Big fish

2003

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Thème : Transmission

D'après le roman de Daniel Wallace. Avec : Ewan McGregor (Edward Bloom jeune) Albert Finney (Edward Bloom), Alison Lohman (Sandra jeune), Jessica Lange (Sandra), Helena Bonham Carter (Jenny et la sorcière), Steve Buscemi (Norther Winslow), Danny de Vito (Amos Calloway), Billy Crudop (Will), Marion Cotillard (Joséphine), Robert Guillaume (Dr Bennett). 2h05

Will Bloom, bientôt papa, ne veut plus entendre les sempiternels récits épiques dont l'abreuve depuis son enfance son père, Edward. Apprenant que celui-ci va mourir, Will aimerait connaître l'homme qui se cache derrière toutes ces fables, de géants, de sorcières, de poissons monstrueux et de villages fantômes. Appelé au chevet de son père, il se remémore encore une fois l'histoire qui alla jusqu'à lui gâcher le jour de son mariage et où, sur un quai de la Seine, il rompit avec son père.

Le premier flash-back, très bref, raconte en effet comment Will voyait sa naissance telle que la lui racontait son père. Ce fameux jour, Edward repris l'alliance au gros poisson mythique et pataud qui s'en était saisi comme hameçon.

Le second récit débute dans l'avion qui conduit Will en Amérique au chevet de son père. Will remarque un enfant qui joue de ses mains pour faire des ombres chinoises comme son père le faisait lui-même pour raconter la terrible histoire de la sorcière dont l'œil de verre révèle sa mort à celui qui le regarde.

Le troisième récit prend place après la première entrevue du père et du fils. Ce dernier est venu dire à son géniteur qu'il attendait des explications sur la vérité de ses histoires. Avant de redescendre au salon, où l'attendent sa femme et sa mère, il ouvre la porte de sa chambre d'enfant et se revoit atteint de varicelle avec son père lui racontant son adolescence. Celle-ci commença par une étrange poussée brutale de croissance qui, alliée à sa compréhension de la métaphore du poisson rouge dans un bocal, lui avait alors fait comprendre qu'il devait poursuivre un seul objectif : être toujours le plus grand. Et il y réussit en effet aussi bien dans sa vie professionnelle de paysagiste, vendeur de tondeuses, que dans ses exploits sportifs (écrasant les autres rugbymen, marquant le panier de la victoire) ou de simple citoyen (en sauvant le chien d'un incendie). La seconde partie de ce récit raconte comment il sauva la ville du géant et la troisième sa visite à Spectre étrange ville de l'Alabama à l'écart de la route principale.

Le soir tout le monde se retrouve au salon pour dîner, on parle du métier de Josepha et des perroquets du Congo qui parlent en français de la mode mais jamais de religion car cela pourrait fâcher. Josepha va border son beau-père qui s'est endormi dans son lit et qui lui cache sa souffrance. Il lui raconte l'histoire du corbeau qui annonça la mort de sa tante et celle de son père. Puis, dans un quatrième flash-back, il raconte son histoire d'amour avec sa femme. Le récit commence par le recrutement de Ralph par le directeur du cirque et la rencontre de Edward et de Sandra où le temps se fige. La seconde partie est constituée par les épreuves endurées par Edward dans le cirque pour connaître le nom de sa promise. Cette partie se clôt sur l'épisode fantastique du directeur transformé en loup-garou. La troisième partie raconte la conquête de Sandra par Edward depuis le bouquet de jonquilles jusqu'au passage à tabac dans le même champ de jonquilles. La quatrième partie est constitué par la séparation de Sandra et de Edward due à la guerre.

Au matin du deuxième jour, Josepha est conquise par Edward mais comprend la douleur de Will. Elle laisse les deux hommes s'expliquer. Edward ne fait aucune concession à Will qui s'embrouille d'abord dans sa métaphore de l'iceberg comme il s'était montré maladroit dans son "pendant que je suis là. ". Pour Edward tout est vrai. Will se fâche et s'en va nettoyer la piscine. Avec sa mère il se rend ensuite dans le bureau de son père au fond du jardin. Là, il découvre que l'annonce de la mort de son père avait bien été signifiée à sa mère. Il pose le télégramme funeste sur la main mécanique et s'ouvre alors le cinquième flash back où Will se souvient de comment son père racontait son métier de VRP et de comment, grâce au conseil qu'il prodigua au poète de Spectre après son cambriolage peu rémunérateur, il reçut l'argent nécessaire à l'achat de la maison qu'ils occupent toujours. En fouillant dans les papiers, Will découvre un mystérieux acte de propriété qui le conduit à la ville de Spectre.

