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Le compte-rendu qui suit est rédigé sous ma responsabilité après avoir assisté, le jeudi 9 janvier 2020 à l'école supérieure d'arts et médias de Caen, à la conférence "Prologue suivi D'aperçus antiques et de Le recours au désert", première des cinq conférences posant la question Où l'art a-t-il lieu ? Éléments pour une histoire de l'exposition, par Christian Bernard, directeur du Printemps de Septembre. Les images sont aussi publiées sous la responsabilité du Ciné-club de Caen.

Historiographie de l'exposition n'a que 40 ans d'âge. L'exposition avec une ambition d'autorité, l'exposition qui devient oeuvre, nait en effet dans les années 70-80. De ce fait, l'historiographie de l'exposition n'a pas encore trouvé une méthodologie solide quant à aux conditions de production, de manifestation et de réception d'une exposition. Ce sont des objets d'études plein de promesses.

Prologue 1 : L'oiseau artiste

Si l'une des réponses à la question "Où l'art a-t-il lieu ?" est "Partout où quelqu'un le reçoit comme tel" alors l'exposition est un lieu propice à cette réception. On peut cependant considérablement élargir ce champ, dans l'espace et le temps.

Dans son livre, Habiter en Oiseau (Arles-Paris, Actes Sud, 2019) Vinciane Despret, s'intéresse à l'oiseau dit le Jardinier satiné (satine bowerbird) qui, pour séduire la femelle, construit une tonnelle autour de laquelle il dispose des objets trouvés dans son entourage.

Habiter en Oiseau
Le jardinier satiné

Le champ élargi de l'exposition ne pourrait-il pas inclure les scènes nuptiales du Jardinier satiné comme dispositif de séduction ? Et ce d'autant plus que l'on peut les rapprocher des recherches d'artistes contemporains.

Dispositif de séduction d'un Jardinier satiné
Richard Long : Pine tree brak circle (1985)

L'oiseau à redoublé la forme circulaire de la tonnelle par la disposition de manière égale et en cercle des objets trouvés : des bouts de plastiques, des bouchons, des pailles.. C'est cette même neutralité dans la disposition que l'on retrouve dans Pine tree brak circle (Richard Long, 1985)

Poursuivant les recherches de Carl André, Tony Cragg recherche un dispositif où soit respecté la neutralité de la surface, dans une sorte de refus de l'’évènement, ainsi dans ce rectangle de différentes couleurs où dominent vert, jaune et rouge intitulé : New stones - newton's tones (1978).

Tony Cragg : New stones - newton's tones (1978)
Le "piège à filles" du Jardinier satiné

On peut ainsi appuyer le discours antispécisme en admettant que les animaux peuvent avoir une activité esthétique.


2 - Introduction : la préhistoire de l’exposition

De l'art antique, nous n'avons conservé que peu de choses : des sculptures, des bas-reliefs et quelques peintures pariétales ou sur du mobilier. Ne pas oublier que c'est un dérivé de "table", tabula, qui donnera tableau en latin alors que plateau/plat, pínakos en grec, donnera pinacothèque. Si nombre de mosaïques sont conservées, les textiles et tapis ont presque tous disparus.

Emotion ainsi devant la façade de l'aile du musée de Philadelphie, symbole de la préservation de tout l'art du monde avec sa frise qui montre des sculptures peintes à l'antique alors que l'espace percé plus bas sert à éclairer Le grand verre de Marcel Duchamp.

Façade de l'aile droite du Musée de Philadelphie
Les propylées avec, à gauche, la pinacothèque

L'art antique s'exposait dans des espaces privés, des temples et des pinacothèques. Certains tableaux sont réservés à la contemplation privée : des œuvres votives dans les temples, des expositions réservées. Mais, à la Pinacothèque ou ailleurs, il y a un personnel dédié, un conservateur, des pièces gardées, et des personnes pour ouvrir aux visiteurs et payés pour remplir cette fonction.

