Isabelle vient d'être admise au concours préparatoire à l'examen du Conservatoire en jouant une courte scène de La mégère apprivoisée. Reçu l'année précédente, François lui a donné la réplique. Ils se retrouvent, avec Cécilia, dans la classe du professeur Lambertin.
Isabelle, nièce de blanchisseuse, est sommée par ses parents adoptifs de quitter le théâtre et de revenir à la blanchisserie. L'intervention de Lambertin, qui se montre aussi spirituel qu'odieux et cassant avec les Grenaison, petits bourgeois qui veillent sur leur nièce comme son père veillait sur lui, permet à Isabelle de rester au conservatoire ... mais sans argent. Bientôt François, connu comme volage, s'éprend d'Isabelle, alors qu'il est aimé de Cécilia. François devient guide d'une agence pour touristes esseulées afin d'aider Isabelle sans le sou. La jalousie ronge Cécilia qui choisit de présenter au concours une scène d'une pièce où l'héroïne meurt empoisonnée.
François est devenu l'amant d'Isabelle. Alors qu'il est avec elle, son agence le convoque d'urgence : à 80 km de Paris, il découvre que sa cliente n'est autre que Cécilia qui le garde toute la nuit après avoir prévenu Isabelle qu'ils étaient ensemble à la campagne. Le lendemain, après avoir raté le dernier cours, il a une explication orageuse avec Isabelle qui le chasse. Vient le concours : François donne la réplique à Cécilia qui s'empoisonne sur scène en l'accusant. Arrêté, il sera innocenté par le témoignage involontaire de Dominique, un ami d'enfance de Cécilia amoureux d'elle depuis toujours.
Les interventions de Louis Jouvet auprès de ses élèves sont la seule vraie partie intéressante du film. Son discours aux parents adoptifs d'Isabelle manque singulièrement d'humanité et sacrifie aux mots d'auteurs aussi spirituels que vains. Si l'amour sincère et frémissant d'Isabelle sonne juste, on a en revanche bien du mal à croire en la sincérité de François. La fin, qui sacrifie le pulsionnel Dominique sur l'autel de l'amour bien gentil, fait triompher les sentiments les plus conventionnels... Un comble pour un film censé parler du théâtre.
Les accessoires, la vérité du personnage et le respect du texte.
L'intérêt du film réside donc principalement dans sa partie documentaire du cours de Jouvet au conservatoire. Il y a, d'une part, l'audition de Juliette dans une courte séquence de La mégère apprivoisée puis une grande séquence de trois répétitions successives d'élèves sous l'il caustique de Lambertin. Celui-ci enseigne trois grands principes à ses élèves : l'attention aux accessoires, trouver la vérité du personnage et le respect absolu du texte.
Jouvet-Lambertin est souvent cruel avec ses élèves : "Son regard est stupide mais l'il est vif. Il y a dans son regard une grande lueur d'inintelligence" (à propos de Juliette attendant avant sa scène de La mégère apprivoisée) puis à Pescani : "Tu joues mollement. Tu t'installes confortablement dans un métier où il n'y a pas de confort. Tu es bourgeois. En scène, tu fais du tricot". Il s'amuse aussi du commentaire de François, son élève préféré, sur le jeu de ses camarades, qu'il désapprouve pourtant : "Je te remercie. Tu ferais un excellent critique : tu parles fort bien de ce que tu connais mal."
Ses conseils portent d'abord sur le respect de la vérité du lieu et des accessoires. Pescani ne devrait pas oublier de fermer la porte imaginaire... ni oublier de l'avoir ouverte avant de la fermer. Il y a aussi la façon de tenir le missel dans la troisième répétition, celle des Caprices de Marianne. "...et moi je trouve qu'elle l'a pourtant fort bien jouée sa scène. Une observation pourtant Micheline. A la fin de la tirade, tu dis que tu as un livre de messe à la main alors, observe-toi, tu ne remarques rien ? Pourquoi tiens-tu sous le bras, un livre que tu prétends tenir à la main. Penses à ce que tu dis !". "J'y pense maitre". "Alors penses à ce que tu fais : un missel, ça ne se tient pas sous le bras comme un dossier de notaire". "Je n'ai pas confiance en moi". "Qu'est-ce que ça fait si tu as confiance dans ton personnage."
La vérité du personnage que l'acteur doit trouver a fait l'objet d'une remarque dans la première répétition : "... Mireille, mon petit, ce n'est pas mal, mais tu es un peu trop coquette. Tu as de très jolies jambes et je t'en félicite mais ton rôle n'est pas un rôle à jambes, c'est un rôle de sentiments. Il faut qu'on oublie les jambes". Il épinglera aussi cruellement Jérôme, incapable de prononcer juste son "Vous, c'est vous" car il le joue surpris et non pas amoureux. C'est peut-être cependant là l'une des limites de l'enseignement de Jouvet qui a tendance à enfermer les acteurs dans un style : personnage d'amoureux, de jeune première, de coquette... La vibrante Juliette avait pourtant évoqué la facilité à jouer des personnages qui sont très éloignés d'elle, contrairement à l'amoureuse qu'elle aimerait être mais dont elle n'a pas l'expérience qu'elle juge nécessaire."
La seconde scène répétée, Nuit d'octobre, a pour but d'épingler les acteurs qui ne connaissent pas parfaitement leur texte. Dire "que l'on voit s'évanouir avec la rosée" n'est pas la même chose que "... qu'avec la rosée, on voit s'évanouir". Cela fait bondir Lambertin : "Il y a dans les théâtres comme dans les épiceries une honnêteté professionnelle qui consiste à ne pas tromper le public. Il faut d'abord savoir son texte. Si tu voles ici une rime, là un alexandrin, le public finira par s'apercevoir qu'il n'y a pas le poids et tu perdras ta clientèle. Et, la prochaine fois, n'oublie pas de mettre la rosée au début et l'évanouissement à la fin."
Jean-Luc Lacuve, le 06/03/2012.