Séjour dans les monts Fuchun

2019

Genre : Drame social

Festival de Cannes 2019 (Chun jiang shui nuan). Avec : Qian Youfa (Youfu), Wang Fengjuan (Fengjuan), Sun Zhangjian (Youjin), Sun Zhangwei (Youhong), Zhang Renliang (Youlu), Zhang Guoying (A-Ying), Du Hongjun (Mum), Peng Luqi (Gu Xi). 2h30.

Été. Ce qui était la ville de Fuyang est rattachée depuis peu à la mégalopole de Hangzhou, capitale de la province du Zhejiang, en plein développement. Les loyers comme le prix du m2 augmentent en flèche. Ce sont ces discussions qui animent les invités du restaurant où l'on fête l'anniversaire de la grand-mère. Ses quatre fils sont là. L'aîné est le propriétaire du restaurant et fait la cuisine malgré d'intermittentes coupures de courant. Le deuxième fils, pêcheur dans la rivière Fuchun, écaille le poisson qui sera bientôt servi aux invités. Le troisième fils est encore à table mais cherche à qui il pourrait bien emprunter de l'argent pour faire face à ses dettes. Après plusieurs refus, il convainc son frère, le quatrième fils, déficient mental léger, de lui donner une partie de l'argent recueilli auprès des invités pour l'anniversaire. C'est bientôt l'heure des vœux de bonne santé qui voient se réunir auprès de la grand-mère les quatre fils et les petits-enfants : Guxi, la fille du couple de l'aîné, et les fils du deuxième et troisième fils ; ce dernier né avec une trisomie. Hélas au moment des vœux, la grand-mère est victime d'un malaise et doit être conduite à l'hôpital.

Le médecin annonce à la famille que la grand-mère restera désormais sénile, victime d'une maladie d'Alzheimer à un stade déjà avancé. Seul le couple du fils aîné peut la prendre en charge. Mais cela ne plait évidemment pas à la femme qui assume déjà les courses et la comptabilité du restaurant et qui a déjà du s'occuper de sa mère en fin de vie. Elle finit toutefois par accepter cette tâche car elle s'en veut un peu d'avoir investi les 10 millions d'économie du couple dans un projet d'investissement de son frère qui tarde à donner ses fruits.

Le second fils voudrait récupérer l'argent qu'il a prêté à son frère aîné car son fils se marie et le couple a décidé de lui acheter un appartement neuf en grande partie avec l'argent du contrat de démolition que la ville propose à ceux dont les terrains vont permettre la construction de nouveaux gratte-ciels. En attendant la démolition programmée de leur maison, la famille à enfant unique dort dans son bateau de pêche. Le second fils ne peut que participer aux frais de prise en charge de la grand-mère.

Le troisième fils a été quitté par sa femme et élève seul son enfant trisomique. Il ploie sous les dettes. Les mafieux auxquels il doit de l'argent ont placé sous ses fenêtres de grands rouleaux de papier le désignant comme malhonnête. Le troisième fils a rendu l'argent emprunté le jour de l'anniversaire à son frère pour payer les frais médicaux de la grand-mère. Mais sa situation empire car son fils, affaibli par la trisomie, doit être hospitalisé pour une pneumonie qui entraînera des frais coûteux.

Le quatrième fils est instamment prié par son frère aîné de trouver une femme pour se conformer aux canons sociaux. Mais, un peu simplet, le quatrième fils échoue à séduire les femmes qui recherchent un mari dans les mêmes conditions de contraintes sociales.

Ce sont ces contraintes sociales qui amusent Guxi, la fille du premier couple et son amoureux, professeur dans le même collège qu'elle. Tous deux discutent de leurs études, des voyages qu'ils envisagent, de leur enfance. Le jeune professeur se jette même à l'eau pour prouver qu'il va plus vite à la nage que Guxi à pied sur les rives de la rivière Fuchun. Puis ils poursuivent leur discussion tout au long de la rivière jusqu'au Ferry conduit par le père du jeune professeur qui peut ainsi lui présenter Guxi.

Guxi est très amoureuse mais sa mère a d'autres projets pour elle et tient à ce qu'elle épouse le fils d'une riche famille. Guxi demande à sa grand-mère de l'aider à prendre sa décision. La grand-mère est séduite par le jeune professeur et les encourage à braver les diktats de leurs parents.

Automne. Le troisième fils revient demander de l'argent au fils aîné qui ne peut accéder à sa demande mais accepte de lui prêter sa voiture pour qu'il puisse se mettre en relation avec son "parrain" avec lequel il pense gagner enfin de l'argent. Mais il est repéré aidant son frère à échapper aux mafieux à sa poursuite. Le fils aîné reçoit ainsi plus tard la visite des mafieux qui le menacent s'il ne rembourse pas les 3 millions de dettes de son frère. Comme il reste ferme, ils font de la casse dans son restaurant.

Guxi est reniée par sa mère et, malgré la tentative de médiation de la directrice du collège, le jour de la fête de la mi-automne et même de la grand-mère, elle refuse de revoir sa fille. Celle-ci se fiance donc sans sa famille.

Le couple du second fils signe le contrat de démolition et achète l'appartement du fils. Celui-ci consent de gros efforts pour être à la hauteur de la famille de sa fiancée qui aimerait pour elle un garçon plus riche.

