Un temps pour vivre,
un temps pour mourir

1986

(Tong nien wang shi). Avec : Tien Feng (Tin Fung, le père), Mei Fang, Hsin Shu-Fen, Ru-yun Tang, Ch'en Shu-fang. 2h17.

Hou Hsiao-hsien dit se souvenir de son enfance heureuse. Quarante jours après sa naissance, en 1947, son père avait obtenu un poste d'inspecteur d'académie à Taiwan et, un an plus tard, avait décidé de faire venir sa famille sur l'île. Ses problèmes d'asthme avaient conduit la famille à s'installer à Fengshan, ville du sud de Taiwan. Sa mère est enseignante , il a une grande soeur, un grand frère et trois plus jeunes frères ainsi qu'une grand-mère qui le vénère s'étant faite prédire qu'un jour son petit-fils serait un grand mandarin.

En 1957, la grand-mère recherche ainsi Hou Hsiao-hsien qu'elle surnomme Ah-Ha dans les rues de Fengshan. Mais Ah-Ha ne répond pas à ses appels, préférant jouer aux billes avec ses camarades. Lorsqu'il se décide à rentrer, il cache des billes et un peu d'argent dans un trou creusé dans le sol près d'un arbre. En rentrant, sa mère l'accuse de l'avoir volée. Il nie puis finit par avouer mais devant l'arbre la mère et la grande soeur ne voient qu'un trou vide. Ah-ha comprend qu'il a été lui-même volé et pleure sous les coups infligés par sa mère. A ce moment la grand-mère est ramenée par un conducteur de pousse-pousse. En se promenant trop loin elle s'était égarée. La grande soeur paie la course du pousse-pousse.

Les jours passent et la propagande militaire du pays bat son plein lors de la fête nationale du double dix où des escarmouches aériennes avec la Chine continentale ont abouti à une victoire défensive. Dans la nuit, la famille perçoit des bruits de char. Au matin, la route devant la maison est défoncée. A l'école, des élèves disent souhaiter vouloir reconquérir le pays. La grand-mère souhaite emmener son petit-fils au pays pour rendre hommage aux aïeuls de la famille. Ah-Ha l'accompagne sur la route vers le port. Ils cueillent des goyaves.

Ah-ha a passé l'examen qui pourrait lui permettre d'entrer au collège. Lorsqu'il pénètre dans sa salle, sa table est marquée d'un signe indiquant qu'il a réussi. Il s 'en va fièrement annoncer la nouvelle chez lui. La grande soeur fait le ménage à la maison et se félicite de la chance qui a toujours sourie à Ah-Ha. Elle-même a eu plus de difficultés pour passer ses examens loin de chez elle. Son père s'était félicité de sa réussite mais, faute d'argent, n'avait pu lui payer de grandes études. Comme sa mère, elle avait fait l'école normale et deviendra bientôt enseignante. Ce qui est déjà beaucoup pour une femme, dont la tache devrait se cantonner à entretenir la maison et faire la cuisine, moralise la grand-mère. Le grand frère trop fragile pour le service militaire devra lui aussi faire l'école normale.

La santé du père se dégrade. L'asthme cache une tuberculose qui lui fait cracher du sang sur ses écrits. Lors d'une panne d'électricité, la grande soeur le découvre inanimé sur sa chaise. La venue d'un docteur n'y pourra rien : Tin Fung est mort. La grande soeur et la mère sont effondrées de chagrin, les garçons semblent un peu moins affectés. Ah-ha est surtout marqué par le crie déchirant de sa mère lorsque l'on emmène le cadavre de son mari.

Hsiao-hsien a maintenant seize ans. Du haut d'un arbre, il surveille avec les garçons de sa bande les agissements d'un vendeur de tissus. Celui-ci a refusé de verser au chef de bande un peu d'argent pour sa présence sur leur place. Ils tentent de lui barrer le passage lors de son départ en moto, vainement.

Ah-ha suit sa dernière année au collège, plus préoccupé de sa place dans la bande que de ses études. Il fait semblant de tricher pour humilier son professeur et reçoit un avertissement pour mauvaise conduite. La sanction sera seulement un changement de classe dont Hsiao-hsien se vengera en crevant les pneus du vélo de son professeur.

La mère est courtisée par un professeur sympathique ce qui ne plaît pas à la grande soeur et au grand frère qui dissuadent la mère de continuer à le voir. La grand-mère perd de plus en plus souvent la mémoire et est ramenée à nouveau par un pousse-pousse.

Un matin, la mère découvre une excroissance de chair sur la langue. Un examen révèle qu'il s'agit d'un cancer de la gorge. Pour être mieux soignée, la mère, est hospitalisé à Taipei. La grande sœur l'accompagne, laissant les garçons se débrouiller seuls.

Les rixes se multiplient entre la bande de Hsiao-hsien et celle de la porte ouest.

