(1840-1917)
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Réalisme |
Auguste Rodin est l'un des plus importants sculpteurs français de la seconde moitié du XIXe siècle, considéré comme un des pères de la sculpture moderne. Héritier de l'art antique, l'art réaliste de Rodin est un aboutissement, croisement de romantisme, de symbolisme et d'impressionnisme dont la sculpture est modelée par la lutte entre l'instantané et l'éternité.
Pygmalion et Galatée | 1889 | New York, Metropolitan |
Le baiser | 1898 | Paris, Musée Rodin. |
Grande Ombre | 1898 | Caen, musée des Beaux-Arts |
Abattis | 1900 | Paris, Musée Rodin. |
La porte de l'enfer | 1900 | Paris, Musée Rodin. |
Le penseur | 1904 | Paris, Musée Rodin. |
La femme slave ou La mer | 1906 | Paris, Musée Rodin. |
Auguste Rodin naît dans une famille modeste mais aisée le 12 novembre 1840 a dans le 5e arrondissement de Paris. Son père, Jean-Baptiste, né à Yvetot en 1803, s'était installé à Paris en 1830 comme garçon de bureau à la préfecture de police. Sa mère, Marie Cheffer était la fille d'un paysan lorrain de Landsdorff. Après l'école primaire des frères de la doctrine chrétienne entre 1848 et 1849, il est envoyé à Beauvais de 1851 à 1853 dans la pension que tient son oncle Jean-Hyppolite Rodin où il s'ennuie, mais où il découvre la cathédrale et l'art gothique.
En partie à cause de sa forte myopie, il mene des études médiocres. Ill gardera longtemps le handicap d'une faible maîtrise du français. Étant donné qu'il préfère griffonner des dessins sur ses cahiers, ses parents l'inscrivent gratuitement en 1854, à 14 ans, à l'École spéciale de dessin et de mathématiques à Paris, dite la Petite École (devenue École nationale supérieure des arts décoratifs), où il suit les cours du talentueux Horace Lecoq de Boisbaudran, dont la méthode consiste à préserver la sensibilité de chaque élève en lui enseignant à utiliser sa vue et sa mémoire visuelle, et du peintre Belloc. C'est là qu'il fait la connaissance d'Alphonse Legros.
En 1855, il découvre la sculpture avec Antoine-Louis Barye, puis Albert-Ernest Carrier-Belleuse. Il se rend alors régulièrement au musée du Louvre pour dessiner d'après l'antique, au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale, et au cours de dessin de la Manufacture des Gobelins, où il travaille le nu. En 1857, il quitte la Petite École et, fort d'un talent reconnu par ses professeurs, suivant l'avis du sculpteur Hippolyte Maindron, il tente le concours d'entrée à l'École des beaux-arts, dont il réussit l'épreuve de dessin, mais il échoue trois fois de suite à celle de la sculpture, son manque de culture humaniste lui faisant préjudice et son style n'étant pas conforme aux traditions néo-classiques qui y régnent. Il est alors contraint de travailler pour se nourrir et s'engage comme artisan-praticien dans des ateliers de divers sculpteurs, staffeurs ornemanistes et décorateurs, tels que Garnier, Blanche ou Michel-Victor Cruchet. C'est chez l'un d'eux que débute son amitié avec Jules Dalou.
L'activité de cette époque est particulièrement stimulée par les travaux d'urbanisme du préfet de Paris, le baron Haussmann, comme par le développement du goût de l'époque pour l'ornementation. Le 8 décembre 1862, fortement touché par le décès de sa sœur Maria, Rodin entre au noviciat de la congrégation du Très-Saint-Sacrement. Au terme d'un an, le père Pierre-Julien Eymard l'encourage vivement à poursuivre dans la voie artistique.
En 1864, il rencontre Rose Beuret, fille d'un cultivateur de Haute-Marne. Cette ouvrière couturière, âgée de 20 ans, lui servira de modèle et deviendra sa compagne. Il l'épouse le 29 janvier 1917, à la fin de leur vie, récompense pour cette femme discrète, dévouée et fidèle alors qu'il eut de nombreuses liaisons (Camille Claudel, Gwen John, la duchesse de Choiseul). En 1866, il aura d'elle un fils, Auguste Eugène Beuret, qu'il ne reconnaîtra jamais. Rose fut plusieurs fois le modèle de Rodin, témoignant de son évolution stylistique, de Jeune fille au chapeau fleuri en 1865, encore influencé par Carrier-Belleuse, en passant par Mignon en 1869, puis Bellone, exécutée en 1878 après son retour de Belgique.
