Indiscretions

1940

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Thème : Le couple

(The Philadelphia Story). Avec : Cary Grant (C. K. Dexter Haven), Katharine Hepburn (Tracy Lord), James Stewart (Macaulay "Mike" Connor), Ruth Hussey (Elizabeth "Liz" Imbrie), John Howard (George Kittredge), Roland Young (Oncle Willie), John Halliday (Seth Lord), Mary Nash (Margaret Lord), Virginia Weidler (Dinah Lord), Henry Daniell (Sidney Kidd). 1h52

Philadelphie, une vaste maison dans un parc. Rupture brutale du couple Tracy-Dexter.

Deux ans plus tard, même lieu. On prépare la réception pour le mariage de Tracy Lord et de George Kittredge. Ce dernier arrive et se ridiculise devant Tracy, sa sœur Dinah et l'oncle Willie. Au même moment, Sidney Kidd, directeur d'un journal de Philadelphie, décide de publier un reportage sur ce mariage mondain et le confie à Mike Connor, journaliste, et Liz Imbrie, photographe, aidés par Dexter. La famille Lord est contrainte de recevoir le trio en feignant un immense plaisir. Le vrai père de Tracy, Seth Lord (qui a abandonné sa femme pour Tina Mara, une danseuse), arrive à l'improviste. Pour éviter tout scandale, on le présente comme l'oncle Willie. En résultent une certaine gêne et une série d'imbroglios.

Tracy et Mike font plus ample connaissance. Plus tard, Dexter et Tracy s'expliquent. Le ton monte : Dexter, George et Seth Lord disent, chacun à leur tour, ses quatre vérités à Tracy. Celle-ci se met à boire force coupes de champagne et, l'ivresse aidant, abandonne sa froideur habituelle et se tourne vers Mike.

Le lendemain matin Tracy rompt avec George : leur mariage n'aura pas lieu. Mike arrange finalement les choses ; mais ce n'est pas lui qui épousera Tracy... qui re-épouse Dexter !

Sommet inégalé de la comédie sophistiquée avec son élégance raffinée à l'extrême (toilettes, champagne, piscine et réceptions), ses dialogues à double entente, spirituels faisant mouche en rafale et ses acteurs, instruments de précision comique et intellectuel (Stewart faire valoir de Cary Grant, Catherine Hepburn a sommet de son art) au service d'un Cukor qui atteint à une liberté de ton qui égale celle de Ernst Lubitsch.

Après le prologue, la comédie du remariage doit se résoudre en trois jours, du jeudi au samedi. Il est construit en autant de grandes scènes où Tracy donne puis prend des coups. La journée du vendredi commence le matin à la bibliothèque puis se déroule autour de la piscine avec une accélération du temps : les trois dialogues de Tracy avec successivement Mike, Dexter et Kittredge se termine à la nuit tombée : 7 heures. On se retrouve ensuite à quatre heures du matin, à la fin de la réception, le samedi matin, jour du mariage.

La comédie est classiquement fondée sur une série d'oppositions. Alors que Tracy souhaite un mariage discret, il est perturbé par l'intrusion de deux journalistes, de l'ex-mari, revenu tout exprès de deux ans en Amérique du sud et du père de la marié. Cukor n'abuse pas du côté burlesque et ne fait pas intervenir deux personnages pourtant centraux dans le scandale familial : le frère Junius et la danseuse Tina Mara.

La seconde opposition est celle entre les riches et les pauvres. Dans le camp des pauvres seulement Mike et Liz. Dans leur première rencontre avec eux, Tracy, qui connaît leur identité, en profite pour leur extorquer des confidences. Mike doit son vrai prénom Macaulay à son père, pauvre professeur d'histoire de l'Angleterre et Liz a divorcé de Joe Smith, quincaillier. Ils sont non seulement pauvres mais hors du sérail de Philadelphie, tous deux petits provinciaux. Mike, 30 ans, n'a pu écrire qu'un seul livre qui lui a coûté deux ans de travail et rapporté 600 dollars alors que Liz doit également être photographe pour assumer sa vocation de peintre.


