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Conférence au petit palais le mercredi 10 octobre 2018 : Trois peintres exentriques du XVIIIe siècle : Jakuchû, Shôhoku et Rosetsu par Estelle Bauer (spécialiste du 17e, « le temps du récit, le temps du regard, la diffusion de la peinture », thèse sous François Macé.)

L'auditorium le mercredi 10 octobre 2018 de 12h30 à 13h30

La conférence s'organise en deux temps. Tout d'abord la comparaison des trois peintres désignés par leurs prenoms (qui suit leur nom de famille) Ito Jakuchu (1716-1800), Soga Shôhaku (1730-1781) et Nagasawa Rosetsu (1754-1799) puis la comparaison d eleurs styles sur deuxsujets comuns à la painture japonaise.

1 - Trois peintres excentriques

C'est au professeur d'art japonais Tsuji Nobuo que l'on doit de rassembler ces peintres sous l’angle de l’individualité et l’originalité. Il rédige cinq articles dans le Bijutsu Techô (1968) où il rassemble sous la dénomination de peintres excentriques ces trois peintres considérés jusqu’alors comme mineurs par les autres professeurs d’art.

Au moins deux autres peintres anticonformistes les ont précédés au XVIIe :

Iwasa Matabei (1578-1650) connu pour son goût pour la violence, la saturation de l’espace. Dans ses peintures, des petits détails (armures) et des visages vulgaires avec de grosses mâchoires.

Kanô Sansetsu (1589-1651) originaire de Kyoto, maître de la composition, par exemple le vieux prunier, des arbres tortueux, confondre le végétal et le minéral, les arbres et les rochers qui ont les mêmes formes. Des arbres déformés dont certaines branches sont très fines et délicates en opposition à la grossierté du tronc.

Kano Sansetsu : Le vieux prunier, vers 1657

Ito Jakuchu (1716-1800)

issu d’une famille de marchands de légumes aisée. Pas trop intéressé par le commerce, assez religieux, attiré par la spiritualité. Beaucoup de ses peintures sont d’inspiration religieuse malgré les apparences.

Diversité du monde végétal et animal ; Les coqs : intéressé par leur variété, de couleurs, de forme, de plumage… touchant par son aspect parfois « naïf ».

Le compendium des légumes et des insectes : représentation en abrégée de l’univers des légumes et des insectes, seul rouleau sur soie horizontal que l'on ait conservée de lui. Sens de l’observation, approche encyclopédique qui combine le goût de lépoque et son expérience de fils de marchand… On distingue fougères, poires (les nashi poires rondes représentées avec une peau pleine de petits points, code de représentation traditionnel des poires japonaise). Fond en lavis gris. Grappe de raisins avec des feuilles tâchées. Ce sont les couleurs qui donnent des formes. La « ligne » blanche autour des formes provient c’est la réserve (?), ça n’a pas été tracé, c’est la couleur de la soie naturelle. Très long rouleau. La 2e partie est consacrée aux insectes. Un monde animé, pas juste une énumération, les insectes dialoguent entre eux, se regardent. Dynamisme dans l’image. Observation précise du fil de larreignée et humour avec la grenouille à lunettes à la fin du rouleau.

Le compendium des légumes et des insectes 

Jakuchû a aussi peint des mammifères (pas dans l’expo) : chiots par exemple (fin de sa vie 85 ans). Cent chiots (il y en a 59 en vrai c’est juste pour dire qu’ils sont beaucoup). Chiots tous différents pas leur pelage et leur visage. Thème auspicieux du chiot : « descendance nombreuse ». Encore le côté naïf de sa peinture.

Éléphants : détail d’un paravent qui énumère encore des animaux. Comme vu à travers un filet (gros éléphant blanc). Fait penser à une mosaïque (pas vraiment existé au Japon), il n’y a que lui à faire ça.