Le troisième fils, ouvrier en démolition d'immeubles, recueille dans ceux-ci des valises contenant des souvenirs personnels de ceux qui sont partis. La grand-mère est placée dans un l'hospice

Hiver. Le troisième fils est revenu. Il est riche désormais. Il posséde l'art de tricher au jeu et détient un tripot. Il se réconcilie avec tous ses frères. Le jour du nouvel an, il règle ses dettes et apporte des cadeaux au deuxième fils et demande la médiation de sa belle-sœur pour se réconcilier avec son frère aîné.

Le troisième fils s'occupe souvent de la grand-mère mais un jour elle s'enfuit et n'est retrouvée très affaiblie que cinq jours plus tard.

Guxi se marie, seul le troisième fils assiste de loin à la fête du mariage sur le ferry et voit s'éloigner celui-ci.

Le troisième fils est devenu un mafieux respecté mais est surpris par une descente police alors qu'il arnaquait une riche propriétaire d'une papeterie. Dans l'affolement, la grand-mère était repartie une nouvelle fois toute seule.

Printemps. Le jour du nettoyage des tombes, la famille brûle des papiers sur la tombe de la grand-mère. Guxi s'est réconciliée avec sa famille et est accompagnée de son mari. Celui-ci est fier de montrer son roman policier, édité comme il le voulait. La mère de Guxi lui rappelle que, pour elle non plus, il n'avait pas été facile d'imposer son mari à sa famille. Le troisième fils descend les escaliers du cimetière et contemple la ville.

Fuyang, ancienne banlieue tranquille, vient d'être intégrée à la municipalité de la ville de Hangzhou, capitale de la province du Zhejiang, où s’est tenu le sommet du G20 en 2016 et qui accueillera les Jeux asiatiques de 2022. Les parents du réalisateur y possédaient un restaurant à l’endroit où Huang Gongwang, le peintre du XIVe siècle, peignit Séjour dans les monts Fuchun. Le long rouleau à main de près de 7 mètres se déroulait lentement, dans un mouvement allant de droite à gauche permettant d’observer, au fur et à mesure, davantage d’images et de scènes. Le jeune réalisateur déploie son film à la manière de ce rouleau de peinture ancienne, établissant une chronique familiale sur trois générations et quatre saisons sur fond de mutations de la Chine urbaine.

Du rouleau à main au plan-séquence.

Si le rouleau à main est, dans un certain sens, le précurseur du cinéma, Gu Xiaogang, 31 ans dont c'est le premier film, retrouve les principes de la peinture de paysage où dominent montagnes et eaux courantes, la peinture classique Shanshui. Ce sont d'abord les plans-séquences en travelling latéral qui magnifient le processus du déroulement du rouleau de peinture : la pluie de grêle sur la rivière et surtout le très long plan-séquence qui voit le fiancé de Guxi se jeter à l'eau pour prouver qu'il va plus vite à la nage qu'elle, à pied sur les rives de la rivière Fuchun. Au cours de sa nage, il croise moult sportifs nageant avec une bouée de repérage. En sortant de l'eau, aux pieds de Guxi qui l'attend, il enfile un tee-shirt puis les deux jeunes gens poursuivent leur discussion tout au long de la rivière. Un homme promène ses chiens, des embarcations et des nageurs passent encore. Enfin ils atteignent le ferry conduit par le père du jeune professeur qui peut ainsi lui présenter Guxi. Le plan-séquence se termine avec les deux amoureux contemplant la baie de Fuchun de la passerelle du ferry.

Autre plan-séquence virtuose, celui qui suit la rencontre amoureuse avortée du quatrième fils. Incapable d'avoir une conversation intéressante avec la femme qui lui a donné rendez-vous, il marche néanmoins avec elle le long de la rivière. La caméra les suit alors dans leur déambulation. C'est alors que ce font entendre des paroles beaucoup plus intéressantes et la caméra remonte alors pour saisir, sur le chemin du haut, Guxi et son fiancé qui marchent jusqu'au grand arbre vers lequel monte la caméra jusqu'à la cime avant de redescendre... vers  le quatrième fils qui échoue à prendre la main de la femme à marier.

Une fresque familiale

Le rouleau de peinture construisait divers angles afin de créer une expérience visuelle complète et unifiée. Parfois les points de vue se situent dans le ciel, parfois sur la terre, parfois dans la forêt. Ainsi, si les plans-séquences permettent ces instants poétiques qui procurent la sensation d'un cours de la vie paisible et majestueux, ce reflet étal du monde n'en avale pas pour autant les remous de vie difficile dune famille dans la Chine urbaine contemporaine. L'ossature dramatique se construit au travers des points de vue des quatre fils mais aussi de leurs enfants et de leur mère dont l'accident initial conduira à sa mort un an après. Chacune des quatre familles vit difficilement ayant, pour les trois premières, été contraintes à l'enfant unique et ayant donc reporté de manière étouffante leur espoir sur lui.

Comme les vides de la peinture chinoise, les ellipses sont ici pleines de sens ; la réconciliation de Guxi avec sa mère pas plus que la mort de la grand-mère ne sont filmées comme si, finalement, la réconciliation et le souvenir importaient davantage. C'est ce qu'exprime si bien la scène finale, jour de printemps du nettoyage des tombes. Le troisième fils manque puisqu'il a été arrêté par la police. Le quatrième fils, qui n'aime rien tant que l'eau et la lecture de souvenirs personnels, prononce l'oraison funèbre avant que tous ne descendent le grand escalier plongeant sur la ville qui ne cesse de croîitre.

Séjour dans les monts Fuchun (détail)
Huang Gongwang, 1350
Séjour dans les monts Fuchun (photogramme)
Gu Xiaogang (2019)

Jean-Luc Lacuve, le 7 janvier 2020.