Chez Azim, barbier. Un client, Soyka, se fait couper les cheveux. Le neveu d'Azim, Ekrem, sous la pluie, rentre dans la boutique, ferme le rideau et semble terrorisé. Son oncle l'oblige à égorger le client. Dans une pharmacie, une jeune fille demande de l'aide. Elle est enceinte. De son entrejambe coule du sang et elle s'évanouit.
Nous sommes le 20 décembre et dans son hôpital londonien, Anna, une sage-femme d'origine russe, met au monde l'enfant de l'adolescente mourante, dont elle a auparavant conservé le journal intime.
Au matin, elle rentre chez elle ou plutôt chez sa mère, Helen, et le frère de celle-ci, Stepan, un vieil original raciste et un peu fou. Anna qui a perdu en enfant en couche et, partant, le mari qu'elle aurait pu avoir, décide de rechercher la famille du nourrisson à partir du journal intime de Tatiana, prénom de l'adolescente décédée.
Dans le journal intime, Anna a trouvé une carte de visite. Celle d'un restaurant russe ultra chic et ultra confidentiel, le Trans-sibérien. Elle s'y rend la veille de Noël. A la porte de celui-ci, elle croise Kirill, psychopathe manifeste et Nikolaï son chauffeur. Dans le luxueux restaurant, elle fait la connaissance de Semyon, un grand-père à la bonhomie inquiétante qui lui déclare n'avoir jamais entendu parler d'une Tatiana mais se révèle intéressé par la traduction de son journal intime lorsque Anna lui révèle qu'elle l'a en sa possession. Il lui donne rendez-vous ici même le lendemain.
Au milieu du repas de veillée de Noël, Kirill et Nikolaï se rendent chez Azim le barbier. C'est Kirill qui avait commandité le meurtre et Nikolaï va maintenant faire disparaître le corps. Il lui coupe doigts et dents mais refuse de le lester lorsqu'il le jette dans la rivière.
Le soir de Noël, Nikolaï ramène Kirill ivre mort à la maison et modère la colère de Semyon. Un peu plus tard, Anna revient voir Semyon avec une photocopie du carnet. Celui-ci refuse de le traduire avec elle et lui propose de la retrouver pour lui lire le contenu. Il sait où la trouver. La moto d'Anna est en panne et c'est Nikolaï qui la reconduit.
Dans le journal intime, que son oncle a commencé à traduire, il a découvert les mots de viol, de drogue et de prostitution. Il déconseille à Anna de montrer ce carnet à qui que ce soit.
Dans un bouge, Kirill oblige Nikolaï à faire l'amour avec une prostituée sous ses yeux. Nikolaï lui remet de l'argent et demande son nom.
Le corps de Soyka est retrouvé par la police. C'était un Tchétchène appartenant au clan des Vory v zakone, ces détenus hors normes de prisons russes dont les tatouages racontent les faits d'armes. A l'intérieur de sa poche, l'inspecteur de Scotland yard trouve un curieux document. Semyon découvre que c'est Kirill qui a fait assassiner Soyka. Une nouvelle fois, Nikolaï calme sa colère mais Semyon rappelle à son fils que celui qu'il a fait tuer avait des frères.
A l'hôpital, Semyon vient expliquer à Anna que le carnet pourrait gravement nuire à lui-même et à son fils et lui propose l'échange du journal contre le nom et les coordonnées de la famille du bébé.
Chez elle, Anna découvre son oncle et sa tante traduisant le carnet de Tatiana. Il y est dit que c'est Semyon qui a violé Tatiana, son fils n'y arrivant pas. Anna accepte toutefois l'échange. C'est Nikolaï qui vient récupérer le carnet mais il n'a pas d'adresse en échange. Anna lui demande de lire le carnet et le poursuit dans la rue et son oncle crache au visage de Nikolaï.
