Ni le ciel, ni la terre

2015

Avec : Jérémie Renier (Antares Bonnassieu), Kévin Azaïs (William Denis), Swann Arlaud (Jérémie Lernowski), Marc Robert (Jean-Baptiste Frering), Finnegan Oldfield (Patrick Mercier), Clément Bresson (Etienne Baxer), Sâm Mirhosseini (Khalil Khan), Christophe Tek (Stéphane Boissel). 1h42.

Afghanistan 2014. A l’approche du retrait des troupes, le capitaine Antarès Bonassieu et sa section sont affectés à une mission de contrôle et de surveillance dans une vallée reculée du Wakhan, frontalière du Pakistan.

Le contrôle de ce secteur supposé calme consiste surtout à empêcher les villageois d'approcher de la frontière. Ainsi lorsque le fils du chef du village s'approche de la frontière avec un mouton est-il accueilli avec des tirs de sommation. Curieusement, ce même jour, disparaît le chien des militaires. Lors de la réunion des militaires avec les représentants du village, le chef demande le remboursement du mouton de son fils qui, effrayé, est mort dans les barbelés. Antares refuse.

Le soir, les deux soldats du poste B voient des villageois brûler quelque chose sur la colline en face de la frontière. Lorsque au matin, ils doivent être relevés, ils ont disparu. Antares croit qu'ils sont retenus en otage et, excédé, interroge durement les villageois qu'ils pensent être complices. Alors qu'ils partent en mission de reconnaissance, ils sont pris à partie par des tirs ennemis. Le soldat William perd son sang froid et se terre derrière un rocher pendant que les soldats répliquent aux tirs ennemis.

Antares vient rassurer William et prend des nouvelles de sa femme qui attend un bébé d'un jour à l'autre. William demande la venue d'un aumônier pour confier son désarroi. Le lendemain les postes de surveillance sont renforcés et William un autre soldat y passent la nuit. Au petit matin, alors que William urine à deux pas du poste, son camarade disparaît. Antares met William aux arrêts : il a dû s'endormir pendant qu'on enlevait son camarade. William proteste en vain de son innocence. Les soldats voient alors venir Sultan, le chef des talibans du secteur, et ses hommes, tous encordés, et levant un drapeau blanc. Ils demandent un temps de négociation pour le lendemain midi. Le soir surgit un motard, contact local et excentrique du colonel auquel Antares confie la photographie des deux disparus.

Lors du rendez-vous Antares et ses hommes sont sidérés de les voir surgir de nulle part, remarquablement camouflés dans les plis du sol. Sultan aussi a perdu des hommes mystérieusement disparus et accepte la proposition d'Antares d'une inspection mutuelle de leurs camps respectifs. Sultan incendie une maison des villageois amis conformément à ses engagements ne tire aucun coup de feu. Aucun des deux camps n'a néanmoins retrouvé trace de ses disparus. Pire même, on annonce à Antares qu'un des villageois et son fils ont retrouvé la moto du contact local, abandonnée. Antares parvient à faire parler le fils : La terre sur laquelle se trouvent les deux postes de garde ainsi que les abords immédiats de la frontière sont la terre d'Allah : si l'on s'y endort, Allah reprend la vie du dormeur qui disparaît. Seul le sacrifice d'un mouton permet d'être pardonné mais la disparition est irrémédiable.

Alors qu'il noue de nouveau des contacts avec Sultan, Antares est prévenu que William s'est enfui avec la moto. Les recherches conduisent les soldats jusqu'au poste de garde. William s'y est enfermé. Pourtant bien que l'on n'y puisse entrer qu'en forçant un passage au chalumeau et que le poste soit fermé de l'intérieur William a disparu, ayant laissé son arme et un tube de somnifères.

Du coup, les soldats se révoltent et veulent partir. L'arrivée de l'aumônier, auquel personne ne parle, dispense toutefois du réconfort. Et le lendemain, ce qui reste de la section est au complet.

En retournant près de la frontière, Antares remarque un cercle tracé autour d'un piquet où un mouton est attaché. Sultan est là tout proche et donne à lire à Antares un passage du Coran expliquant comment Allah a gardé, prisonniers dans une grotte, quatre à sept personnes et un chien qui s'étaient endormis. Antares décide de creuser autour du piquet car les instruments de mesure ont détecté une grotte à trois mètres. Lorsqu'il s'y enfonce avec les hommes de Sultan, ils ne trouvent toutefois qu'une grotte vide.

Antares décide alors de tenter de dormir sous surveillance de ses camarades auxquels il est relié par des cordes et des caméras de surveillance. C'est alors que la femme de William vient lui demander des comptes au téléphone. Encore plus angoissé, il ne parvient pas à dormir et l'expérience échoue. Il décide alors d'acheter quatre moutons aux villageois et de les attacher au milieu de la frontière sachant qu'un avion viendra bombarder ces mouvements suspects. Les dépouilles des moutons sont enfermées dans des sacs funéraires et scellés dans des cercueils à destination des familles. Antarès est arrêté pour avoir exposé ses hommes à des tirs fratricides. Personne n'a parlé effrayé par une menace bien plus grande. Allah, après avoir donné la vie, va bientôt peut-être dans un mouvement inverse faire disparaître l'humanité entière à laquelle il ne restera plus ni le ciel ni la terre.

analyseLe premier plan accompagne le chien au sommet de la haute colline qui domine la frontière. La disparition du chien annonce celle des trois hommes d'Antares, du contact local et des hommes de Sultan, le taliban. Ils sont aussi peut-être annonciateurs eux-mêmes de la disparition à venir de l'humanité tout entière si le pressentiment du soldat Mercier se vérifie : Allah a décidé, après avoir donné la vie aux plantes, animaux et humains, de la leur retirer dans un mouvement inverse et ainsi de faire disparaitre l'humanité entière à laquelle il ne restera plus ni le ciel ni la terre.

Le film est d'abord film de guerre en opposant deux camps avec escarmouche, contacts difficiles avec la population locale, confrontation avec les Talibans et crainte permanente de tirs hors champ. Cette opposition marquée se transforme peu à peu en crainte et incrédulité partagée face à une menace d'un autre ordre; plus mystérieuse et terrible. C'est la dimension fantastique qui permet la fraternisation entre deux chefs qui semblent marcher comme des zombis, manifestement privés l'un et l'autre de sommeil. Aux hommes encordés du cheik, image d'abord incompréhensible, répond celle, plus tard, d'Antarès pareillement encordé lorsqu'il veut faire surveiller son sommeil par ses hommes.

La raison s'endort progressivement. A l'explication rationnelle d'une disparition possible des hommes camouflés derrière des couvertures de survie imperméables au rayonnement thermique succède bientôt de pures réactions aux sensations : celle de la fête sonore, techno devant le feu de camp, la vision thermique, verte des corps alors que la couleur complémentaire l'orange est celle de la terre, splendide, de la frontière afghane. Ou comment admirer avant qu'il ne soit trop tard.

Jean-Luc Lacuve le 06/10/2015