2-1 : La Pinacothèque d'Athènes

La Pinacothèque d'Athènes (milieu du Ve siècle av JC), se situait à gauche (l'aile nord) des Propylées, l'entrée monumentale à l'Acropole. Dans un espace de 9 mètres sur 11, soit 100 m², était installée une galerie de tableaux, accrochés au dessus d'une cimaise noire de 1 mètre de hauteur ou parfois sur des chevalets. Venu d'Asie Mineure, Pausanias, au IIe siècle de notre ère, dans sa Description de l'Attique, présente une Grèce qui n'est plus celle de la grandeur classique et décrit ainsi la pinacothèque :

"A gauche des Propylées, il y a un bâtiment qui contient des peintures. Parmi celles que le temps n'a pas effacées, il y a Diomède et Ulysse, l'un prenant l'arc de Phyloctète à Lemnos, l'autre emportant de Troie une statue sacrée de Pallas Athénée. Là encore sur les peintures Oreste tue Egisthe, et Pylade, les enfants de Nauplios qui viennent au secours d'Egisthe. Polyxène est auprès du tombeau d'Achille, sur le point d'être égorgée. Homère a bien fait d'éviter cette scène cruelle (...)"


La mention du fait que le temps a pu effacer les œuvres d'art est notamment due au fait que de nombreuses œuvres lors de leur transport en bateau, vers Rome notamment coulaient dans la Méditerranée Le premier tableau décrit par Pausanias a pour sujet un vol d'œuvre d'art, et l'on note aussi le souci de comparer l'œuvre au canon de la description homérique. Ce sont des initiés qui disputent de la légitimité iconographique, c'est à dire en l'occurrence, de la fidélité à la description d'Homère.

Parmi les onze œuvres cités par Pausanias, deux seraient de Polygnote : Ulysse sur le rivage du fleuve avec Nausicae et Persée avec la tète de Méduse.

D'autres lieux d'exposition de l'antiquité sont restés célèbres : Le Portique d'Octavie à Rome, Le Portique d'Orphée à Pompéi, La Maison Carrée à Nîmes...

2-2 L'ekphrasis : le genre littéraire de la description

Les œuvres célèbres sont connues par les copies ou par la description qui est un genre littéraire : l'ekphrasis. Lucien de Samosate (120-192), le maitre du genre s'excuse : "sans couleur, sans figure, hors du lieu lui-même... C'est pauvre chose, pour peindre que les mots". Pourtant, et c'est encore vrai aujourd'hui, c'est parce que l'on parle des tableaux qu'on les voit. Grâce à l'ekphrasis, sont transmises dans tout l'empire la connaissance des œuvres, celles par exemples de Zeuxis ou Antiochus, d'ailleurs disparues depuis : Œuvres complètes de Lucien de Samosate (sur Wikisource), Chapitre XXII : Zeuxis ou Antiochus

Je veux donc, à ce propos, vous raconter ce que fit un peintre en pareille circonstance. Le fameux Zeuxis, cet admirable artiste, n’exerçait jamais son talent sur des sujets communs ou vulgaires : il était rare, du moins, qu’il peignît des héros ; des dieux, des batailles ; il cherchait toujours quelque chose de nouveau, une conception extraordinaire et étrange, et c’était là qu’il déployait toute la puissance de son talent. Parmi les œuvres les plus hardies de Zeuxis, on peut citer le tableau qui représente une hippocentaure femelle, allaitant deux petits qui viennent de naître. Athènes en possède aujourd’hui une copie fort exacte : l’original fut, dit-on, envoyé à Rome par Sylla, général des Romains ; mais on raconte que le vaisseau qui transportait ce tableau périt, ainsi que le tableau même, à la hauteur du cap Malée. Je vais cependant essayer de vous donner une idée de la copie, que j’ai eue dernièrement sous les yeux ; non que je sois, ma foi, bon connaisseur en peinture, mais parce que j’en ai le souvenir bien présent, pour l’avoir vue à Athènes chezun peintre. La vive admiration dont m’a frappé alors ce chef-d’œuvre m’en facilitera beaucoup maintenant la description.

Sur un épais gazon est représentée la centauresse : la partie chevaline de son corps est couchée à terre, les pieds de derrière étendus ; sa partie supérieure, qui est toute féminine, est appuyée sur le coude ; ses pieds de devant ne sont point allongés comme ceux d’un animal qui repose sur le flanc, mais l’une de ses jambes, imitant le mouvement de cambrure d’une personne qui s’agenouille, a le sabot recourbé ; l’autre se dresse et s’accroche à la terre, comme font les chevaux quand ils essayent de se relever. Elle tient entre ses bras un de ses deux petits et lui donne à téter, comme une femme, en lui présentant la mamelle ; l’autre tète sa mère à la manière des poulains. Vers le haut du tableau, est placé, comme en sentinelle, un hippocentaure, époux, sans nul doute, de celle qui allaite les deux petits : il se penche en souriant. On ne le voit pas tout entier, mais seulement à mi-corps. De la main droite, il tient un lionceau qu’il élève au-dessus de sa tête, et semble s’amuser à faire peur aux deux enfants.