Nikolaï lit le carnet et le remet à Semyon qui l'interroge sur la réputation de son fils. Il n'est pas surpris qu'on le traite d'alcoolique et de pédé. Il brûle le carnet et demande à Nikolaï de passer à son service en tuant l'oncle d'Anna qui en sait trop. Nikolaï vient rendre sa moto à Anna et lui remet l'adresse des grands-parents de Christine. Il lui déconseille de l'y envoyer ; l'adopter serait une meilleure solution.
Lors de match Chelsea-Arsenal, Ekrem, le neveu du barbier, est égorgé par le tchéchènes. C'est l'anniversaire de la mère de Semyon. Le barbier vient dire à Semyon que les tueurs sont sur la piste de son fils. Azim a promis de livrer Kirill pour avoir la vie sauve mais il a trop peur de Semyon. Celui-ci comprend que les tueurs ne savent pas à quoi ressemble son fils et il demande à Azim de leur dire qu'il a besoin de deux jours pour leur livrer Kirill. Anne lit la confession de Tatiana qu'a traduit son oncle. Elle révèle qu'elle est enceinte de Semyon. Nikolaï se rend chez l'oncle dans la nuit.
Le soir suivant, Christine s'en vient devant chez Semyon et défie Kirill qui rentre chez lui avec Nikolaï en lui disant que le bébé qu'elle a mis au monde est celui de Semyon. Kirill très en colère se calme et dit à Nikolaï que la prostituée avec qui il lui a ordonné de baiser a été arrêtée par la police qui, connaissant son nom l'a soustraite à leur pouvoir. Semyon envoie son fils à la cave l'humiliant ainsi pendant qu'il annonce à Nikolaï, qui affirme avoir tué Stepan, qu'il va faire de lui son fils adoptif. Kirill, déjà saoul dans la cave, fait semblant d'être au courant.
Semyon a convoqué les initiés de la secte des vori v'zakone qui vont juger si Nikolaï est digne de devenir l'un des leurs. Nikolaï révèle, qu'il a fait de la prison des quinze ans pour avoir aider son père à vendre des pièces détachées volées aux voitures officielles du régime. Il passe avec succès l'examen et les étoiles sont gravées au-dessus de son cur et sur un genou.
Ce n'était qu' piège. C'est lui qui se rend au rendez-vous fixé par Azim aux frères tchétchène dans les bains publics. Le barbier s'éclipse désignant l'homme aux étoiles aux deux frères. Dans le hammam, Nikolaï tue les deux frères à coups de serpe. Grièvement blessé, il est conduit à l'hôpital et surveillé par Anna. Il lui explique que son oncle n'est pas mort mais caché dans un hôtel à Edimbourg.
Il s'y révèle être un agent d'Interpol infiltré dans la mafia russe. Il propose à l'officier de faire arrêter Semyon en apportant la preuve qu'il est le père du fils de Tatiana et qu'il pourra être arrêté pour le viol de cette dernière. Une prise de sang suffira à révéler qu'il est le père. Nikolaï affirme vouloir aussi prendre le contrôle de la mafia russe sur londrès.
Le 31 décembre, la police débarque chez Semyon et effectue la prise de sang. Mais Kirill, présent explique vraisemblablement à son père que la police pourrait être au courant par Anna de sa paternité de l'enfant de Tatiana. Kirill vole l'enfant dans l'hôpital. Nikolaï et Anna le récupèrent juste à temps. Kirill jure à Nikolaï qu'il ignorait que son père voulait l'éliminer. Nikolaï lui promet de partager le pouvoir avec lui maintenant que son père va être arrêté. Il dit à Christine n'avoir jamais eu d'autre but que de devenir roi de la mafia à la place du roi.
Nikolaï est devenu le chef de la mafia, Anna a adopté Christina. Ils ne seront jamais ensemble.
Après A history of violence, Cronenberg s'aventure une nouvelle fois dans le film de gangsters. Il s'y révèle à la fois plus classique et plus sombre, refusant la réconciliation de ses personnages avec le monde pour en faire des héros tragiques, désespéramment seuls.
