Leningrad, premier automne après la guerre. Iya, une très grande fille, surnommée "La girafe", est victime d'une crise de tétanie que les autres aides-soignantes de l'hôpital ont appris à connaitre sans s'inquiéter. Alors que la famine sévit toujours, le médecin chef, Nikolay Ivanovich, lui permet d'emporter chez elle une portion supplémentaire pour la nourrir, elle et son tout jeune enfant. Quand Iya rentre chez elle, une chambre dans un appartement communautaire, elle y retrouve ainsi Pashka avec qui elle a une relation fusionnelle. Le jour où sa voisine couturière ne peut le garder, elle l'emmène avec elle à l'hôpital où l'enfant met du temps à comprendre le jeu, simple et amusant, que lui proposent les pensionnaires consistant à imiter les animaux. Au retour, Pashka joue à imiter le chien et Iya s'en amuse. Mais, alors qu'elle entoure son enfant d'un câlin, une crise de tétanie la reprend et elle étouffe involontairement Pashka.
Elle retourne néanmoins travailler à l'hôpital mais plus mutique que jamais. C'est alors que revient Masha, qui a été au front au côté d’elle et qui rentre désormais démobilisée, impatiente de revoir Pashka. Iya lui avoue qu'il est mort et qu'elle est la seule coupable. Masha se propose comme aide-soignante à l'hôpital.
Lors dune soirée dans Leningrad, elles font la connaissance de deux fils de riches. Des puceaux, bien décidés à écumer la ville en voiture à la recherche de filles prêtes à se donner pour un peu de pain. Le dancing étant fermé, Masha accepte leur invitation et force Iya à sortir de la voiture avec l'un des garçons pendant qu'elle initie le jeune Sasha. Iya ne tarde cependant pas à revenir en rossant Sasha comme elle l'avait fait un peu plus tôt de son prétendant. Masha explique son attitude à Iya : elle veut un enfant pour l'aider à vivre.
Stepan, tétraplégique, reçoit la visite de sa femme à laquelle on avait pourtant appris que son mari était mort. Stepan se réjouit de cette visite mais ne veut pas rentrer chez lui où il serait une charge supplémentaire pour sa femme et ses deux filles. Le couple vient demander à Nikolay Ivanovich de laisser mourir Stepan.
Lyubov Petrovna, une riche marraine de guerre, vient rendre visite à l'hôpital qui espère des dons pour améliorer le sort de ses malades. Lyubov Petrovna fait les remerciements d'usage aux "héros qui ont défendu la patrie" leur servant de petits cadeaux dérisoires. Masha a la surprise de reconnaitre Sasha dans l'un des aides de Lyubov Petrovna. Emue par la noblesse d'un des malades qui ne s'en laisse pas compter face aux beaux discours, elle s'éloigne et s'écroule. Elle est victime d'hypoglycémie. Un peu plus tard Nikolay Ivanovich l'examine et découvre une cicatrice au bas-ventre. Masha lui dit avoir été victime d'un éclat d'obus. Il lui déclare alors que son opération ne lui a plus rien laissé pour mettre un enfant au monde. Masha veut néanmoins croire au miracle.
Nikolay Ivanovich donne une ampoule de poison à Iya pour qu'elle délivre Stepan. Iya aimerait refuser mais accepte une fois avoir obtenu la réaffirmation de ce désir de mourir par Stepan. Elle lui fait fumer sa dernière cigarette pendant que le poison agit. Iya découvre alors le regard de Masha qui a assisté à la scène, allongée sur un lit, victime d'une nouvelle crise d'hypoglycémie.
Alors que Sasha fait une cour de plus en plus obstinée et pressante à Masha, celle-ci oblige Iya à concevoir un enfant pour. Elle prétexte qu'Iya n'a pas su protéger Pashka. Au cours de la soirée du 1er janvier, Masha invite Nikolay Ivanovich à danser. Elle lui révèle qu'elle est la mère de Pashka et qu'elle a l'intention qu'Iya porte un enfant pour elle dont elle a choisi qu'il serait le père. Masha fait ainsi écrire une lettre à Iya pour dénoncer les pratiques d'euthanasie de Nikolay Ivanovich. Elle remet la lettre à Nikolay Ivanovich comme preuve de sa détermination à ce qu'il soit le père de son enfant. Face à Iya qui, tremblante, s'est couchée dans le lit à côté de Masha, Nikolay Ivanovich viole Iya afin qu'elle soit enceinte.
