Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Le voyage de la hyène

1973

Voir: Photogrammes du film
Genre : Film épique

(Touki-Bouki). Avec : Magaye Niang (Mory), Mareme Niang (Anta) Aminata Fall (la tante Oumy), Ousseynou Diop (Charlie). 1h25.

Au son d'une flûte peuhle traditionnelle, un troupeau de zébus avance, guidé par un jeune berger à califourchon sur une des bêtes. Annoncé par des meuglements de plus en plus proches en surimpression de la flûte, le troupeau de zébus est mené à l'abattoir. Un zébu est égorgé alors que le reste du troupeau attend. Le jeune berger, cette fois seul, juché sur sa monture progresse à nouveau. Les pétarades d'une moto couvrent peu à peu la flûte peuhle. Mory chevauche une moto dont le guidon est orné d'une grande corne entre les maisons qui défilent et une ribambelle d'enfants qui l'escortent en criant. Les bruits de la moto s'éclipsent au profit de la flute peuhle, pendant que Mory prend le chemin du centre de Dakar. Il franchit un pont... sur lequel apparait un facteur. Le facteur rejoint le bidonville, proche de l'aéroport, dans lequel vit Anta.

La mère de celle-ci vend des légumes et s'inquiète de ne pas recevoir de lettre de son fils qui vit en France. Une voisine lui conseille de faire appel à un marabout. Comme elle s'éloigne sans payer, elle est prise à partie par Anta qui demande à sa mère d'informer Mory qu'elle part à l'université. Elle traverse le grand espace où les femmes font la lessive. Deux d'entre-elles se disputent et s'en prennent à Margot, le marchand d'eau.

Anta rentre à l'université dédaignant un groupe d'étudiants pro-révolutionnaires. Mory, parti la chercher est pris à parti par cette bande d'étudiants qui l'attachent à leur pick-up : il rêve de chèvre égorgée et d'Anta se déshabillant devant sa moto.

Anta est partie à sa recherche et demande à sa tante Oumi qui prépare une chèvre, où il peut se trouver. Celle-ci, excédée par ses dettes lui dit qu'il s'est jeté de la falaise. C'est une mauvaise farce et Anta rejoint Mory sur Ils font l'amour. Un bateau part demain. Mory tente de gagner 1000 francs avec un joueur de bolto et parvient tout juste à s'enfuir quand il a perdu. Anta et Mory songent alors à dérober la recette obtenue des spectateurs du stade du prochain dimanche. Une compétition sportive destinée à recueillir des fonds pour le mémorial du général de Gaulle est en effet organisée et Mory et Anta parviennent à dérober le coffre sensé contenir la recette et à l'emmener sur le toit d'un taxi. Le choix du coffre bleu par Mory et non du coffret vert se révèle une erreur Il ne contient que quelques vêtements.

Anta et Mory se rendent alors chez Charlie, un riche homosexuel très accueillant. Anta vole de l'argent dans la sacoche d'un invité pendant que Mory entasse les luxueux vêtements de Charlie dans une valise. Les deux jeunes gens dérobent aussi la voiture de Charlie et son chauffeur. En conduisant la moto, Anta est effrayée par un homme blanc qui l'observe du haut d'un arbre. C'est Tarzan qui récupère la moto, une fois Anta tombée à terre et revenu dans la voiture avec Mory. Tous deux ont désormais les moyens et l'allure d'embarquer pour la France. Ils aident même Margot, le marchand d'eau poursuivi pour dettes, à échapper à ses créanciers qui l'attendent près du port. Sur le beau, deux européens, un homme d'affaire et une professeures débitent chacun leur discours néo colonialistes. Au moment d'embarquer, Mory renonce à monter à bord, laissant Anta partir seule.

Mory court vers el centre de Dakar avec des flashes des Zébu à l'abattoir. Mory retrouve Tarzan qui a chevauché la moto mais est tombé à terre. Alors que Tarzan est emmené en ambulance, Mory observe la tête zébu brisée. Le bateau emmène Anta vers paris. Mory reste prostré sur les marches d'un escalier, il revoit la terrasse ensoleillée de laquelle il contemplait la mer avec Anta. Le facteur poursuit son parcourt. Mory se revoit enfant conduisant le troupeau.