Un film de gangsters
Cronenberg renouvelle une tradition qui va de Scarface aux Parrains de Coppola en nous présentant un film de gangster classique : une innocente, Tatiana puis une seconde, Anna, qui prend le relais, plongées dans un milieu qui n'entretient que mépris pour la dignité humaine. Le milieu décrit est celui de la mafia russe avec ses codes, sa musique, ses clans (Russes, Tchétchènes, prisonniers Vory v zakone), dirigée par un patriarche qui hésite entre deux fils, le sien devenu psychopathe et celui qu'il envisage d'adopter. Le patriarche sous le décorum du luxe et de la famille s'y révèle un violeur, un assassin et un proxénète.
L'originalité majeure du film tient sans doute à l'autonomie donnée à Nikolaï et Anna, couple improbable, qui chacun séparément font avancer l'histoire qui atteint ainsi un grand niveau de complexité.
Les premiers ressorts dramatiques reposent sur la révélation de ce que contient le carnet et sur le danger qu'il représente pour ceux qui vont le lire, principalement Anna et son oncle. L'interrogation principale se déplace ensuite sur le personnage de Nikolaï : pourquoi ne leste-t-il pas le corps ? Pourquoi le retrouve t-on si vite ? Pourquoi a-t-il laissé un document compromettant ? Pourquoi demande-t-il le nom de la prostituée ? A-t-il tué l'oncle ? Que cherche-t-il, la puissance pour contrer la mafia ou pour elle-même ?
L'intégrité morale dans un corps machine, histoire et prison
Pour Cronenberg, l'enjeu pour le sujet est toujours de recouvrer son autonomie dans un monde où la technologie, la science et la psychologie assurent que tout est normal. C'est dans l'organisme humain, lieu de tension, que s'écrit et se construit le destin de l'homme.
Si son équilibre est rompu, par l'effet d'un virus, la maladie s'installe et les cellules prolifèrent de manière incontrôlée. Elles vivent leur propre vie mais engendrent un cancer qui détruit le corps et, par voie de conséquence, entraîne la mort. L'équilibre peut aussi être rompu sous l'effet de la maladie mentale. L'ombre gagne alors progressivement sur la lumière comme dans Faux-semblants ou la lumière de la conscience est insuffisante pour éclairer les traumatismes de l'inconscient comme dans Spider.
L'équilibre peut aussi être rompu par l'engagement du personnage dans la drogue (Le festin nu), le jeu (eXistenZ) ou la violence (A history of violence). L'écriture dans le premier cas, l'amour et la famille dans le troisième peuvent proposer une alternative à la dégradation de l'individu.
Là, c'est la maîtrise de son propre corps qui menace Nikolaï, capable de subir les tatouages sans broncher et les coups de serpe sans mourir. Corps autoproclamé sans père ni mère biologique, Nikolaï croit ne devoir son histoire qu'à lui-même ; c'est la fierté de ses tatouages. Sa mégalomanie (quelle drogue vous a t-on fait prendre soulignait l'inspecteur de Scotland yard) n'aura réussit pourtant qu'à peine à desserrer l'étau de la mafia.
Finalement ni les eaux de la Tamise ni le sang n'auront réussit à unir Anna et Nikolaï. Au sang de l'égorgé répondait pourtant le sang perdu, le rouge du sac de Tatiana et du carnet rouge qui y était contenu. Ils sonnaient comme une promesse de réconciliation. Le sang sur le corps du bébé était aussi celui qui l'avait aidé à vivre.
Cette réconciliation est figurée brièvement par le plan de nuit au bord de la Tamise. Cronenberg a déjà fait de cette séquence un moment quasi shakespearien qui réconcilie l'enfant et le monstre, Kirill et Christina, le noir psychopathe et le bébé habillé de blanc. Le réalisateur prend ensuite grand soin d'établir une figure de triangle en penchant la tête brune de Nikolaï vers la tête blonde d'Anna avec le bébé au premier plan fermant le triangle dans un raccourci saisissant.
