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Uzak

2002

Voir : Photogrammes
Genre : Drame social

Avec : Muzaffer Özdemir (Mahmut Özdemir), Emin Toprak (Yusuf), Zuhal Gencer Erkaya (Nazan), Nazan Kirilmis (l'amante), Feridun Koc (Kamil le gardien), Fatma Ceylan (la mère), Ebru Ceylan (la jolie voisine). 1h49..

Un matin d'hiver, Yusuf quitte son village recouvert de neige. A Istanbul, Mahmut regarde, presque indifférent, son amante se déshabiller. Lorsqu'elle quitte l'appartement, il nettoie méticuleusement ce qui a sali les couvertures. Il inspecte la cuisine pour voir si son piège à souris a fonctionné et renonce à rappeler sa mère qui a laissé un message sur son répondeur.

Au matin,Mahmut déjeune de fromage, prend en photos des plaques de carrelage, lit son journal sur le port et livre ses épreuves photographiques de carrelage à son commanditaire. C'est alors qu'arrive devant chez lui Yusuf.  Il demande à Kamil, le gardien de l'immeuble, si son cousin Mahmut, originaire de son village, est chez lui. En l'attendant Yusuf fume une cigarette dans le rue et a le regard attiré par une jolie voisine qui va se promener avec sa mère. Le soir, c'est endormi au pied de l'escalier que Mahmut le retrouve : il avait oublié sa venue. Son cousin lui avait demandé de l'héberger une petite semaine le temps de retrouver du travail. L'usine qui employait les hommes du village, dont lui et son père, a fermé, entrainant le licenciement d'un millier d'ouvriers. Yusuf espère être mousse sur un cargo afin de gagner de l'argent tout en voyageant. Mahmut le conduit dans une petit pièce où un lit est installé et lui demande de ne fumer que dans la cuisine et de prendre garde au piège à souris adhésif. Il prend grand soin de désodoriser ses chaussures et de les mettre dans un placard prévu à cet effet.

Au matin, il neige sur Istanbul et c'est dans un paysage hivernal où il se sent solitaire que Yusuf part vers le port ; un cargo y est échoué et le quai est vide :  c'est à Karaköv qu'il trouvera du travail lui indique le gardien.

Le dimanche, Mahmut a été invité chez ses amis photographes et a emmené Yussuf avec lui. Il se fait prendre à parti par ses amis qui lui reprochent d'avoir renoncé à ses ambitions. Il est déçu qu'aucune femme ne soit venue comme ses amis le lui avaient promis. Le soir, Mahmut et Yusuf regardent Stalker en vidéo ce qui lasse rapidement Yusuf. Celui-ci une fois parti, Mahmut stoppe la lecture de Stalker pour passer un porno. Pendant ce temps, Yusuf téléphone en douce chez lui où il apprend que sa mère, faute d'argent, ne peut soigner sa rage de dent. Il l'encourage à demander un crédit au dentiste. Il revient ensuite dans le salon et Mahmut a juste le temps de stopper le porno pour passer sur un programme télé quelconque... que Yussuf aime bien. Dès lors, Mahmut n'a plus qu'à interrompre d'autorité le programme sous prétexte qu'il est temps de dormir.

Le lendemain c'est dans Istanbul toujours sous la neige que Yussuf va à Karaköv, au bar des marins, pour trouver du travail. L'un deux le décourage : c'est un rêve creux. En rentrant  le soir, il téléphone à sa mère et se met en colère devant le refus du dentiste de faire crédit. Mahmut, qui écoutait à la porte, se prend le pied dans le piège à souris adhésif.

Le lendemain, Yusuf cherche vainement du travail et reste, solitaire, au bar des marins. Mahmut append de Nazan, son ex-femme, qu'elle s'apprête à partir dans deux ou trois semaines, avant le nouvel an, pour le Canada avec son nouveau compagnon. Elle souffre d'être stérile après l'avortement à trois mois subi alors qu'ils étaient en instance de se divorce. Le soir, Mahmut s'en va inspecter les fenêtres de son amante et la retrouve avec son mari dans un bar. Il s'en va. Il s'endort en regardant le miroir.

Mahmut et Yusuf regardent la neige tomber. Ils partent deux jours prendre des photos en Anatolie d'une église aux carrelages de céramique. Sur le chemin du retour, Mahmut renonce a prendre une belle photo. Chez lui, Mahmut trouve sur son répondeur des messages irrités de sa sœur : leur mère est hospitalisée et elle est seule à s'en occuper , ce qui pèse sur  sa fille et son travail. La nuit, Mahmut veille sur sa mère à l'hôpital. Ils font quelques pas; elle lui reproche de ne pouvoir arrêter de fumer.

Le temps est à la pluie. Yusuf suit sa jolie voisine jusque sur une place déserte où elle semble d'abord attendre en vain. Comme il se décide à la rejoindre, son compagnon arrive. Yusuf, découvert,  doit reculer et rebrousser chemin, penaud sous le regard surpris de sa voisine.

