Les crimes du futur

Au bord d'une plage en Grèce, près d'un navire échoué sur le flanc, un enfant, Brecken, creuse le sable avec une cuillère. En retrait, l'observant depuis une villa délabrée, sa mère lui ordonne de ne rien manger. L'enfant revient près de sa mère puis va dans les toilettes où... il mange la poubelle en plastique. Tard dans la nuit, sa mère l'étouffe avec un oreiller puis demande à un ami du père de l'enfant de venir chercher "sa créature".

Caprice vient réveiller Saul Tenser de son orchidebed, invention de FreeWild. Elle a observé une nouvelle protéine dans son sang, signe de sa création en son corps d'un nouvel organe. Saul est soulagé tant il craint toujours de ne plus être capable de faire œuvre en générant en lui de nouveaux organes. Saul est en effet un artiste performeur de grande réputation. Il souhaite dès à présent signer son œuvre par un tatouage interne qu’il entreprend avec Caprice, sa compagne et chirurgienne d’exception. Sous surveillance vidéo, elle lui enfonce un pod encreur dans le ventre. Il va ensuite faire enregistrer son nouvel organe au "Bureau du registre national des organes", organisme encore officieux mais dont ses deux fonctionnaires, Wippet et Timlin, attendent une reconnaissance de la part de la "nouvelle brigade des mœurs". Il s'agit en effet de repérer tous les nouveaux organes générés anarchiquement par les humains afin de vérifier qu'aucune mutation à grande échelle ne transforme l'humain en mutant. Le bureau est très fier de rencontrer Saul qui est le seul à manifester un tel désir d'enregistrement tant est si bien que la majorité des dossiers en leur possession est  de lui. Timlin, jeune femme aussi joie que coincée, ne laisse pas Saul indifférent.

Revenu chez eux, Caprice convoque la société FreeWild qui a conçu " l'Orchidebed" pour anticiper et se conformer à tous les besoins du corps lors du sommeil en notamment éviter de souffrir lorsque des mutations s’opèrent en Saul. Dani Router et Berst, les représentantes locales de la firme d'avant-garde règlent aussi le "EatWare", fauteuil en forme d’ossements organiques pour calmer la douleur liée à ses facultés de digestion. Dani Router et Berst admirent aussi le "Sark", sorte de sarcophage tentaculaire, à l'origine conçu pour pratiquer des autopsies, mais si performant quil peut se transformer en table d'opérations chirurgicales.

La performance de la mise à jour du nouvel organe de Saul à lieu. Caprice munie d'un panneau de commande en gelée, utilise un ensemble de bras ossements en forme de pince pour ouvrir l' abdomen de Saul, enfermé dans le "Sark", pour retirer le nouvel organe créé. Des écrans de télévision diffusent le slogan de l'artiste : "le corps, c’est la réalité" pendant que les spectateurs filment la performance. Impressionnée, troublée, Timlin vient interoger Saul : « La chirurgie est-elle le nouveau sexe ? ».

Saul assiste ensuite à la performance de Tarr, bouche et paupières cousues parce qu'il faut cesser de voir et de parler ; écouter seulement. C'est ce qu'il prouve en ayant de multiples oreilles, surgies sur tout le corps. Pendant qu’il danse, Adrienne Berseau révèle à Saul que si Tarr est un bon danseur c'est néanmoins un imposteur : ses oreilles sont postiches et ne proviennent pas d'une mutation. Elle lui conseille de voir le Docteur Nasatir qui lui révélera en quoi ses performances sont politiques.

En sortant, Saul est abordé par Lang Dotrice qui lui propose une nouvelle performance : procéder dans le "Sark" à une véritable autopsie, celle de son enfant, Brecken, dont il affirme avoir le corps.

L'inspecteur de la brigade des mœurs vient aux renseignements auprès de Saul qui est un informateur. Il lui fait part de sa rencontre avec Lang Dotrice et son "projet Brecken" que l'inspecteur ne le décourage pas de poursuivre. Intrigué, Saul va voir la femme de Dotrice qui lui confirme avoir tué son fils, ne supportant pas sa mutation en mangeur de plastique. Lang Dotrice est en effet à la tête d'un groupe de transhumanistes qui tentent de faire muter l’espèce pour transformer le plastique qui empoisonne celle-ci en denrée consommable. Le groupe fabrique des barres de plastiques nutritives qui intoxiquent mortellement  les humains non mutés s'ils s'en emparent accidentellement. Elles ressemblent en effet à des barres chocolatées. Ils veulent profiter de la notoriété de Saul pour révéler au monde la prochaine étape de l’évolution humaine.

