La Ville de Bruges en Belgique, désignée pour cette année 2002, comme capitale culturelle de l'Europe reçoit actuellement dans le cadre du Musée Groeninge une très grande exposition consacrée à Jan Van Eyck (1390-1441) et à ses contemporains.
Intitulée " Jan Van Eyck, les primitifs flamands et le Sud", l'exposition couvre les années 1430 à 1530, soit un siècle de rétrospective artistique, et tente de démontrer la richesse des liens culturels entretenus entre les artistes de l'époque sur le plan de l'inspiration thématique, des représentations esthétiques et des techniques.
Il n'existe qu'une quarantaine de tableaux attribués officiellement à Van Eyck, dont vingt seulement sont présentés ici. Si l'on comprend que L'agneau mystique, 1432, soit resté dans la cathédrale de Gand à 40 kilomèttres de là, on s'explique mal l'absence des Epoux Arnolfini, 1434, restée à National galery de Londres ou celle de la Vierge au chancelier Rolin, 1435, restée au Louvre. En l'absence de ces trois tableaux majeurs, on peut néanmoins contempler les Stigmates de st. François (1428, Philadelphie), L'homme au chaperon bleu (1430, Bucarest) la Vierge au chanoine van der Paele, 1436, le Diptyque de l'Annonciation (1436, Madrid), La Madone de Lucca (1436, Francfort) La vierge à la fontaine, (1439, Anvers) le Portrait de Margareta van Eyck, 1439 et des copies d'oeuvres tardives et disparues de Eyck tel le Portrait du Christ,1440.
Sont aussi présentées quelques oeuvres des précurseurs de Van Eyck : un petit tableau du Maître de Flémalle, quelques tableaux de Rogier Van der Weyden et de son atelier et des oeuvres un peu plus nombreuses de ses continuateurs et notamment La mort de la Vierge de Hugo Van der Goes ainsi que de nombreux tableaux de Hans Memling et Petrus Christus. On regrettera, là aussi, l'absence des chef-d'oeuvres détenus par les grands musées, du Maitre de Flémalle : La nativité, restée à Dijon ou le Rétable de Mérode, resté au Metropolitan ou de Hugo van der Goes : le tryptique Portinari, resté aux Offices .
Si le génie pictural de Jan Van Eyck et de ses contemporains est mis en évidence ici tant au niveau de l'inspiration religieuse que de la conception artistique, se trouve aussi entrepris une véritable opération de propagande qui tente de montrer l'influence déterminante des peintres flamands sur la peinture de la Renaissance et notamment son influence sur la peinture florentine.
Dans son article du catalogue, L'Italie et le Nord : le point de vue florentin, Margaret L. Koster, ne prétend pas moins que de renverser la proposition de Gombrich, intimement persuadé de la supériorité des italiens. Van Eyck affirmait-il ne "maîtrisait pas l'art de la perspective", technique considérée, certes un peu vite, comme la pierre de touche du talent pictural.
Margaret L Koster admet avec Gombrich l'inclinaison du sol dans la Vierge au chanoine van der Paele ainsi que le manque d'aplomb des formes dans l'espace. Mais elle fait remarquer justement que la maîtrise de la perspective ne consacre pas ipso facto la supériorité du Retable de Santa Lucia dei Magnoli de Domenico Veneziano que Gombrich préférait pour cette raison à l'oeuvre de Van Eyck. La comparaison entre ces tableaux révèle "le contraste entre le chatoyant Van Eyck et son rendu virtuose des matières et le pâle et froid Veneziano s'attachant à décrire l'espace avec une précision toute mathématique. Les personnages de Veneziano n'ont rien de la matérialité que le Flamand confère aux siens."
Koster a ainsi beau jeu de consacrer la supériorité de van Eyck sur Domenico Veneziano. Mais ce n'est qu'un maître mineur et Gombrich soulignait déjà le contraste entre l'éclat de la peinture du Nord, la lumière matérialisant les surfaces en les faisant chatoyer et la méthode italienne, où la lumière sert à rendre la monumentalité des figures, la tridimensionalité des formes.
Reste donc à savoir si l'on préfère l'austère réalité des figures massives des primitifs italiens et leur décor architectural tangible dans une conception néoplatonicienne où la lumière est au service de l'idée ou le naturalisme à la flamande, la lumière servant la matière. Il ne me semble hélas pas faire de doute que seul van Eyck peut se hisser parfois à la hauteur des Fra Angelico, Pierro della Francesca et Masaccio.
Koster souligne aussi que le motif de la sacra conversazione, composition réunissant des saints autour d'une Vierge à l'enfant sur un trône, n'a pas une origine exclusivement italienne. Le retable de San Marco (1437-1440) de Fra Angelico et celui de Santa Lucia de Domenico Veneziano sont précédés par La vierge au chanoine Van der Paele de Van Eyck, signé et daté de 1436. Van Eyck est ainsi bien le premier à transférer des personnages isolés d'un polyptyque à fond doré dans un espace atmosphérique. Au cours des années 1420, la sacra conversazione- terme crée par la suite- se détacha du retable à plusieurs volets. L'idée de grouper les saints entourant la Vierge sur un seul panneau ne germa peut-être pas à Florence puisque le tableau brugeois est antérieur à toute Sacra Conversazione florentine encore existante. Le recours à l'appellation italienne ne se justifie que parce que cette composition était très populaire à Florence à l'époque
Koster établi aussi quelques liens censés montrer l'influence des flamands sur les maitres italiens
Pour Koster, les paysages de Eyck et notamment celui derrière Les stigmates de saint François ont été de nombreuses fois pillés par les Italiens. Mais les exemples que proposent l'exposition ne sont guère convaincants ne présentant seulement que quelques peintres italiens relativement obscurs.
L'influence des portraits flamands est plus convaincante. Les portraits de trois quarts de van Eyck ou de Memling sont non seulement bien plus expressifs que les portraits de profil des premiers primitifs italiens mais aussi que ceux plus tardifs de Bellini ou Giorgione. On accordera à ces derniers la palme de l'élégance et du raffinement mais peut être pas de la profondeur psychologique (force de caractère et intelligence manifeste) où les tableaux flamands excellent.