Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Fantôme utile

2025

Genre : Fantastique

(Pee chai dai ka). Avec : Davika Hoorne (Nat), Wanlop Rungkumjad (Krong), Wisarut Homhuan (Academic Ladyboy), Wisarut Himmarat (March), Apasiri Nitibhon (Suman). 2h10.

@page { size: 21cm 29.7cm; margin: 2cm } p { line-height: 115%; margin-bottom: 0.25cm; background: transparent }

Début des années 30, dans le bâtiment du Parti Populaire, un artiste prépare le dessin d'un moulage qui unit paysans, employées, intellectuels et militaires. La sculpture de granit se dresse ensuite sur la place centrale. Elle subit ensuite la dégradation du temps.

2010. La sculpture est déplacée pour laisser la place à un panneau publicitaire déclarant que l'avenir est dans l'édification prochaine d'un centre commercial. Lorsque la sculpture se brise, de la poussière s'en dégage qui vient importuner un jeune universitaire, Ladyboy, en se déposant sur son ordinateur. Ladyboy, constatant l'omniprésence de la poussière, achète alors un aspirateur.

Dans une usine d'électroménager, un ouvrier est mourant, crachant de plus en plus de sang sur le sol. Bientôt il revient hanter les lieux et effraie les ouvriers.Lors de l'inspection des services de l'hygiène particulièrement attentifs à l'absence de poussière qui entrave l'industrie thaïlandaise, l'inspecteur découvre que usine est hantée et retire sa licence à la directrice, Suman, femme froide et inflexible.

Ladyboy essaie son aspirateur mais, durant la nuit, celui-ci se met à tousser et à recracher de la poussière. Il appelle le réparateur qui surgit immédiatement même s'il refuse d'enlever ses chaussures. Le réparateur, Krang, lui révèle alors qu'il n'est pas le seul à être victime d'appareils ménagers hantés et lui raconte l'histoire suivante.

March, le second fils de Suman, est désespéré par la mort de de sa femme, Nat, victime de la pollution à la poussière. Ni sa mère ni son frère aîné, homosexuel attentionné, ne parviennent à le sortir de sa dépression pour laquelle il est hospitalisé. Krang affirme que l'esprit de Nat s'est incarné dans un aspirateur qui vient voir March à l'hôpital, même s' il doit attendre le lendemain, l'heure des visites. L'aspirateur hante croise alors le ministre des travaux publics, le docteur Paul,qui lui est reconnaissant de lui aspirer une poussière dans l'œil. Quand l'aspirateur vient toucher la main de March, celui-ci voit la main de sa femme et se réjouit de pouvoir l'enlacer et l'embrasser... A la stupéfaction de sa famille qui le voit embrasser un aspirateur. Si son frère et Suman tolèrent cette relation, il n'en est pas de même de la belle-famille de celle-ci qui reproche à Suman d'avoir laissé un esprit malveillant hanter son usine ce qui a aboutit à sa fermeture Ainsi quand March rentre de l'hôpital avec son aspirateur chéri, la voiture de Suman est arrêtée par la belle-famille qui a convoqué des prêtres bouddhiste afin de capturer l'aspirateur hanté.Ils vont avoir gain de cause quand surgit le Docteur Paul qui prend le parti de l'aspirateur hanté.

Le docteur Paul a en effet une idée derrière la tête : se servir du fantôme pour extraire les rêves des femmes hommes qui appellent les fantômes du passé à hanter les auteurs de la répression sanglante qui déclencha, notamment en 2010 avec la junte militaire au pouvoir. En effet, si les morts veulent hanter l'esprit de leur bourreau, il faut aussi pour cela qu'ils soient appelés par les vivants qui les aiment, amants, proches parents ou intellectuels. Le docteur Paul donne ainsi consigne à sa clinique d'interdire au fantôme de pouvoir être enceinte des ovocytes congelés pour  proposer à Nat de lever cette interdiction si elle accepte d'être un "fantôme "utile" et de débarrasser l'esprit des savants de leur amour pour les défunts revanchards...

Un aspirateur qui parle, se déplace comme un humain fait penser au Rubber de Quentin Dupieux tout comme la révolte des morts-vivants exploités fait penser au fantastique de George Romero qu'il double d'une parabole politique. On pourra y ajouter l'ironie de Bong Joon-ho et l'insistance des fantômes à revenir d'Apichatpong Weerasethakul.

Pourtant, dans ce panorama bien encombré, Ratchapoom Boonbunchachoke tire son épingle du jeu par un montage expressionniste très théâtral fait de juxtaposition de différentes tailles de plan pour faire surgir abruptement personnages ou objets, de récits enchâssés et de différents régimes de pellicules tout en distinguant trois parties : burlesque, romanesque et politique.

L'idéal de fraternité, surgi dans l'éphémère république thailandaise des années 30, est rappelé par la sculpture qui ouvre le film. La noblesse de toutes les classes sociales vivant en harmonie n'est plsu aujourd'hui que poussière. Dans l’argot contemporain thaïlandais, la poussière désigne des êtres humains traités comme des moins que rien. Ainsi la poussière ne désigne pas uniquement les particules dans l’air, mais aussi les personnes à qui il manque une voix ou du pouvoir pour décider de leur propre vie - qui sont aisément balayés, déplacés et effacés selon la volonté de la classe dirigeante. Ratchapoom Boonbunchachoke s'inspire de la légende de Mae Nak, très connue en Thaïlande, une histoire d’amour interdite entre une femme fantôme et son mari vivant, mais l'actualise politiquement.

Jean-Luc Lacuve, le 2 septembre 2025

 

Retour