Soga Shôhaku (1730-1781)

Certainement le plus fou de tous. C’est toujours ce qu’on dit à son propos. Peintures souvent irrévérencieuses. Lions complètement hallucinés avec le regard écarquillé et tout déformés Peintre prolifique et itinérant dans la province d’Ise. Travaille pour les monastères de la région. Il aime peindre de façon très personnelle les légendes chinoises et les personnages taoïstes et bouddhiques pour les représenter sous forme un peu ridicule. Le lion qui ne vit ni en Chine, ni en Corée ni au Japon est une imagerie importée d’Inde. Il est devenu un animal quasi-légendaire (shishi en japonais, alors que l'on dit « lion » prononcé à l’anglaise pour les vrais lions). Il existe différents codes pour représenter les lions : Agyô (bouche ouverte, début de l’alphabet, début du cycle) et Ungyô (dernière lettre de l’alphabet, bouche fermée, fin du cylcle). Associé à différents éléments (Agyo, Ying, eau/ Ungyo, yang, rocher). Donnent parfois l’impression de trembler de peur (un problème pour un animal gardien), encore le côté irrévérencieux.

Les lions, vers 1764

Compositions très touffues, très peu d’espace vide. Shohaku disait à propos de son propre travail : « si on cherche des zu, des images il faut aller du côté de Maruyama Okyo (veine réaliste, influencé par peinture occidentale, style sage). Mais si on cherche des lignes, des traits, il faut aller voir du côté de Shôhaku (de lui-même, donc) ».

Un dragon au musée de Boston. Dragon (qui signifie aussi eau au Japon) est la divinité protectrice contre les incendies, appelé pour faire tomber la pluie . Il peut ainsi être peint au plafond des temples pour protéger contre l’incendie). Le dragon de Boston vient d’un monastère (on sait pas lequel) et s’étend sur plus de onze mètres de long sur 1,65 mètres de haut. Initialement monté sur des fusuma (cloisons coulissantes). D’un côté les griffes acérées et de l’autre son corps dans les vagues. Devait sûrement se trouver dans la petite salle devant l’autel, sur les deux cloisons coulissantes de chaque côté. Encore un dragon ridicule, il a les yeux qui louchent, il a l’air d’avoir peur et en même temps il est effrayant. Il est presque mignon. Shôhaku l’a peinte à 34 ans. Ce n’est pas le seul dragon irrévérencieux qu’il a fait.

Soga Shôhaku a également peint des œuvres en couleur. Très vives et pas très harmonieuses. Episode de la vie antérieure du bouddha historique. Un démon lui apprend la première partie d’une stance bouddhique et lui promet de lui apprendre la seconde seulement si le garçon accepte de se sacrifier. Le bouddha enfant accepte et la peinture est au moment où il va sauter d’un arbre. C’étaitun teeeeest. Le démon est en fait une divinité. Oeuvre de commande pour un monastère. Il a aussi dessiné des femmes, des immortels, toujours couleurs vives et visages grimaçant.

Nakasawa Rosetsu

Mort à 45 ans, issu d’une famille de samurai de rang modeste. On connaît mal sa vie. A beaucoup travaillé à l’encre de Chine.

Paysage nocture, encre sur soie : très simple, très fin, deux plans, le deuxième plus « pâle », voire fantômatique. Technique d’encrage particulière : trempe d’abord tout le pinceau dans une encre noire normale, puis juste la pointe du pinceau dans un noir très profond. Quand il peint, il utilise non la pointe mais le ventre du pinceau, ce qui lui permet de ne tracer qu’un trait, inégal, qui donne l’impression qu’il y a des contours, des pleins et des vides. Sentiment de texture. La lune est « traitée en réserve » = pas peinte, laissé la soie nue en dessous. Bauer « encre duveteuse, presque cotoneuse, très caractéristique ».

