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Somewhere

2010

Voir : Thème musical
Thème : Los Angeles

Avec : Stephen Dorff (Johnny Marco), Elle Fanning (Cleo), Benicio del Toro (la célébrité), Michelle Monaghan (Rebecca), Laura Ramsey (la femme marin), Eliza Coupe (une voisine à l'hotel), Karissa Shannon (Cindy). 1h38.

Une Ferrari noire fait six tours de piste d'un petit circuit automobile perdu en plein désert. Johnny Marco s'extrait de sa voiture puis se rend au légendaire hôtel Château Marmont de Los Angeles qui héberge les stars depuis 60 ans. Acteur célèbre et fêté, Johnny boit trop et se casse le poignet et ratant les dernières marches d'un escalier.

Dans sa chambre, deux charmantes jumelles habillées en soubrettes lui font un numéro de charme. Il s'endort. Le lendemain matin, son attachée de presse l'informe qu'il est attendu pour une conférence de presse. Il répond laconiquement à quelques questions très diverses. Le soir dans une fête, il rencontre un jeune acteur qui lui demande des conseils et une starlette qu'il ramène dans sa chambre. Il s'endort au stade du déshabillage. Le matin un crayon inscrit sur son plâtre le prénom "Cleo" sous un coeur. Johnny aperçoit alors sa fille de onze ans que sa mère vient lui déposer pour la journée.

Ensemble, ils vont à la séance de patinage de Cleo. Sur la route, Johnny s'inquiète de messages sur son portable et d'un mystérieux 4x4 qui les suivrait. Johnny regarde négligemment Cleo patiner puis tombe sous le charme. Cleo lui apprend qu'elle patine depuis maintenant trois ans. Le soir Johnny reconduit Cleo chez sa mère.

Les deux jumelles lui font un autre numéro de charme, déguisées, cette fois, en tenniswomen. Johnny apprécie et garde Cindy pour la nuit. Le lendemain, son attachée de presse l'informe qu'il doit se rendre au studio pour une séance d'effets spéciaux. Les techniciens lui confectionnent un masque destiné à le vieillir. Pendant quarante minutes il doit rester sans bouger, respirant seulement par ses deux narines.

Le soir sa voisine d'en face lui demande une cigarette. Il n'en faut pas plus à Johnny pour entrer dans son appartement et sa chambre. Au matin, alors qu'il regagne son appartement, il découvre Cleo qui l'attend. Sa mère l'appelle au téléphone. Elle a besoin de prendre du recul par rapport à sa vie et lui demande de s'occuper de Cleo jusqu'aux vacances toutes proches où elle partira en colonie.

Johnny emmène immédiatement sa fille à Milan où il doit faire la promo de son dernier film. Une journaliste TV l'interview alors qu'une star dont il fut l'amant lui reproche de l'avoir laissée sans nouvelles. Très bien accueillis par le producteur, Johnny et Cleo profitent de la piscine de leur suite.

Le soir venu, le père et la fille mangent des glaces en regardant la télévision. Cleo est endormie lorsqu'on frappe à la porte. Johnny ouvre à la star italienne et l'entraîne vers sa chambre. Elle est présente au petit déjeuner et Cleo en fait le reproche muet à son père. Le soir, Cleo subjugue l'équipe du film par son élégance. Elle assiste en souriant à la remise d'un prix d'interprétation à son père qui subit sans rechigner un numéro assez vulgaire, sensé coller à sa réputation de séducteur. Apres la cérémonie, Johnny et Cleo s'enfuient de Milan et regagnent l'hôtel Château Marmont.

Ils passent quelques jours encore ensemble puis rejoignent le camp de vacances. Cleo a le cafard. Elle ne sait si sa mère sera là à son retour et son père est toujours absent. Pour la reconforter, Johnny l'emmene une journée à Las Vegas et se sent coupable lorsqu'elle part pour la colonie.

Rentré à Los Angeles, la solitude lui pèse. Il prend sa Ferarri et s'en va rejoindre sa fille.

Le film est très proche dans son principe de Lost in translation, mettant en scène dans un grand hôtel des instants d'intimité apaisés, élégants et légers, volés à tout ce qui pourrait séparer une jeune fille et un homme plus âgé, étrangers l'un à l'autre. Qu'ici, il s'agisse d'un père et sa fille, d'une star de cinéma, personnage socialement hors norme et d'une jeune fille d'une extrême gentillesse empêche de penser que Sofia Coppola aie voulu se prêter à une variation brillante sur le vide contemporain.

Elle affirme au contraire sa volonté de tirer encore davantage sa mise en scène vers l'épure et l'intime. On y retrouve une volonté conceptuelle, sérielle, presque expérimentale, épiphanie de l'émotion au sein du quotidien qui rappelle le Walden de Jonas Mekas, Nostalgia de Frampton ou Hotel Monteray de Chantal Akerman.

Les six tours initiaux du circuit automobile qui préparent la ligne droite de la séquence finale, la répétition des scènes d'hôtel, les retours des jumelles ou de la star, les deux séquences de salle de bain, les deux séquences de cuisine marquent cette capacité qu'à la répétition à exprimer les émotions différentes au sein d'un même cadre sans pathos et avec élégance. Les deux travellings optiques très visibles du film l'expriment avec force. Dans le premier, un zoom avant vient cadrer au plus près le masque de cire sous lequel respire avec peine Johnny. A lui seul, il ne ferait que refléter, le statut de l'acteur, réduit à une marionnette, emmuré dans sa solitude. Le zoom arrière qui s'éloigne de Johnny et Cleo prenant le soleil sur leur transat pour les cadrer, ensemble, alors que s'accumulent des personnages solitaires au bord de la piscine, dit en revanche ce que peut avoir d'exceptionnel un moment partagé à deux.

Si Jonas Mekas était enfermé dans New York, Sofia Coppola l'est dans Los Angeles. Ce n'est ainsi pas la scène new-yorkaise des années 60 qui est convoquée mais celle de créateurs typiques de Los Angeles. Ed Ruscha et sa série de photos "Nine swimming pools and a broken glass" (1968) influence les scènes de piscine. L'une de ses toiles décore la chambre d'hôtel de Johnny. Il y est écrit "bière fraîche, jolies filles… ". L'hommage à Helmut Newton qui logeait chambre 59, juste au-dessus de la 49 occupée par Johnny dans le film, transparaît d'une part dans la séquence de la voiture encastrée dans le mur de l'hôtel Marmont. C'est ainsi que le photographe mourut en 2004. Plus explicite, l'image fugitive d'une jeune femme aux seins nus se faisant couper les cheveux qui renvoie à "Arielle after a haircut", photo prise à Paris en 1982 par Helmut Newton.

Sofia Coppola est née "quelque part". Elle rend hommage à sa ville comme à sa capacité d'avoir dépassé le stade d'actrice pour devenir metteur en scène. La structuration de son récit lui permet de trouver sa place à l'inverse de l'acteur dont, un moment, le matelas sur une piscine dérive lentement vers le hors champ. Le hors champ menace toujours la vie des acteurs que ce soit celui duquel écrit l'auteur des textos insultants ou celui où se tiendrait le 4x4 inquiétant. Sofia Coppola joue plein cadre des variations au sein de la répétition, y trouve la grâce et l'élégance. Lorsque l'intiment vécu sert de base à l'affirmation d'une structure formelle, cela donne forcement un beau film.

Jean-Luc Lacuve le 12/01/2011

Bibliographie : Louis Guichard dans Télérama du 8 au 14 janvier 2011.

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