Mahmut veille sa mère chez elle en compagnie de sa sœur. Il regarde de vieilles photos d'un bonheur enfui : lui  et sa sœur jeunes, son mariage. A la télévision,  il regarde un programme où de jolies femmes sont tour à tour mannequins et lascives. C'est le même programme que regarde Yusuf lorsque Mahmut l'appelle pour qu'il laisse liber l'appartement jusqu'au soir à 22 heures. Dans un magasin, Yusuf suit une jolie femme qu'il est obligé de quitter devant un cinéma. Mahmut rentre, très irrité de voir le désordre laissé par Yusuf. Celui-ci, importune une jeune femme dans le métro. La relation sexuelle entre Mahmut et son amante les laisse tristes et muets. Le soir, c'est la dispute : Mahmut déverse ses reproches sur Yusuf qui sollicite en vain une aide pour une place de gardien  dans l'usine de carrelage dans laquelle Mahmut est employé. Le lendemain matin, leur relation s'envenime un peu plus quand Mahmut laisse peser un soupçon sur Yusuf quand il en retrouve pas sa montre en argent qui lui sert d'accessoire pour son travail. Nazan lui annonce au téléphone qu'elle part le lendemain, plus tôt que prévu.  Il renonce à prononcer les mots qui la feraient peut-être rester. La nuit, Yusuf  perçoit une lumière mystérieuse dans la chambre puis de petits cris : c'est la souris qui est piégée par l'adhésif. Mahmut propose d'attendre le lendemain pour s'en débarrasser sauf si Yussuf veut bien le faire avant. celui ci descend la souris dans un sac en plastique.  Pour que les chats ne la dévorent pas encore vivante dans la poubelle, il fracasse el sac contre le mur. Mahmut est devant la télévision;  il somnole, son verre menace de tomber mais c'est le luminaire qui s'effondre : ce n'était qu'un cauchemar.

Au matin Mahmut se promène sur la jetée avant de rejoindre l'aéroport où il assiste en cachette au départ de sa femme et de son compagnon pour le Canada. Nazan l'aperçoit, surprise. De son côté, Yusuf comprend que les bateaux partiront sans lui. Quand Mahmut revient, sa clé est sur un crochet. Mahmut semble alors soudain regretter le départ de son cousin mais s'en va seulement allumer l'une de ses cigarettes de marin, autrefois dédaignée sur la jetée où les bateaux partent et reviennent.

Uzak clôt la trilogie de la thématique proche-lointain entamée dès Kasaba et poursuivie avec Nuages de mai : en étant proche de ses racines, on adhère aux choses et aux gens mais guette la répétition, l'asphyxie et le chômage ; en s'éloignant, on trouve parfois l'inspiration mais menacent alors la perte d'adhésion aux valeurs d'antant et à la foi en l'action.

Yusuf pourrait être le jeune oncle de Kasaba rêvant de repartir après son service mais trop attaché à la routine de son village alors que Mahmut est une nouvelle incarnation de l'intellectuel  monté à la capitale, non plus cette fois pour devenir artiste comme dans Nuages de mai mais photographe. Pour explorer cette thématique Ceylan use aussi bien des mouvements d'appareil que du travail sur le cadre ou la musique. Au final, le film est plus tragique que les deux précédents même si quelques séquences humoristiques en attenuent l'effet sur le spectateur.

Le premier plan du film est un panoramique de 2'30 qui sait Yusuf quittant son village sous la neige pour le voir traverser la route et arrêter un mini-bus qui le conduira, on l'apprend après le générique, jusqu'à Istanbul. Vers la fin du film, avant d'aller observer en cachette le départ de sa femme, un panoramique à 180° d'une minutes saisit la vision de Mahmut vers le début de la jeté avant de revenir le capter prendre sa voiture puis s'éloigner de l'autre coté. Si le premier plan est plein d'espoir, l'autre semble lui répondre en y mettant un terme. Mahmut trop loin de ses désirs de cinéaste : ressembler à Tarkovski ou faire une belle photo, ou renouer avec sa femme. Yusuf a  doublement échoué : à trouver un travail d'abord; son envie d'être mousse n'était qu'un rêve creux, et dans ses tentatives amoureuses. Il drague vainement, et de plus en plus grossièrement, sa jolie voisine, une femme cinéphile dans un magasin et une jeune fille dans le métro. Interprété par Emin Toprak, qui jouait Saffet dans Kazaba et Nuage de mai, le personnage  devra se résoudre à voir partir les bateaux sans lui et, probablement, à revenir à son village. Les accessoires de la montre et de l'œuf disent aussi la proximité entre Nuages de mai et Uzak, entre les rêves du précédent film et l'échec au bout de celui-ci.

Reste que l'humour grinçant du film fait un peu oublier son désespoir. Ainsi Mahmut  obligé de regarder un mauvais programme télé mis en hâte après le porno qui avait prit la place du Stalker que Yusuf ne pouvait aimer. Autre gag, plus attendu, celui du piège à souris adhésif dans lequel se prend Mahmut en battant trop vite en retraite pour avoir écouté derrière la porte la conversation téléphonique de son cousin ou encore l'air dépité de Mahmut devant attendre  la fin de la prière pour filmer les céramiques.

L'ensemble de ce parcours élégiaque est sonorisé avec soin. Aux aboiements des chiens du village succède ceux de la ville qui s'atténuent pour le tintement de la girouette musicale la nuit, qui continue de tinter de l'appartement de Mahmut quand Yusuf son cousin  en remarquant sa jolie voisine dans la rue. La sirène des cargos accompagne les recherches de Yusuf alors que Bach  (Qui s'est ce Bak sur tous tes CD demande Yusuf), Mozart et le jazz accompagnent le trajet des deux cousins.

A la différence de son personnage qui renonce à prendre une belle photo en revenant de l'église en Anatolie, Ceylan, n'oublie pas de soigner son cadre. C'est  en effet le travail sur celui-ci qui reste l'élément le plus visible de la mise en scène. Gros plan de visage sur une moitié du cadre alors que l'autre moitié exploite la profondeur de champ pour isoler le personnage des autres avec par exemple le jeu des enfants dans la profondeur de champ ou du flou (surtout pour Mahmut). les cadres sont très soignés ainsi  la poulie au premier plan qui s'avérera pendre du mat du bateau renversé sur le quai.

Jean-Luc Lacuve, le 28/07/2014

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