Son Homme au nez cassé est refusé au Salon de Paris de 1865, mais le marbre sera finalement exposé en 1875. C'est dans la période de 1865-1870 qu'il débute sa collaboration avec Albert-Ernest Carrier-Belleuse, sculpteur renommé du Second Empire, formé lui aussi à la Petite École. Carrier-Belleuse porte la sculpture vers la production en série, stimulé par la forte demande de la haute bourgeoisie de l'époque. et pour les décors architecturaux de grands chantiers à Paris, tels que l'Opéra Garnier, l'hôtel de la Païva sur les Champs-Élysées, ou le théâtre des Gobelins.
En 1870, Rodin accompagne le sculpteur belge Antoine-Joseph Van Rasbourgh à Bruxelles, où il participe aux travaux de décoration de la Bourse du Commerce. Il est mobilisé comme caporal dans la Garde nationale au moment de la guerre franco-prussienne de 1870, puis réformé pour myopie. En mars 1871, il retourne alors en Belgique avec Carrier-Belleuse, avec lequel il collabore jusqu'en 1872. Il réalise deux sculptures colossales, L'Asie et L'Afrique, et des caryatides. Il s'associe par contrat à Van Rasbourgh entre 1871 et 1876, avec lequel il participe entre autres au décor du palais des Académies à Bruxelles. Il collabore aussi avec Jules Pecher à la réalisation du Monument à Jean François Loos à Anvers (1876). À cette époque, Rodin vit en couple avec Rose Beuret, qu'il peint en Fleur des champs. C'est également à cette époque qu'il met au point sa démarche de présenter trois fois la même sculpture dans des expositions différentes en trois techniques différentes : terre cuite, plâtre et marbre.
En 1875, il réalise un de ses grands rêves en voyageant en Italie, pour découvrir les trésors artistiques de Turin, Gênes, Pise, Venise, Florence, Rome, Naples, et « découvrir les secrets » de Donatello, et surtout, de Michel-Ange dont « les allusions et emprunts à son art sont perceptibles dans son œuvre aussi bien dans les attitudes des corps sculptés que dans le travail du marbre, jouant du contraste entre les surfaces polies et celles à peine dégrossies », en usant de la technique et de l'esthétique du non finito. À son retour en France, il visite les cathédrales françaises. En 1876, il expose pour la première fois aux Etats-Unis à l'Exposition internationale et universelle de Philadelphie.
En 1877, âgé de 37 ans, de retour à Paris, il réalise sa première grande œuvre, L'Âge d'airain, la statue en grandeur nature en plâtre d'un jeune homme, qu'il expose au Cercle artistique et littéraire de Bruxelles et au Salon des artistes français de Paris. Sa statue donne une telle impression de vie qu'on l'accuse d'avoir effectué un moulage sur le vif. Ce succès retentissant au parfum de scandale amorce sa fortune et ses quarante ans de carrière. Les commandes officielles abondent et Rodin devient un portraitiste de la haute société.
En 1878, Rodin crée son Saint Jean Baptiste, plus grand que nature pour prouver définitivement qu'il n'a pas recours au moulage sur nature. Rodin influence alors la sculpture par l’expressivité des formes, des sentiments, de la sensualité et du soin apporté à restituer l'émotion, par l'expression donnée à des parties du corps comme les mains, les pieds, , etc. Il participe à l'invention d'un style en développant de nouvelles techniques de sculpture comme l’assemblage, la démultiplication ou la fragmentation, en totale rupture avec l’académisme d'alors. En 1879, il participe à un concours pour l'érection d'un monument commémoratif de la guerre de 1870 à Courbevoie, mais voit son projet pour La Défense de Paris rejeté ; ses amitiés avec des communards auront pu également influencer le jury. Il intègre la Manufacture nationale de Sèvres de porcelaine, jusqu'en décembre 1882.
En 1880, l'État achète sa sculpture L'Âge d'airain et lui octroie un atelier au Dépôt des marbres , rue de l'Université, dans le 7e arrondissement de Paris (un lieu de travail qu'il gardera toute sa vie). L'État lui commande La Porte de l'enfer, inspirée par la Divine Comédie de Dante Alighieri, et une transposition des Fleurs du mal de Charles Baudelaire, pour le futur musée des arts décoratifs du palais du Louvre, son œuvre la plus monumentale de 7 m de haut et 8 tonnes, qui ne sera ni livrée ni fondue en bronze de son vivant, et à laquelle il travaillera seul jusqu’à la fin de ses jours. L'œuvre sera fondue en bronze en 1926 (Paris, musée Rodin).