Caprice est allée voir une nouvelle performance, celle d'Odile qui se fait pénétrer la jambe mais surtout le visage de multiples scalpels. Saul repousse les avances de Timlin ne se sentant pas de disposition pour "le vieux sexe". Saul va voir le Docteur Nasatir qui n'a aucune piste politique à lui offrir mais lui entaille le ventre afin de participer au nouveau concours de la Beauté intérieure. Saul ne sachant pas encore dans quelle catégorie concourir : plus bel organe ou plus belle performance.

Saul accepte de pratiquer l'autopsie de Brecken mais celle-ci ne révèle à l'intérieur du corps de l'enfant que de vilains organes, mal connectés et mal tatoués. C'est un désastre et Lang Dotrice en pleure. Pour contrefaçon, il est assassiné à la perceuse par Dani Router et Berst. L'inspecteur révèle à Saul qu'avant qu'il n'intervienne, Timlin, impatiente de pratiquer de la chirurgie, avait pratiqué une opération et remplacé les organes de Brecken par un amas d'organes mal tatoués afin de saboter la performance de Saul pour empêcher la révélation d'une mutation des humains.

Caprice révèle à Saul qu'il a généré un nouvel organe. Tous deux craignent alors qu’il soit soumis au "syndrome d'évolution accélérée". Il est temps d'expérimenter la possibilité d'une mutation générale : Saul mange la barre de plastique et la digère avec ravissement.

  Les Crimes du futur reprend le le titre du deuxième long-métrage, Crimes of the future, de David Cronenberg. Le film de 1970 évoquait la fin de l'humanité par la disparition des femmes en âge d'enfanter et le lamentable échec du docteur Tripod, prêt à faire muter des fillettes. Le film de 2022, tout en se situant dans un contexte de désastre climatique, est une réflexion sur la souffrance de l'artiste, témoin adulé d'un monde en mutation. Néanmoins cette place privilégiée pourrait disparaître avec l'avènement d'un monde nouveau où le corps se sera adapté aux nécessité de la technologie. Les crimes du futur reprend nombre d'obsessions du réalisateur mais la rigueur de la mise en scène, alliée à un humour plutôt inhabituel, en fait probablement son œuvre testamentaire.

Nombre d'obsessions du réalisateur sont repris ici : objets technologiques en forme d’ossements organiques comme dans eXistenZ ; abdomens où on peut introduire ou d’où on peut extraire des objets mi-techniques mi-biologiques comme dans Vidéodrome ; êtres aux organes de formes délirantes comme dans Le festin nu ; recours aux outils chirurgicaux comme dans Faux-semblants ; souffrance recherchée par pénétration d'objets dans le corps comme dans Crash.

La création est une souffrance lors d'un moment de crise entre deux mondes. Le monde décrit semble au bord du gouffre. Un bateau est échoué sur la plage suggérant que la catastrophe climatique est en cours. Les personnages évoluent surtout la nuit. La photographie privilégie les clair-obscur de l'éclairage nocturne dans des décors très pauvres retrouvant souvent l'ambiance des films noirs. Saul est d'ailleurs un indicateur et il se fera doubler par Timlin qui opère Brecken avant lui pour disqualifier la propagande des mutants. Car un nouvel espoir apparaît avec la mutation permettant aux humains de se nourrir du plastique qui intoxique la planète. Les maladies infectieuses sont éradiquées et sans doute presque toutes les maladies. Si bien qu'éprouver de la douleur est un choix, un luxe. La fiévreuse et balbutiante Timlin se pose même la question : La chirurgie est-elle le nouveau sexe ?  Dans un monde en crise, en mutation, l'artiste sur la crête du cycle de la destruction et de la renaissance du monde. L'art est toutefois tout proche de l'institutionnalisation avec ses faussaires (Timlin) et  ses imposteurs (Tarr). En réponse à la possibilité d'une interprétation politique de son art, Saul ne reçoit que la possibilité de participer au concours de la beauté intérieure. Si l'art performatif est pris au sérieux par Cronenberg, il se permet quelques pointes d'humour ainsi du dilemme de la catégorie à choisir : plus bel organe ou plus belle performance ?

Jean-Luc Lacuve, le 29 mai 2022.