Lui aussi il a peint un vieux prunier (paravent à six feuilles). Prunier symbole de : la renaissance, la résistance (fleurit dans la neige), pureté, dans les milieux zen il est l’alternative aux cerisiers.

Règle de la peinture de grand format : composition en diagonale. Les éléments les plus lourds sont placés sous la diagonale imaginaire dans le dessin. La partie légère est au centre du paravent.

Ici, c’est un arbre vieillissant. L’arbre est d’habitude extrêmement solide, symbole qu’aiment les guerriers, représenta la force. Ici il est fendu, vieux. Beaucoup trouvent qu’il ressemble à un humain, à un danseur. La branche comme une main. Les branches bifurquent de façon bizarre. Pourtant grande clarté du dessin.

Très loin du style des deux autres peintres excentrique : peinture très vide, très composée (en cela il est plus classique). Il utilise la même technique d’encrage décrite plus haut.

Il a aussi dessiné des petits oiseaux, des animaux et des fleurs en couleur (rouleau). Basé sur l’observation du vivant. Ou aussi des chiots. Différence avec les chiots de Jakuchû : il n’y en a que trois, déjà. Et il alterne les chiots « pleins », peints avec de la couleur, et des chiots « vides », traités en réserve. Pelage très « fuwa fuwa », qui a l’air tout doux.

Singe pensif sur son rocher : texture avec des grands coups de brosse (« rides ») en noir sur le rocher, rocher très stylisé opposé au côté très réaliste du singe. On peut presque lire l’expression du singe (femelle). Thème assez mystérieux.


Conclusion de la comparaison des trois peintres : C'est au professeur d'art japonais Tsuji Nobuo que l'on doit de rassembler ces peintres sous l’angle de l’individualité et l’originalité. Il rédige cinq articles dans le Bijutsu Techô (1968) où il rassemble sous la dénomination de peintres excentriques ces trois peintres considérés jusqu’alors comme mineurs par les autres professeurs d’art.

Estelle Bauer conclut ainsi qu'il est bien difficile de comparer ces trois artistes qui ne se sont jamais connus et n’ont jamais travaillé ensemble. On les rassemble ainsi seulement à cause de l’historien d’art Tsuji Nobuo  qui les a rapprochés pour souligner leur individualité et leur originalité. Qui plus est Les peintres travaillent beaucoup à la commande et donc doivent savoir maîtriser beaucoup de style différents.

II – thèmes classiques de la peinture d’Edo

1. Les quatre passe-temps du lettré.

= 4 activités considérées très élevées, lettré est un idéal, c’est une époque où il faut se cultiver.

La musique, le jeu de Go, la caligraphie, la peinture.

Kanô Eitoku 1543-1590 (peintre classique qui travaille pour les grands généraux Tokugawa et Nobunaga, tout ça). Les quatres passe-temps du lettré (1566) : dans un temple (Jukôin). Il y avait toujours une pièce pour recevoir les visiteurs, qui donnent sur des jardins secs (rochers et pins), c’est le décor de cette peinture. Le thème est adapté à la fonction de la salle. Sur cloisons coulissantes, en 4 parties.

Les personnages représentés sont des lettrés, avec l’ordre social respecté où les jeunes servent les vieux maîtres.


Interprétation de ce thème par Rosetsu :

Entrée d’un petit monastère à Kushimoto à l’extrêmité sud de la presqu’île de Kii (chemin de pélerinage, je crois (Mery)).

Rosetsu est dans la subtilité, c’est difficile à comprendre. Aspect de sa cloison est vraiment bizarre, très pâle, comme gribouillée (même si c’est fait avec beaucoup d’attention et de technique).

Parodie du thème transposé dans le monde des enfants facétieux. Il y a les enfants sérieux, qui préparent l’encre ou essaient de tracer des sérieusement un texte. Ils regardent ce que font les autres pour comparer. De l’autre côté, il y a des enfants terribles qui se chatouillent l’oreille avec le pinceau, ou plongent les mains dans l’encre pour les aposer directement sur le papier.

