout au long du film des indices qui font monter la pression au sein d'une histoire qui apparaît d'abord comme un road-movie mettant aux prises un couple légèrement border ligne.
Si les gestes du couple dans leur quotidien et leur accord sexuel ne laissent pas de doute sur leur amour, la tension entre eux est néanmoins palpable. Maîtrisant mal la langue de l'autre, le français ou l'américain, ils ne peuvent s'expliquer ce qui génère les larmes de Katia ou sa fâcherie lorsque David lui laisse trop longtemps la tête sous l'eau. Dans la piscine, Dumont filme David comme un prédateur, un crocodile s'approchant de sa proie. Le grand espace du désert où ils n'ont rien à faire sinon à vivre leur amour met celui-ci à l'épreuve. De même l'espace exigu de leur chambre révèle pareillement l'exaspération entre ennui et désir.
Dumont dit se livrer là à un travail de soustraction ou d'effacement, nettoyant tout l'espace des corps inutiles, les rues de tout passant (à peine un homme noir avec son enfant vu de dos au magasin) et la chambre de tout décor superflu révélant là une exigence égale à celle de Robert Bresson. De même son attention aux bruits inquiétants hors-champ le rapproche du travail de l'auteur d'Un condamné à mort s 'est échappé ou de Jacques Tati.
Car s'est bien à un vrai travail spirituel et conceptuel que se livre Dumont. Exprimant, comme dans ces deux précédents films, la lourdeur et la bestialité de l'humanité, il laisse au spectateur le soin d'associer les images pour en faire des signes conduisant au drame : la voiture noire en plein désert, les trois garçons entrant dans la piscine, les chiens, l'agression verbale dans la rue, la voiture bleue la nuit précédant le drame, la voiture blanche le matin du viol.
Ce travail spirituel, le rapproche aussi formellement d'un film conceptuel auquel il se laisse aller dans la séquence des éoliennes qui sont vites barrées par le passage d'un train ou dans le film conceptuel que David et Katia regardent à la télévision. Ces images étranges et fascinantes sont d'abord données comme des images "in", en gros plan, avant que l'on ne comprenne qu'il s'agit du programme télévisuel que regarde les personnages.
Cette utilisation d'une immense et indifférente nature en toile de fond de signes de mise en scène rapproche Dumont des plus grands cinéastes. La référence incontournable est celle d'Antonioni et principalement celle à Zabriski point, œuvre dans laquelle l'auteur de L'Avventura disait vouloir passer du figuratif à l'abstraction. On pourra aussi rapprocher le film de Voyage en Italie où le couple est bientôt emporté par quelque chose de plus grand que lui. Si, chez Rossellini, la poussée physique et musicale qui fait suite au miracle rapproche enfin Katherine et Alexander Joyce, on pourra ici dire que pareillement le meurtre final unit le couple dans le sang. Toute la violence latente d'une relation amoureuse s'exprimant ici tragiquement. Cette dimension épique, voire mythologique du film rappelle la fin de L'Argent de Robert Bresson où le héros qui s'était enfermé dans le cercle infernal d'une vengeance intellectuelle était sauvé par le sang de sa victime. Enfin, la référence au Délivrance de John Boorman auquel le viol ne peut manquer de faire penser est également justifiée. Ce n'est pas tant ici le désir mal calculé d'aventure qui est condamné mais, plus ironiquement, l'hétérosexualité triomphante de David. Une fois violé, le pauvre petit homme des cavernes n'est plus rien et se transforme en monstre. Un peu moins d'investissement dans la sexualité l'aurait probablement conduit à moins de sauvagerie.
Jean-Luc Lacuve le 26/09/2003