Faux semblants

Médecins gynécologues, les frères jumeaux Elliot et Beverly Mantle partagent tout : leur appartement, une clinique gynécologique, les femmes et leurs lits. Jouant parfois à se départager en se faisant passer l'un pour l'autre, ils fonctionnent comme les deux versants d'un même individu et semblent se fondre, par la combinaison de leurs différences, en un être unique et complet. Ils s'emboîtent très exactement, le côté renflé dans le creux de l'autre, et jouissent de leur complémentarité afin de laisser perdurer l'illusion d'un œuf commun.

Elliot, l'aîné manifeste une propension pour le monde du dehors et contrôle les échanges avec l'extérieur comme une sorte de peau. En sens inverse, Beverly, comme blotti au creux de son cocon, lui transmet l'expérience des profondeurs. Dans leurs métiers de gynécologue, ils sont complémentaires. Dans l'obscurité, Beverly, qui travaille dans l'ombre de son frère, se consacre à la connaissance fondamentale. A l'inverse, Elliot aspire à la reconnaissance sociale. Il déclare d'ailleurs à son amante : "Mon frère et sa recherche sont à la base de ma carrière. C'est un autre moi. On nous perçoit comme une seule personne"

Beverly ausculte dans son cabinet une patiente, Claire Niveau, qui s'avère être une mutante. Confronté à l'anomalie mystérieuse de cet utérus trifide, Beverly s'empresse de prévenir Elliot. Les frères Mantle sont fascinés par l'utérus trifide de Claire. Celle-ci estime que son utérus à trois cols est la réponse de son corps à son mal psycho-sexuel qui l'amène à désirer des relations sado-masochistes.

Alors qu'ils avaient pour coutume de tout partager et notamment les femmes, avec Claire, les jumeaux arrivent à un point de rupture. Suite à la décision d'Elliot de quitter la ville pour occuper la présidence de l'université, Beverly se blotti en Claire comme dans un ventre maternel. Mais celle-ci doit partir dix semaines en tournage en Georgie. Beverly se réfugie dans le sommeil. En proie à une jalousie maladive, il absorbe diverses drogues. De son coté Elliot cherche à retrouver la fusion originelle en faisant l'amour à deux jumelles l'une devant l'appeler Elly et l'autre Bev.

Un délire paranoïaque s'empare de Beverly qui semble vouloir se cacher d'Elliot et sombre dans un authentique délire de persécution. Bev/Erly, ne sachant plus s'il est Bev ou s'il est Elly se présente désormais comme l'un des jumeaux Mantle.

A la suite d'un incident survenu au bloc opératoire, le conseil des médecins retire aux jumeaux le droit de pratiquer. Désormais ils n'auront plus le droit de toucher à la chair, ils devront se cantonner dans un travail de recherche. Décidé à mener une action radicale pour soigner son frère, Elliot contrôle les drogues qui entament sa raison. Il prend des amphétamines afin de veiller Beverly à qui il administre de puissants somnifères. Elliot et Beverly doivent redevenir synchrones, battre à nouveaux selon les mêmes pulsations. Claire réapparaît comme l'incarnation d'uen dernière chance. Beverly se rend chez elle, malade. Mais au bout d'une semaine il a repris pied. Sans nouvelle de Elliot il quitte Claire. Parmi les déchets qui tapissent le sol, Beverly découvre Elliot prostré, replié sous la douche qui lui souhaite bienvenue. Désormais, ils n'ont plus qu'à partir ensemble à la dérive. Sous l'effet de drogues de plus en plus nombreuses, Elliot se laisse opérer par Beverly qui l'éventre pour découvrir l'intérieur de cet autre lui-même.

Le lendemain matin, Beverly se réveille, s'habille et se rase. Il sort téléphoner mais ne sait pas répondre à Claire quand elle lui demande qui l'appelle. Il rentre à l'intérieur de l'appartement, cette fois définitivement.

Médecins gynécologues, les frères jumeaux semblent vivre en symbiose parfaite dans l'illusion de ne faire qu'un jusqu'à ce que l'amour d'une femme les sépare. En proie à la solitude, les jumeaux se réfugient dans des univers de substitution. Ainsi ils expérimentent tour à tour puis simultanément le sommeil, la drogue et la folie.

Source : Géraldine Pompon et Pierre Véronneau, David Cronenberg : la beauté du chaos. Editions cerf-corlet, collection 7ème Art