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La porte de l'enfer

1900

La porte de l'Enfer
Auguste Rodin, 1880-1900
Sculpture en bronze 635 x 400 x 85 cm
Paris, Musée Rodin.

Cette Porte en bronze de 8 tonnes, 4 mètres de large et plus de 6 mètres de haut a obsédé Rodin jusqu’à son dernier souffle. Durant 38 ans, le sculpteur y a travaillé avec acharnement sans jamais la terminer, créant pour elle plus de 200 figures et groupes de sculptures : certains en relief, qui semblent vouloir s’arracher de la surface de la porte, et d’autres en ronde-bosse, placés dans des niches. Un foisonnant vivier de formes dans lequel il a puisé durant toute sa carrière !

L’aventure de ce gigantesque ouvrage commence en 1879, lorsque le secrétaire d’État aux Beaux-Arts Edmond Turquet lui commande une porte d’entrée pour un musée des arts décoratifs qui devait être construit à l’emplacement des ruines du Palais d’Orsay (incendié pendant la Commune) et inauguré en 1882. Un grand pas pour l’artiste qui, à 40 ans, n’est pas encore très connu ! Confirmée en août 1880 par Jules Ferry, la commande précise que l’ouvrage devra être orné de bas-reliefs illustrant la Divine Comédie de Dante – sans doute une idée de Rodin qui en était un grand lecteur.

L’artiste se voit attribuer un atelier au Dépôt des marbres, rue de l’Université. Féru de formes tourmentées, il décide de se consacrer exclusivement à la partie la plus brûlante du texte : les neuf cercles de l’Enfer. Pour évoquer les âmes suppliciées rattrapées par le péché, il s’inspire de Michel-Ange et de l’érotisme vénéneux des Fleurs du Mal de Baudelaire (1857), élaborant une réponse grouillante et chaotique à la Porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti (1425–1452), chef-d’œuvre de la renaissance florentine.

Au fil d’innombrables croquis et maquettes en cire, bois et plâtre, le projet ne cesse de s’enrichir de nouvelles figures, faisant grimper son prix de 8000 francs à 25 000 ! Très vite, la porte se couvre d’une dégringolade de corps nus et contorsionnés, une vertigineuse marée humaine veillée par les trois Ombres et, au-dessous d’elles, par le célèbre Penseur qui ne serait autre que le poète Dante observant les damnés pénétrer dans les ténèbres !

Les premières figures sont réalisées dès 1881–1882. Mais en 1886, le projet du musée dont la porte devait orner la façade est abandonné – à la place, ce sera finalement la gare d’Orsay qui sera érigée de 1898 à 1900.

Désormais privé du financement nécessaire pour fondre les bronzes, Rodin, possédé, continue malgré tout à y travailler avec fièvre. En 1889, le critique d’art Gustave Geffroy découvre dans son atelier les figures éparses de La Porte de l’Enfer, gisant « sur les étagères, sur le canapé, sur les chaises, sur le sol […], faces levées, bras tordus, jambes crispées » : l’image même des affres de la création ! Au fil des ans, Rodin tire de ces « morceaux » des œuvres autonomes qui deviendront célèbres : Le Penseur, Ugolin et ses enfants, La Femme accroupie, L’Homme qui tombe et, bien sûr, nos Ombres. Même le mythique Baiser (figurant un couple adultère de la Divine Comédie qui finit assassiné par jalousie) devait l’intégrer avant que l’artiste ne change d’avis, le jugeant en décalage avec la souffrance des autres figures.

À l’Exposition universelle de 1900, le sculpteur présente une version en plâtre de la porte (conservée au Musée Rodin de Meudon), dépouillée de ses figures les plus saillantes pour souligner la danse tourbillonnante des reliefs affleurant à sa surface. Vers 1907, La Porte fut proche de voir le jour dans une version luxueuse, alliant le bronze et le marbre, qui devait être installée au musée du Luxembourg, où étaient exposées les œuvres acquises par l’État auprès des artistes contemporains.

C’est en 1917 seulement que Léonce Bénédite, premier conservateur du musée Rodin, parvint à convaincre le sculpteur de le laisser reconstituer son chef-d’œuvre pour en faire réaliser une fonte, Rodin mourut la même année avant de voir le résultat de tous ses efforts : la fonte réalisée par la fonderie Alexis Rudier en 1928 pour les collections du musée Rodin. Cette version posthume – dont il existe désormais 7 exemplaires dans le monde est alors assemblée à partir de ses moules. Résultat ? Un ouvrage bouillonnant d’une expressivité inouïe, qui fournira d’innombrables inspirations aux artistes du XXe siècle !