Masha se satisfait ainsi du ménage à trois qu'elle a institué avec Sasha et la mère de "son" enfant. Nikolay Ivanovich, traumatisé par son acte, fait une dépression et quitte l'hôpital. Iya déboussolée, amoureuse de Masha et irritée de la présence de Sascha, vient se donner une nouvelle fois à Nikolay Ivanovich qui lui propose tendrement de l'emmener avec lui, loin de cette ville.
Iya rentre chez elle pour aider Masha à mettre ses plus beaux atours, la robe verte empruntée à la voisine, afin de rendre visite aux parents de Sasha qui est toujours aussi amoureux. Elle les laisse partir en voiture dans un sourire.
C'est Lyubov Petrovna, la mère de Sasha promenant son chien de race, que lui et Masha rencontrent dès leur arrivée en voiture. Lyubov Petrovna renvoie sèchement Masha, la jaugeant d'un seul regard. Sasha insiste néanmoins et Lyubov Petrovna leur sert un couvert. Elle interroge crument Masha sur son rôle pendant la guerre et celle-ci reconnait être une femme de soldat ayant eut la nécessité d'avoir plusieurs "époux "pour éviter de mourir de faim. Elle déclare même être stérile suite à de multiples avortements. Masha affirme néanmoins crânemente que Sasha l'aime suffisamment pour l'installer elle et le bébé, conçu par Iya, dans sa grande maison. Lyubov Petrovna reconnait le courage de Masha, auquel elle ne peut opposer que de bien faibles faits d'armes, mais sait que son fils ne la reverra plus jamais. Et Sasha, effectivement, meurtri mais choqué, quitte la pièce.
Masha rentre en tram, souriante malgré tout, jusqu'à ce que l'on informe les passagers d'un suicide d'une grande fille sous les roues. Heureusement pour Masha, ce n'est pas Iya. Elle la retrouve chez elle et la convainc qu'elles seront heureuses toutes les deux en élevant leur enfant qui deviendra intelligent et qu'elles amèneront au cinéma.
L’influence d’Alexandre Sokourov (Le soleil, Faust) est évidente sur la mise en scène de Balagov, son jeune élève de 27 ans. L'esthétique du plan est en effet contrôlée en permanence par Kseniya Sereda, la cheffe opérateur, âgée d’à peine 25 ans. Rien de contingent ne vient déranger le magnifique ordonnancement de la lumière et des couleurs qui transforme en fresque historique le parcours tragique de deux femmes soumises à la violence de l'histoire et d'une société sans âme.
L'esthétisation de l'horreur était vaine et démonstrative dans Le fils de Saul, car elle ne visait qu'à la performance et l'image sulpicienne. Balagov est bien plus émouvant. Il échappe en effet à l'esprit de système par un développement narratif où chaque second rôle se révèle de plus en plus complexe dans la relation qu'il entretient aux autres. Si l'histoire est précisément datée, elle atteint par son esthétisme un universalisme qui en fait une charge contre la société patriarcale et répressive de la Russie contemporaine.
Un scénario qui vise d'abord à l'émotion et à la sensation
Pour écrire son film, Kantemir Balagov et son coscénariste, Alexander Terekhov, se sont inspirés des souvenirs de guerre de femmes soviétiques que l’écrivaine Svetlana Aleksievitch a réunis dans La guerre n’a pas un visage de femme (J’ai lu, 2005). Ces éléments documentaires sont distillés avec parcimonie avant la grande scène chez la mère de Sasha. Rien n'est montré ; tout passe par l'évocation par Masha de ce qu'elle a dû subir pour survivre et son courage de résister encore pour avouer une vérité difficile face aux mensonges de la propagande. C'est le point d'aboutissement d'un ensemble de séquences d'une force terrible : la mort absurde et violente de Pashka, la mort dans une fumée de cigarette de Stepan; la danse de la toupie de Masha dans sa robe verte, la conception à trois de l'enfant d'Iya, Masha faisant face à Lyubov Petrovna, la mère de Sasha.
Face à la violence des hommes et du pouvoir, la guerre et la famine, Iya et Masha font preuve de résistance et de la résilience. Leur féminisme, humanité, leur joie de vivre qui suppose, bisexualité, droit à l'avortement et même gestation pour autrui sont des valeurs qui heurtent de plein fouet la réactionnaire et patriarcale société Russe contemporaine. Une grande fille est ainsi une oeuvre politique.
Jean-Luc Lacuve, le 10 août 2019