La troisième opposition est au cœur du conflit dramatique et oppose les gens de morale et gens de plaisir. Du côté de la morale : Tracy, sa mère, Kittredge et Mike. Du côté du plaisir : Dexter, le père et l'oncle. Au milieu, en observatrices : Liz et Dinah.

C'est la fierté de Tracy qui est l'objet de toutes les attaques du film. Sa mère, qu'elle réconforte au début, n'est plus très sure de son choix. "J'ai gardé ma fierté mais pas mon mari". Dexter épingle "Le regard de la déesse outragée", affirme qu'elle est son spectacle préféré, qu'elle ne pardonne pas, ne tolère pas les défaillances. Son père la qualifie de "dame justice en personne".

Dans la grande scène de dialogue du vendredi au bord de la piscine, Dexter lui rappellera qu'elle ne veut pas un mari mais l'adorateur d'une vestale (déesse vierge) et sans tache (peignoir blanc) et qu'une nuit d'exception elle s'était saoulée pour montée nue sur le toit à hurler à la lune. La lune aussi est une vestale chaste et pure (virginale) lui rappelle-t-il.

Dexter lui reproche de ne pas être une vraie femme : "Cette vestale doit rester et restera sans tache (intacte)" et d'être la représentante d'une nouvelle race de femme qu'il méprise : "les vierges mariées".

Son père lui reprochera pareillement dans la soirée de ne pas être une vraie fille :
"Pour un père, la meilleure arme contre l'âge c'est sa fille. Une fille aimante donne à son père l'illusion de la jeunesse car sans cela l'homme cherchera ailleurs cette jeunesse. (...) Tu as tout sauf l"essentiel : un cœur compréhensif et sans lui tu n'es qu'une statue de bronze, une poseuse sans cœur, une sorte de déesse sur un piédestal. Il conclura ainsi :" Tu pourrais être une femme extraordinaire, je méprise en toi quelque chose que tu ne veux pas changer ; ta sois disant force de caractère, ton intolérance. Tu ne seras jamais une femme à part entière tant que tu ne comprendras pas la faiblesse humaine."

L'autre intransigeant c'est Macaulay qui ne voit d'abord en Tracy Samantha Lord qu'une femme, jeune, riche, orgueilleuse et rapace. C'est en retournant la morale que lui a faite son père contre lui que Tracy en ressent intimement la vérité. Cette faiblesse humaine qui consiste à accepter l'autre.

La quatrième opposition enfin, celle sur la conduite de la vie, résout la comédie du remariage. Elle oppose cette fois ci les gens racés aux mal dégrossis. Kittredge a travaillé et sait se battre mais Dexter n'y voit que des qualités inverses aux siennes et lui reproche son infériorité "spirituelle et morale." Or que peux-ton reprocher à Kittredge ? Qu'il ne soit qu'un parvenu en étant, à 32 ans, directeur d'une société appartenant à Seth Lord, le père de la marié ? Qu'il réagisse trop vite aux apparences ? Qu'il s'habille trop bien et soit trop respectueux ? Il ne veut en effet qu'un couple solide et sain : "Personne ne sera jamais votre seigneur et maître,(..) Je vous feras une tour d'ivoire où vous serez lointaine, altière inaccessible comme une reine, formidable absolument parfaite. Vous êtes belle et pure comme une statue." Tracy répondra évidemment qu'elle ne veut pas être vénérée mais aimée. Elle partage avec Dexter l'envie d'être "Yar", terme de yachtman qui désigne The true love, le bateau de Dexter : fin, racé, facile à manier.

Les classes importent peu, dit-elle, seuls les gens comptent : notre veilleur de nuit est un prince. On a du mal à la croire, ce n'est que l'exception qui confirme la règle. Au final les, gens auront appris à se respecter, se seront révélés à eux-même, certaines barrières auront été renversées mais pas celle des classes.

Jean-Luc Lacuve, le 06/09/2006.