Apres quelques mois d'hospitalisation, la mère revient à la maison, très affaiblie, pour y mourir. Hsiao-hsien pleure lors du service funèbre. La grand-mère se perd de plus en plus souvent et, une fois qu'un pousse-pousse exige une somme trop importante, Hsiao-hsien le chasse. Bientôt , la grand-mère ne quitte plus sa couche. Un jour qu'il lui apporte son bol de nourriture, Hsiao-hsien découvre des fourmis sur sa main. La grand-mère est morte. Les gens des pompes funèbres constatent que son corps se décompose déjà, preuve d'une mort déjà peut-être de quelques jours. Hou se souvient du regard méprisant de l'employé des pompes funèbres.

Evocation de deux périodes de la vie de Hou Hsiao-hsien, son enfance à dix ans en 1957 lors de son entrée en collège puis son adolescence, en dernière année de collège vers 1963-64. La première partie se termine par le décès du père. La seconde est marquée par l'agonie de la mère et se clôt sur le décès de la grand-mère.

Au travers des personnages de sa grand-mère et de ses parents, Hou Hsiao-hsien évoque aussi le traumatisme de l'exil. Venue volontairement à Taiwan en 1948, la famille y restera bloquée par le pouvoir nationaliste de Chang-Kai Cheikh. Elle ne pourra jamais revenir en Chine. Les parents regrettent leur exil mais sont heureux d'avoir échappé au communisme et son grand bond en avant de 1957. La grand-mère, personnage quasi-durassien, erre sur la route vers le port pensant trouver un pont qui la ramènera en Chine. La maladie d'Alzheimer lui permet d'échapper au désespoir, d'oublier parfois son envie de revenir au pays. Elle occupe son temps à économiser pour l'au-delà avec de l'argent de papier et avec son amour pour son petit-fils.

Le film est articulé sur deux ou trois événements de l'enfance qui ont profondément marqué Hou Hsiao-hsien : la découverte des billes volées, les larmes lors du décès de la mère, le regard de l'employé des pompes funèbres. Ces quelques ressentis psychologiques sont des exceptions par rapport au principe majeur du film qui est d'aller chercher dans le passé des événements entendus ou perçus par l'enfant alors incapable d 'en comprendre le sens. C'est l'adulte artiste, Hou, qui remet en perspective ce qui avait été ressenti sans recul.

Au monologue de la grande sœur dans la première partie, où elle exprime son dépit d'avoir arrêté ses études au niveau de l'école normale, succède un mouvement de caméra qui vient cueillir Hsiao-hsien écoutant cette conversation. C'est aujourd'hui que Hou place au centre de la séquence la plainte de la soeur dont il n'avait sans doute que vaguement compris le propos à l'époque. Le discours de la garde soeur devient premier au présent du film alors que, dans le passé, l'écoute de Hsiao-hsien n'avait sans douté été que partielle. Il en est de même dans la seconde partie, lors du dialogue de la mère et de la fille au sujet de la mort de la seconde fille, enfant, qui s'était nourrie d'aliments impurs. La mère se reproche d'avoir donné du lait au fils adoptif à son détriment. La grande soeur comprend la douleur de sa mère et ordonne à Hsiao-hsien de ne plus chanter. Là encore, c'est aujourd'hui que Hou met au centre la conversation. Il ne réserve à son personnage d'alors que le rôle d'un spectateur peu impliqué de la scène.

Cette façon de redonner, par son art d'aujourd'hui, sens et émotion à des pointes de passé incomprises à l'époque est également manifeste dans ses souvenirs de la grand-mère. Ainsi, peu après la scène d'ouverture, celle-ci s'en va crier le nom de Ah-Ha dans Fengshan quasi-désert. Hou fait entendre les cris assourdis de la grand-mère lorsque Ah-Ha joue un peu plus loin. C'est aujourd'hui seulement que la juxtaposition du cri et de l'indifférence de l'enfant est cruelle et ressentie comme telle par Hou et par le spectateur. A l'époque, Ah-Ha n'avait entendu qu'un vague cri auquel il ne s'était pas donné la peine de répondre.

Jean-Luc lacuve, le 11/10/2010, après l'intervention de Charles Tesson au Café des Images pour le cycle d'études consacré à Hou Hsiao-hsien.

critique du DVD Editeur : Carlotta Films. Novembre 2017. Le coffret des six DVD ou Blu-ray : 60,19 €
Analyse DVD

DVD ou BD 1 : Cute girl (86 mn). DVD ou BD 2 : Green green grass of home (87 mn). DVD ou BD 3 : Les garçons de Fengkuei (96 mn). DVD ou BD 4 : Un temps pour vivre, un temps pour mourir (131 mn). DVD ou BD 5 : Poussières dans le vent (106 mn). DVD ou BD 6 : La fille du Nil (89 mn).