Le sixième flash back est raconté par la sorcière, Jenny, la petite fille de la ville de Spectre devenue femme qui raconte l'œuvre de Edward pour sauver les habitants des banquiers. Amoureuse sans espoir du père de Will, elle garde de celui-ci une certaine tendance à l'exagération (le géant remettant droite la maison). Mais, maintenant qu'elle sait que l'on n'épouse pas un homme de dix ans plus âgé que soi, elle décrit l'histoire d'Edward dans les tonalités de l'âge adulte. Will perçoit la dose de souffrance, de droiture morale et de force de caractère qui ont permis Edward d'élaborer ses légendes.

En rentrant de sa visite à Spectre, au deuxième soir de son arrivée donc, Will trouve la maison vide. Il se rend à l'hôpital. Son père est persuadé qu'il ne pourra mourir comme cela et son fils ébranlé dans ses convictions réaliste par jenny et le docteur qui vient de lui révéler la triste banalité de sa naissance entame pour la première fois de sa vie le récit mensonger d'une mort extraordinaire de son père qui s'achève avec le décès de ce dernier. Si la mort d'Edward sonne comme une victoire et une réconciliation, son enterrement comme un triomphe : Will et sa mère sont rejoint par tous ceux qui ont peuplé les histoires de leur père et maris; tous juste un peu moins formidable que dans les légendes enjolivées d'Edward Bloom.

Big Fish peut au premier abord déconcerter les admirateurs de Tim Burton. Certes, Edward Bloom rejoint la galerie des personnages solitaires et fantasques, en décalage vis-à-vis de la société qui comme Pee-Wee, Edward aux mains d'argent, Ed Wood, et même Batman n'accèdent au bonheur qu'en assumant ce décalage vis-à-vis de la société.

Certes, des plans de son nouveau films citent ses chefs d'œuvres passés : les pavillons de banlieue où chacun tond sa pelouse ou la main mécanique qu'il vend rappellent Edward aux mains d'argent et la forêt maléfique semble un prolongement de celle où mourut le cavalier sans tête de Sleepy Hollow. Mais le héros n'est pour une fois pas un adolescent mais un père, et, surtout, la structure du film est moins limpide que d'habitude.

D'une part celui qui mène le récit n'est pas le héros mais son fils et, dans l'enquête qu'il mène pour connaître la vérité, s'enchâssent des récits autonomes.On retrouve là une structure chère à Joseph L. Mankiewicz qui, dans Eve ou La comtesse aux pieds nus, utilisait, comme ici, sept flash-back (en comptant le dernier récit comme tel) racontés par trois personnes différentes (Will : récits 1,2,3,5,7 ; Edward: 4, Jenny : 6) pour mettre à jour une vérité complexe. Big Fish porte d'ailleurs probablement le message inverse de celui de La comtesse aux pieds nus. Dans les deux films, la remonté des souvenirs se fait dans le moment très bref qui succède ou, comme ici, précède la mort de l'être aimé. Mais, alors que le film de Mankiewicz est une tragédie funèbre s'enroulant autour du personnage de Maria, héroïne d'une beauté irréelle, inaccessible et faussement sereine, celui de Tim Burton s'enroule autour d'un vieillard assimilé à un gros poisson pour prôner la possibilité de transfigurer le réel et, mieux encore, de transmettre cette morale de père en fils.

Au traitement éminemment classique et transparent de Mankiewicz, Tim Burton oppose des moyens beaucoup plus visibles, qu'en première approximation on pourra qualifier de baroque. La transfiguration du réel est ainsi figurée dans les premiers flash-back par une brume blanche ou des éclairages artificiels qui forment comme des halos rasants sur les visages et les costumes. Cette brume est celle du passé, celle qui flotte au-dessus de la rivière lors du premier flash-back. Celui-ci, amorcé par un rajeunissement du personnage dans le changement de plan (d'un plan large sur Edward âgé de dos on passe à un plan moyen d'Edward jeune de face) se clôt par l'expulsion fantaisiste du bébé.