Le bref baiser qui s'échange se révèle hélas sans lendemain. L'univers féminin (Helen, Anna, Christina) reste seul de son coté, certes protégé, Stepan revenu et Nikolaï, chef de clan mais enfermé dans le cadre restreint des murs bourgeois et du jardinet. Nikolaï avec une bouteille d'alcool et un châpelet pour seuls compagnon semble plus prisonnier de la mafia que libre de son destin.
Eastern promises
Les promesses de l'Est du titre original, ce sont sans doute celles faites à Tatiana, à Anna et à sa famille et à Nikolaï à qui l'on a promis une vie meilleure à Londres. Le bonheur se transforme en cauchemar (calvaire, solitude ou prison), en promesses de l'ombre selon la traduction française.
La première fois que s'élève la voix de Tatiana, elle est rayonnante. Cronenberg la fait entendre avec lyrisme lorsque Anna s'en va en moto pour sa première visite au Trans-siberien après l'ellipse sur la carte de visite retirée du journal. Ces mêmes phrases "père et mère enterrée dans la terre de Russie..." seront réentendues à la fin, alors que Nikolaï reste tragiquement seul, marquant ainsi un bouclage ironique et sans espoir pour le personnage.
Les phrases de Tatiana seront toujours accompagnées d'un thème mélodique au violon, distinct de la phrase musicale romanesque qui souligne l'émotion de Anna. Ce thème musical au violon, c'est celui que répètent maladroitement les deux petites-filles de Semyon qui leur reproche de ne pas faire suffisamment chanter leur instrument. Les enfants, trop naïfs, inexpérimentés, sacrifiés sur l'autel d'une modernité trop lisse où gens normaux et gentils laissent coexister une mafia tentaculaire, telles peuvent être également lues ces promesses de l'Est, les promesses qui s'élèvent là où le soleil se lève.
Jean-Luc Lacuve le 09/11/2007.
Tatouages (source : Télérama)
David Cronenberg travaillait encore à l'écriture des Promesses
de l'ombre quand Viggo Mortensen lui a transmis un livre sur la culture
et les codes du tatouage dans les prisons russes. Personne ne sait vraiment
quand le tatouage est devenu une pratique courante dans les prisons russes
et les goulags de Staline. Des chercheurs soviétiques ont découvert
et étudié ce phénomène vers 1920. Les photographies
prises à l'époque témoignent d'une sous-culture déjà
très riche et très élaborée. Au-delà de
leur fonction décorative, les tatouages renseignent sur le passé
du prisonnier et sur son rang dans la complexe hiérarchie sociale des
prisonniers. Une main tatouée, comme celle qui orne l'affiche du film
de Cronenberg, peut raconter nombre d'histoires. Une devise en caractères
codés (" Dans la vie, ne compte que sur toi-même ",
par exemple) ou établir un palmarès (trois crânes sur
un doigt = trois meurtres commis par le prisonnier)
Les prisonniers se font souvent tatouer sur la poitrine ou le dos des monastères, cathédrales, châteaux ou forteresses... Le nombre de tours peut représenter le nombre d'années pendant lesquelles ils ont été enfermés, ou le nombre de séjours passés en prison. Les insignes militaires renvoient souvent à une histoire criminelle mouvementée. Les crânes sont réservés aux meurtriers, et une épaulette tatouée sur l'épaule indique que le criminel est passé par le mitard. L'imagerie nazie est assez répandue. Un insigne SS à même la chair peut ainsi montrer qu'un prisonnier inspire le respect car il n'a jamais rien avoué.
"Vous êtes sur un terrain dangereux Anna Ivanovna, vous appartenez à ce monde. Ces gens, sont des gens bien. Alors évitez des gens comme moi"
"Je m'appelle Tatiana, mon père est mort dans un éboulement à la mine du village alors il a été enterré en même temps. On était tous enterré là-bas. Enfin je veux dire dans la terre de Russie. C'est pourquoi je suis partie. Pour essayer de trouver une vie meilleure.."