La hyène, le zébu, et la marche lente du facteur sont les figures métaphoriques du temps que Diop fait jouer pour proposer sa réflexion sur le devenir de la jeunesse africaine.

Le voyage de la hyène

"Touki-Bouki" ne peut se traduire simplement par "Le voyage de la hyène" tant la rime et le trait d'union imposent un choc poétique entre les deux mots, voyage et hyène. La hyène est l'animal central du conte africain. C'est l'animal qui indique sa route au personnage central de Yeelen (Souleymane Cissé). Animal ambigü, prétentieux et philosophe, c'est celui qui se rapproche le plus de l'homme. Peut-être représente-il ici d'abord le personnage d'Anta, la plus rusée du couple (Elle fait des études, choisit le bon coffre, dérobe l'argent aux invités de Charlie). Elle est aussi celle qui accomplit le voyage.

Souleymane Cissé a déclaré : "L'histoire du Voyage de la hyène est vieille comme le monde : les hommes sont toujours partis en quête de pays étrangers où le temps ne s'arrête jamais. (…) Ce portrait de la société sénégalaise de 1973 n'est pas très différent de la réalité actuelle. Chaque jour au détroit de Gibraltar, des centaines de jeunes Africains perdent la vie en tentant de rejoindre l'Europe. Qui n'en a jamais entendu parler Le film de Djibril porte la voix de leur douleur : ces jeunes nomades pensent pouvoir franchir l'immensité de l'océan en suivant une bonne étoile, un rêve de bonheur, mais ne font que rencontrer la cruauté des hommes."

Il est toutefois probable qu'il ne faut pas faire une lecture trop contemporaine de cette analyse. Mory et Anta ne trouvent certes pas leur place dans la société sénégalaise mais c'est pour le rêve et non pour survivre qu'ils veulent quitter Dakar. Touki-Bouki est une analyse de l'imaginaire de la jeunesse plus que de son désespoir économique. Le rêve du paradis parisien semble déjà rance avec la chanson de Joséphine Baker qui date déjà d'une trentaine d'années. La culture américaine au travers du personnage de Tarzan est traitée avec les mêmes connotations de désuétude et d'ironie. Tarzan renvoie à l'image que l'homme blanc se fait de l'homme noir : un sauvage qu'il peut dominer. Ici, il est plutôt en admiration devant la moto mais ne sait pas bien la conduire et la casse avant de la remettre à Mory

Le sacrifice du Zébu

Le voyage de Mory s'arrête au seuil du bateau : Mory plutôt que d'être contaminé par le discours colonial assume d'être le Zébu, animal majestueux que l'on offre parfois en sacrifice à l'esprit malin qui en veut au malade. Le temps chronologique de l'action, symbolisée par la marche du facteur est englobé dans celui plus vaste du cycle de l'homme et des cultures.

Mory enfant chevauche le zébu avec derrière lui le troupeau que l'on mène à l'abattoir puis Mory chevauche la moto ornée d'une corne se substitue à lui. Ce saut temporel, initié lors du générique, sera repris à la fin où Mory, ayant renoncé à quitter Dakar, revoit la terrasse de pierre où il fut heureux avec Anta et lui-même enfant, chevauchant le zébu.

Cette appropriation de l'espace-temps place le spectateur dans un trouble qu'il lui faudra résoudre en grappillant les connotations qui lui sont proposées. L'effort de synthèse demandé l'éloigne de l'identification mais le conduit vers une vision nouvelle de la réalité, fragmentaire, mythique et musicale.

Jean-Luc Lacuve le 28/04/2014

Test du DVD

Carlotta-Films. Avril 2012. Editeur : Carlotta-Films. Avril 2012. Nouveaux masters restaurés haute définition. 40 €

DVD1 : Les révoltés d'Alvarado (Fred Zinnemann et Emilio Gomez Muriel, 1936, Mexique). DVD2 : Le voyage de la hyène (Djibril Diop-Mambety, 1973, Sénégal). DVD3 : Transes (Ahmed El Maanouni, 1981, Maroc ). DVD4 : La flûte de roseau (Ermek Shinarbaev, 1989, Kasakhstan).

Retour