En figurant un gros poisson excessivement disgracieux et un poupon guère attendrissant, Tim Burton ne choisit pas la facilité. Ce choix permet cependant un humour léger, pince sans rire et décalé qui flotte constamment sur le film (à l'image du plan final du saut du poisson singeant la grâce du dauphin). Il permet surtout de mettre en place la constante économie de moyen du film. Une correspondance physique entre le bébé et le poisson s'amorcent qui sera reprise dans la scène de la baignoire où dans le rêve final où Edward, tel un poisson, a davantage besoin de s'asperger d'eau que de boire. Cette économie de moyen dans l'emploi de quelques figures iconographiques (le poisson, la piscine, les pieds nus) qui renforcent l'assimilation homme-poisson et qui sont sans cesse mises en rime tout au long du film permet de rassembler et d'ordonner tous les épisodes romanesques qui au premier abord risqueraient d'apparaître trop disparates et donc lassants dans leur succession.

L'économie de moyen se retrouve aussi dans la symétrie des épisodes racontés. Le septième récit s'oppose bien-sûr au premier, la foi dans la transfiguration du réel remplaçant le scepticisme, et le trajet de la fuite de l'hôpital dans le couloir reprend celui de l'expulsion du bébé. Le sixième flash-back raconté par Jenny répond au deuxième. Le but de cette séquence, on le comprend à la seconde vision, n'est pas tant de faire peur (fausse piste du chat noir) que de révèler la tendresse d'Edward pour la sorcière qui devient alors très compréhensible.

Probablement parce qu'il est raconté par Edward et non par Will, le quatrième flash-back est le plus somptueux. Certes flash-back un peu mensonger, il écrase de sa splendeur tous ceux que l'on a pu voir dans d'autres films. Les épisodes trois et cinq sont les plus délirants. La cinquième histoire, plutôt terne, tanche pourtant avec les précédentes. Il faut tout le dynamisme d'une musique rock pour entretenir le rythme du cambriolage. Le marron, de la poussière ou des costumes devient la teinte dominante alors que l'on était précédemment dans des tonalités plus vives. C'est un peu la retombée du mythe du père vainqueur, elle rend néanmoins le contexte affectif et social de Will beaucoup plus perceptible et contribue à le rendre attachant. On comprend les longues absences de son père dont le travail apparaît bien peu rémunérateur.

Ainsi, au fur et à mesure que le film avance, s'accroît la sympathie pour les personnages, loin d'être acquise au début du film. Ainsi L'histoire de la naissance nous ayant déjà été racontée deux fois, la première dans le superbe générique composé d'un long plan séquence temporel et la seconde par Edward le jour du mariage de Will qui en sortira excédé, on ne peut que partager le scepticisme de celui-ci lorsqu'il nous sert le premier flash-back The Big fish, c'est pourtant bien Bloom, le poisson devenu le plus gros parce qu'il en s'est pas laissé prendre. Les hameçons sont tous les appels du réel, les plus grossiers, de l'appât du gain à la volonté de savoir sans saveur.

Pour tout dire, Tim Burton semble être sorti de l'age adolescent, jaillissant et baroque pour aborder les rivages d'un cinéma classique où le thème de la transmission est traité avec un humour, une grâce, un brio mais aussi une angoisse, une puissance réflexive et un sentiment de la fragilité des choses qui s'approchent de Sur la route de Madison, le chef-d'œuvre de Clint Eastwood.

 

Jean-Luc Lacuve le 25/03/2004

Tim Burton était en train de tourner son remake de La Planète des singes quand on lui apprend la mort de son père. "Je n'aurais jamais pu tourner ce projet si je n'avais pas vécu ce choc. J'étais comme submergé..." raconte-t-il. Adapté d'un livre de, le film va donc tourner autour des retrouvailles d'un homme et de son père fantasque, le réalisateur est aujourd'hui également père et semble se demander quelle vision du monde il lèguera à l'enfant qu'il a eut l'an passé avec Helena Bonham Carter (sa femme dans la vie, la sorcière dans le film).