En 1881, l'État achète sa sculpture Saint Jean Baptiste. Il part en voyage en Angleterre où il apprend la gravure à Londres avec Alphonse Legros, un ancien condisciple de la Petite École. À son retour en France, il réalise notamment les figures sculptées d’Adam, d’Ève et Le Penseur en 1882. En 1883, il réalise le Buste de Victor Hugo. Son père meurt cette année-là.
En 1882, Rodin remplace Alfred Boucher comme professeur d'un groupe de jeunes sculptrices, dont Camille Claudel. Il remarque les dons de celle-ci, qui a alors dix-neuf ans. En 1884, elle entre comme praticienne et sert de modèle pour Torse de femme et Mon frère pour Rodin. En 1885, elle est le modèle de L'Aurore. Dans son atelier, elle participera activement à la création du groupe des Bourgeois de Calais, commandé en 1885 par la municipalité de Calais, à la mémoire d'Eustache de Saint Pierre, dont la légende veut qu'elle ait modelé les mains de Pierre de Wissant, alors que Jessie Lipscomb fut chargée de la robe. Rodin et Camille Claudel vont entretenir une relation artistique et amoureuse passionnée et tumultueuse, devenue légendaire, qui durera de dix à quinze ans, connue de tous à l'époque.
En 1884, il réalise la sculpture L'Éternel Printemps, probablement inspirée de cette passion pour Camille Claudel, tout comme L'Adieu en 1892, où Rodin assemble un portrait de Camille Claudel et les mains de Pierre de Wissant, dont il confie la pratique du marbre à Jean-Marie Mengue, et celle de La Convalescente à Émile Matruchot en 1902. En dépit d'une promesse faite par lettre, Rodin refuse les demandes de mariage de Camille Claudel, qui finira par s'éloigner avant d'être internée par sa famille en 1913.
En 1887, il est fait Chevalier de la Légion d'honneur et illustre de dessins l'édition originale des Fleurs du mal, de Baudelaire, éditée par Paul Gallimard. L'État français lui commande Le Baiser, en marbre pour l'Exposition universelle de Paris de 1889. Rodin choisit Jean Turcan comme praticien. Le Baiser sera réalisé directement en marbre d'après sa maquette en terre cuite. En 1889, Auguste Rodin est un des membres fondateurs de la Société nationale des Beaux-arts et reçoit la commande du monument à Victor Hugo, pour le Panthéon de Paris (assis, puis debout). Il expose avec Claude Monet à la galerie Georges Petit. En 1891, la Société des gens de lettres lui passe commande d'un monument pour Honoré de Balzac. Il est promu officier de la Légion d'honneur, en 1892, et succède à Jules Dalou au poste de président de la section sculpture et vice-président de la Société nationale des beaux-arts.
En 1893, il s'installe avec Rose à Meudon, chemin Scribe, dans la Maison des Chiens-Loups. Henri Lebossé présente à Rodin un système mécanique d'agrandissement ou de réduction des sculptures qui permet à Rodin de produire en série ses sculptures à différentes échelles. Antoine Bourdelle devient son praticien. Claude Monet l'invite chez lui, en 1894, à Giverny en Normandie, où il rencontre Paul Cézanne et Clemenceau.
En 1895, il achète la villa des Brillants, à Meudon, qui devient son atelier avec ses assistants ouvriers et praticiens, et où il commence à constituer sa collection d'antiques et de peintures. Le monument aux Bourgeois de Calais en bronze est inauguré à Calais. En 1896, le musée Rath en Suisse présente pour la première fois ses photographies accompagnant ses sculptures, et des œuvres de Pierre Puvis de Chavannes et d'Eugène Carrière. En 1897, par la publication de l’Album Goupil (du nom de l'éditeur-imprimeur) contenant 142 dessins, il divulgue ses techniques de travail novatrices. Il présente son Monument à Victor Hugo au Salon de la Société nationale des beaux-arts. En 1898, la Société des gens de lettres refuse sa statue de Balzac présentée au Salon de la Société nationale des beaux-arts. En 1899, il obtient la commande du Monument à Puvis de Chavannes. La grande Ève est présentée au Salon de la Société nationale des beaux-arts. Il tient ses premières expositions personnelles à Bruxelles, Amsterdam, Rotterdam, La Haye.
