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La vierge au chancelier Rolin

1433

La vierge au chancelier Rolin
Jan Van Eyck, 1435
huile sur bois, 66 x 62 cm
Paris , Musée du Louvre, Richelieu 2e étage

Le donateur de ce tableau, le chancelier Rolin, était d'origine modeste, mais grâce à son habileté et à une parfaite absence de scrupules, il accéda à la charge de chancelier du duché de Bourgogne. Sous sa férule redoutable, le duché devint l'une des plus grandes puissances d'Europe. Nicolas Rolin cherchait à assurer le salut de son âme par des œuvres de charité et un culte ostentatoire à la sainte Vierge. Ce portrait nous prouve qu'orgueil et humilité s'y tenaient la balance.

Les mains jointes, un homme d'âge mûr est agenouillé sur un prie Dieu, face à la Vierge Marie. Au dessus d'elle, un ange pose une couronne d'or sur la tête de la reine des cieux, tandis que l'enfant Jésus trône sur ses genoux. En signe de souveraineté, l'enfant porte dans une main un globe impérial en cristal, et de l'autre, il bénit l'homme agenouillé.

Cette bénédiction et la lumière du soleil couchant sont un rappel de l'au-delà et pourraient faire de cette œuvre une scène de piété comme le sont en général les tableaux votifs du moyen âge. Modestement assise sur un coussin, offrant avec son corps un trône à l'enfant Jésus, la Sainte Vierge est emprunte d'une douceur ineffable. En dépit de la pourpre royale et de la couronne, le pêcheur en prière peut attendre d'elle compréhension et pardon. La gracieuse jeune femme se retrouve dans huit des oeuvres de Van Eyck.

Pourtant, la splendeur terrestre est loin d'être absente de ce tableau. Le vêtement de l'homme, broché d'or et garni de vison, brille avec encore plus d'éclat que le manteau rouge de la Vierge. Et surtout l'homme en prière n'a pas à ses côtés le saint qui sert habituellement d'intermédiaire dans les représentations pieuses du Moyen-âge. Le chancelier est agenouillé seul, sur le même plan que la mère de Dieu, et il est de la même taille qu'elle. Au lieu de se replier humblement dans la partie inférieure du tableau, il en accapare toute la moitié gauche. Rolin était l'homme le plus important mais aussi le plus haï du royaume, en particulier pour son avidité. Un examen aux rayons X a montré qu'à l'origine, van Eyck avait représenté Rolin avec une grande bourse.

La scène se déroule dans un somptueux palais situé sur une hauteur. Les arcs des fenêtres s'ouvrent sur des montagnes lointaines, un fleuve et les bâtiments d'une ville. Cette ville est-elle un haut lieu de spiritualité, la Jérusalem céleste, la cité de Dieu, l'Etat divin, le royaume de la reine des cieux ?

Toutes les tentatives pour localiser ce paysage si riche en détails et animé de quelque 2 000 personnages se sonten tous les cas avérées vaines. Dans la ville qui s'étend sur les deux rives du fleuve, on a reconnu Gand, puis Bruges, Genève, Lyon, Autun, Prague, Liège, Maastricht et Utrecht. En fait, il semble qu'il ne s'agisse nullement de la reproduction réaliste d'une région précise, mais plutôt d'une synthèse de diverses impressions de voyage. Le regard embrasse les grandes plaines des Pays-Bas jusqu'aux Alpes enneigées. Seuls quelques détails peuvent être identifiés, par exemple la tour de la cathédrale d'Utrecht ou encore celle de saint Lambert, la cathédrale de Liège. Mais Liège aurait certainement présenté davantage de maisons en bois et de toits de chaume que la ville somptueuse peinte par Van Eyck, avec ses grands bâtiments de pierre et ses innombrables tours.

Mais le paysage n'est probablement pas le royaume de la reine des cieux et plus certainement la reproduction quelque peu embellie d'une riche ville de Bourgogne, telle que l'administrait Rolin. La croix que l'on aperçoit sur le pont qui enjambe le fleuve indique que cette œuvre est destinée à rappeler le traité d'Arras, chef d'œuvre politique du chancelier. C'est en effet une croix semblable à celle qui fut érigée sur le pont de Montereau, lieu du meurtre du duc Jean sans Peur commis sur ordre du dauphin de France. Ce meurtre fit basculer la Bourgogne dans le camp des anglais. Mais alors que réveillé par Jeanne d'Arc la France sortait vainqueur de la guerre de cent ans, Rolin su renverser ses alliances et obtenir du roi de France des actes de pénitences spectaculaires dont la cessation de quelques villes françaises à al bourgogne et l'érection de cette fameuse croix qui commémorait le vil crime par qui la guerre commença.

Tout au long de sa vie le chancelier voulut se concilier la bienveillance de la Vierge. Quelques années après van Eyck un autre artiste flamand fit le portait de Nicolas Rolin. Rogier van der Weyden le représentant sur un retable comme généreux donateur d'un hôpital pour les malades démunis, l'hôtel dieu à Beaune. Aujourd'hui encore les Hospices de Beaune tirent leurs revenus du vignoble que leur accorda Rolin à leur fondation. Ce n'est sans doute pas par hasard si des sarments de vigne sculptés ornent les fenêtres, et si des vignobles verdoyants apparaissent dans le paysage derrière le chancelier.

L'ouvrage politique du chancelier Rolin ne devait pas lui survivre. Quelques années après sa mort, l'empire bourguignons s'effondrait, anéanti par l'outrecuidance du dernier duc Charles le Téméraire. Et parce que l'Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, le chancelier Rolin, l'un des grands hommes politique du XVème siècle dont l'envergure en tant que fondateur d'empire et serviteur de prince est comparable à celle d 'un Bismarck, est aujourd'hui tombé dans l'oubli. Sa mémoire n'est resté vivante qu'à travers son œuvre de charité, les Hospices de Beaune, et les deux œuvres d'art, commandées avec un goût très sur aux deux meilleurs artistes de son temps.

Intermédiaire entre le monde terrestre et le divin, Jan van Eyck s'est d'ailleurs probablement représenté avec son frère Hubert, de dos, regardant le paysage.