Un village de la Turquie profonde, dans les années 1970 en hiver. En attendant l'arrivée du maitre, les enfants d'une classe observent une plume que l'un d'entre eux fait voleter jusqu'à ce qu'elle se pose sur le tuyau du chauffage. Le maitre fait lire deux textes sur la famille puis sur la société. Il s'inquiète que l'un des repas des enfants sente mauvais. Il les inspecte pour découvrir qu'il s'agit de celui de Hulya. Celle-ci, humiliée devant ses camarades, doit le jeter. Ismaël, couvert de neige, arrive en retard. Il fait sécher ses habits mouillés sur le poêle. Bientôt Hulya n''écoute plus que les gouttes d'eau qui tombent des chaussettes sur le poêle brulant. La plume tombe entre ses mains et Hulyia qui la fait voler jusqu'au bureau du maitre. Un chat vient miauler à la fenêtre. Il pleut.
C'est le printemps. Pour la fête du village, les chèvres sont égorgées et passées à la broche. Cela dégoute Saffet qui préfère se diriger vers les manèges. A l 'écart de la ville, dans le cimetière, Hulya a entrainé son petit frère, Alli, pour ramasser des prunes. Ils sont inquiétés par un bruit bizarre, c'est un âne qu'Alli s'en va observer avant que son attention ne soit attirée par une tortue qui refuse obstinément de sortir la tête de sa carapace. Un nuage de brume s'élève, inquiétant les enfants qui s'enfuient à toutes jambes. Alli ayant vu la tortue sortir sa tête, dans un mouvement de dépit, la retourne sur le dos pour la condamner à mort.
Les enfants traversent un champ de maïs et retrouvent leurs parents et grands-parents ainsi que leur oncle Saffet. Hulya informe son grand-père que le tailleur veut 50 lires pour réparer le pantalon ce qui génère de longs commentaires sur la vie devenue trop chère. La grand-mère réprimande les enfants d'être passés dans le champ de maïs : un enfant de l'âge d'Alli y ayant autrefois été tué dans un accident de chasse.
Le soir tombe et le mais est grillé au feu de bois. Le grand-père commente sa guerre contre les anglais en Irak et le père et lui communiquent sur les leçons de civilisation des babyloniens... ce qui ennuie les femmes et plus encore Saffet qui reproche à son oncle ses études inutiles pour son pays et sa hargne vis à vis de son père, aujourd'hui décédé, et qui fut son frère ainé. Lui-même se sent incapable de partir alors qu'autrefois il fit son service dans l'espoir de changer de vie. Les enfants écoutent ces discussions de grandes personnes en somnolant. Alli cauchemarde sur la tortue qu'il a laissé mourir. Au matin, tous se réveillent en contemplant la nature paisible.
C'est l'automne et le ciel est gris. Hulya demande à sa mère dans quelle direction est l'Inde. La grand-mère s'inquiète d'être à la rue si son mari meurt. Hulya somnole : elle sort un épi de maïs de sa bogue ce qui la fait penser à Ismaël. Le rêve érotique laisse pourtant bientôt la place à la crainte de voir le grand-père mort. Elle est troublée à nouveau devant la chemise blanche de son oncle dans l'eau et le torse nu de Saffet qu'elle aperçoit alors. Sa main touche l'eau et se fige dans le courant. Le temps s'arrête là.
Nuri Bilge Ceylan dédie son premier film, sur l'enfance, à ses parents. Au fil des saisons, deux enfants, la jeune Hulya et son petit frère Alli se frottent au monde adulte, à sa complexité et à sa cruauté. Le cinéaste adapte sa dramaturgie au temps de l'enfance fait de micro-événements au sein d'un temps qui se déploie lentement. Celui que vit Saffet, leur oncle, est plus douloureux. Il sent qu'il n'a plus la force de changer son destin et qu'il rejoindra bientôt celui des adultes qui racontent leurs exploits au passé.
Kasaba succombe parfois au maniérisme tant par ses contreplongées que ses saisies d'un visage ou d'un paysage mais chacun de ces plans exalte la puissance du présent ressentie par les enfants : la plume qui volette, les gouttes d'eau sur le poêle brulant, le regard en direction de l'Inde. L'inquiétude est omniprésente chez ses êtres encore fragiles: le fou dont on se moque, le cimetière et ses tombes, les brumes de l'étang, la vision du grand-père mort, les veuves que l'on laisse à la rue. La cruauté d'Alli (mouches sur l'il de l'âne, tortue renversée, fourmi frappée à coups de bâtons) n'est qu'un moyen de combattre une réalité sur laquelle il n'a pas encore possibilité d'agir positivement (examen des yeux du père après les reproches de l'oncle, mère vue comme la tortue qui se renverse dans le cauchemar)
Saffet dans l'herbe de printemps ou le père humant l'air du matin vivent encore parfois ces instants du bonheur du pur présent lorsque l'on est confronté à la splendeur de la nature. Hulya, quitte les rives de l'enfance pour aborder ceux de l'adolescence comme le manifeste son rêve érotique fait d'inquiétude (mort du grand-père) et de symboles dont le sens affleure facilement (arrivée d'Ismaël et épis de maïs, chemise mouillée et vison de l'oncle torse nu).
Jean-Luc Lacuve le 28/04/2014.