En 1900, Rodin a 60 ans. À ses frais il organise une rétrospective dite « de l'Alma » de son œuvre dans un pavillon sur la place de l'Alma en marge de l'Exposition universelle de Paris, ce qui lui vaut une consécration internationale. Il est nommé chevalier de l'Ordre de Léopold de Belgique. Cette même année, il fait la connaissance de Hélène von Beneckendorff und Hindenburg, nièce du futur maréchal et président du Reich, Paul von Hindenburg, qui épousera, en 1904, Alfred von Nostitz. Rodin se rend en Italie avec elle, reprenant ainsi contact avec les chefs-d'œuvre sculptés de Pise, Lucques, Florence et Rome. Le portrait d'Hélène qu'il exécute en marbre sera envoyé à Berlin et à Vienne, où il sera admiré et loué par les artistes du mouvement dit « de la Sécession ».
À la clôture de l'Exposition, en 1901, le pavillon est démonté et transféré dans sa propriété de Meudon (la villa des Brillants) et devient son atelier. En 1902, le jeune poète autrichien Rainer Maria Rilke le rencontre, écrit un essai Sur Rodin et devient son secrétaire, de 1905 à 1906. En 1903, il est fait commandeur de la Légion d'honneur. En 1904, Rodin devient l'amant de la peintre et femme de lettres britannique, Gwendolen Mary John (sœur du peintre Auguste John), qui lui servira de modèle pour la Muse Whistler et Iris, puis il rencontre la duchesse de Choiseul (née Claire Coudert, issue d'une très riche famille américaine), dont il devient l'amant jusqu'en 1912. Claire de Choiseul le mettra en contact avec de nombreux Américains fortunés et aura une certaine influence sur lui.
Le Penseur, version en plâtre, est présenté à Londres puis en bronze à Paris. En 1906, Le Penseur est placé devant le Panthéon de Paris. À l'occasion de l'Exposition coloniale de Marseille, Rodin exécute une série d'aquarelles d’après les danseuses cambodgiennes. Il réalise le Masque de Hanako, un portrait de l'actrice japonaise Hanako. L'exposition de ses dessins en Allemagne à Weimar crée le scandale. En 1907, à Paris, la galerie Bernheim organise une exposition de ses dessins. La sculpture L'Homme qui marche est présente au Salon. Marcelle Tirel devient son dernier secrétaire.
Rodin s'installe en 1908 à l'hôtel Biron que Rilke lui a fait découvrir, où il rencontre Vaslav Nijinsky et Henri Matisse, entre autres. Rodin voyage en Espagne avec Rilke et le peintre basque Ignacio Zuloaga, son ami. Ses dessins sont exposés par la galerie du photographe pictorialiste Alfred Stieglitz. Il est nommé grand officier de la Légion d'honneur en 1910. En 1911, l'État lui commande un buste de Pierre Puvis de Chavannes pour le Panthéon de Paris et l'Angleterre acquiert Les Bourgeois de Calais, pour les jardins du palais de Westminster de Londres (Parlement du Royaume-Uni). L'homme qui marche est installé au palais Farnèse (ambassade de France à Rome). La salle Rodin du Metropolitan Museum de New York est inaugurée en 1912. Cette même année a lieu une exposition Rodin à Tokyo.
En 1914, il voyage à nouveau en Angleterre avec Rose Beuret. En 1915, il commence le buste du pape Benoît XV, lors d'un voyage à Rome, au cours duquel il croise Albert Besnard (qui doit également honorer la commande d'un portrait du pape), mais en désaccord avec le souverain pontife sur les temps de pose, Rodin part sans achever l'œuvre. Il publie Les Cathédrales de France, ouvrage reproduisant 100 dessins en fac-similé. Sa santé se dégrade. La sculptrice Jeanne Bardey devient une intime.
Il est victime d'une nouvelle attaque fin mars 1916, suivie d'une congestion cérébrale en juillet. Il fait en septembre trois donations successives de son hôtel particulier, de son atelier et de ses collections d'art à l'État, dans la perspective de la création d'un musée Rodin. La Chambre des députés et le Sénat votent l'établissement du musée Rodin à l'hôtel Biron, aboutissement de la démarche de Judith Cladel, future biographe du sculpteur. Il reçoit une commande pour un monument à la mémoire des combattants de Verdun.
Le 29 janvier 1917, âgé de 77 ans, alors que les facultés mentales du sculpteur sont altérées, et "poussé par Loïe Fuller", il épouse Rose Beuret à Meudon, après cinquante-trois ans de vie commune. Elle est très affaiblie et meurt d'une pneumonie le 14 février 1917, à 73 ans, suivie le 17 novembre par Rodin, qui est inhumé à ses côtés à Meudon, le 24 novembre. Leur sépulture est surplombée par Le Penseur. Le musée Rodin, au 79 rue de Varenne, dans le 7e arrondissement de Paris, est inauguré le 4 août 1919. La villa des Brillants à Meudon, au 19 avenue Auguste-Rodin, deviendra également un musée en son honneur.