On retrouve de mignons petits chiots que Rosetsu aime bien.

Des enfants jouent au go ou dessinnent (mal) un corbeau et autour, des enfants qui courent partout.

Il y a un enfant qui regarde vers le haut, attirant le regard du spectateur vers le haut de la pièce où il a peint une petite souris, comme si elle venait de l’autre côté de la pièce : prise en compte du support, c’est une peinture destinée à être exposée dans une pièce, la frontière est brouillée entre la salle et la peinture.


Interprétation de shôhaku :

les joueurs de Go, on dirait qu’ils sont bourrés encore. Visages grimaçants, pas trop des lettrés distingués. Peints à la brosse très vigoureuse, traits épais. Les poses sont très détendues, les coudes sur les genoux, penchés.

Les poses sont classiques (main levée, genoux plié) mais détournées et rendues rigolotes.


2. Kanzan et Jittoku

Grand thème religieux du bouddhisme zen.

Deux moines, personnage semi-légendaires qui aurient vécu sur mont (Tendai?)

Kenzan est un lettré, Jittoku est un simple d’esprit chargé de balayé.

Très populaires dans les monastères zen. Toujours un peu grotesques parce que ce sont des marginaux, mais thème classique. Souvent parodié et détourné : si on a deux personnages dont un avec un rouleau et l’autre avec un balais, c’est une réinterprétation.


Shôhaku : Kanzan très blanc et Jittoku tout en noir.

Une autre, en 1759. Prétexte pour donner libre cours à son goût pour les lignes. Les rochers sont carrés du côté de Kanzan, plus organiques (pommes de pins?) du côté de Jittoku, les vêtements de Kanzan sont raides, Jittoku les lignes du vêtements sont des courbes, une cascade d’un côté, un arbre musculeux de l’autre avec des racines qui ressemblent à des griffes.


Jakuchû :

très grande simplicité et économie de moyen. On reconnaît surtout les symboles, deux personnages, un balais. 1761 (manyoancollection.org/work/kanzan-and-jittoku-2)


Questions :

Formation des peintres ? Il y a des « écoles » classiques, comme l’école Kanô (débuté au 15e siècle). Au départ c’est un peintre, le fils ouvre un atelier, et ça s’enrichit au fil des siècles. Ils travaillent pour le pouvoir, les shogun et les daimyo (les grands seigneurs), ils sont plus ou moins salariés, réalisent les décors pour les châteaux et les monastères. Les écoles étaient des lieux de formation, la majorité des peintres du 15e-17è sont passés par ces ateliers. Les ateliers suivent le pouvoir quand ils vont de Kyoto à Edo. Ont formaté la peinture. On peut donc parler de peinture académique, forgée par ces ateliers.

Puis il y a des outsiders, surtout 18e. soutenue par une grande grande demande de peinture (nouveaux riches, marchands, époque de la culture et du divertissement), pour décorer les alcôves des maisons, tout le monde a une petite peinture chez lui, en plus elles sont souvent renouvelées pour impressionner les visiteurs. Et en plus l’encre c’est pas cher et ça se fait vite. Avec en plus les échanges avec la Chine et l’occident à cette époque multiplient les influences. Emergence de différents courants et diversification.

Mais les bases sont apprises chez les Kano, le repertoire, les motifs, les traits etc. Jusqu’au 19e siècle.

Il y a des peintres lettrés qui sont très inspirés par la peinture chinoise, ou Okio influencé par l’occident, et les peintres « atypiques ». Mais c’est une construction du 20e siècle de les réunir, c’est un peu aritificiel mais bon ils ont en commun d’être inclassables.

Les sources du thème de Kanzan et Jittoku viennet du poème des 5 montagnes et vont jusqu'à Jack Kerouack qui les cite dans Les clochards célestes.

Meredith Lacuve, le 10 novembre 2018

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