Toutes les autres beautés de ce tableau, qui échappent en partie à l’œil d’un ignorant tel que moi, bien qu’elles réalisent la perfection de la peinture, je veux dire la correction exquise du dessin, l’heureuse combinaison des couleurs, les effets de saillie et d’ombre ménagés avec art, le rapport exact des parties avec l’ensemble, l’harmonie générale, je les laisse à louer aux fils des peintres, qui ont mission de les comprendre. Pour moi, j’ai surtout loué Zeuxis pour avoir déployé dans un seul sujet les trésors variés de son génie, en donnant au centaure un air terrible et sauvage, une crinière jetée avec fierté, un corps hérissé de poils, non seulement dans la partie chevaline, mais dans celle qui est humaine. À ses larges épaules, à son regard tout à la fois riant et farouche, on reconnaît un être sauvage, nourri dans les montagnes, et qu’on ne saurait apprivoiser.

Tel est le centaure. La femelle ressemble à ces superbes cavales de Thessalie, qui n’ont point encore été domptées et qui n’ont pas fléchi sous l’écuyer. Sa moitié supérieure est d’une belle femme, à l’exception des oreilles qui se terminent en pointe comme celles des Satyres : mais le mélange, la fusion des deux natures, à ce point délicat où celle du cheval se perd dans celle de la femme, est ménagée par une transition si habile, par une transformation si fine, qu’elle échappe à l’œil et qu’on ne saurait y voir d’intersection. Quant aux deux petits, on remarque dans leur physionomie, malgré leur tout jeune âge, je ne sais quoi de sauvage mêlé à la douceur ; et ce qu’il y a d’admirable, selon moi, c’est que leurs regards d’enfant se tournent vers le lionceau, sans qu’ils abandonnent la mamelle et sans qu’ils cessent de s’attacher à leur mère.

Zeuxis, en exposant ce tableau, crut que son talent allait enlever tous les spectateurs : et, en effet, ils se récrièrent : car que faire autre chose à la vue d’un pareil chef-d’œuvre ? Mais ils ne louaient tous que ce que vous avez aussi applaudi en moi, l’étrangeté de l’invention, l’idée singulière d’un tableau traité comme on n’en avait point encore vu. Aussi, Zeuxis s’apercevant que cette nouveauté seule les occupait, et ne leur faisait considérer que comme un accessoire l’art exquis des détails : « Allons, Micion, dit-il à son élève, roule cette toile et reportons-la chez nous. Ces gens-là ne louent que la boue du métier ; ils ne se soucient pas de l’essence même du beau, de ce qui fait l’art réel ; le talent de l’exécution disparaît à leurs yeux devant la singularité du motif ».

Lucien de Samosate, dès le IIe siècle, fait l'éloge du nouveau : "Le fameux Zeuxis, cet admirable artiste, n’exerçait jamais son talent sur des sujets communs ou vulgaires : il était rare, du moins, qu’il peignît des héros ; des dieux, des batailles ; il cherchait toujours quelque chose de nouveau, une conception extraordinaire et étrange, et c’était là qu’il déployait toute la puissance de son talent"

Il loue aussi la forme, l'exécution vis à vis du sujet : "Ces gens-là ne louent que la boue du métier ; ils ne se soucient pas de l’essence même du beau, de ce qui fait l’art réel ; le talent de l’exécution disparaît à leurs yeux devant la singularité du motif"

Zeuxis est aussi connu pour une formule célèbre qui revendique la liberté créatrice de l'artiste. Zeuxis, dit-on, sortait ses tableaux sur son balcon et se cachait derrière pour écouter les commentaires des passants. Un cordonnier eut un jour un jugement dédaigneux faisant une remarque technique sur une sandale dont la boucle n'était pas correctement dessinée. Zeuxis en fut un peu meurtri mais refit la boucle de la chaussure. Le lendemain, le cordonnier repassa mais jugea cette fois que la jambe aurait pu être mieux dessinée à son gout. Cette fois, excédé, Zeuxis lui répondit : "Cordonnier, pas plus haut que la chaussure !"

Zeuxis faisait aussi de son atelier un lieu d'exposition qu'il faisait payer. On y admirait un Portrait d'Hélène mais la visite était parfois si chère qu'on surnomma le tableau Hélène la courtisane.

2-3/ La dimension politique de l'exposition

En -60, César est en Espagne où il n'est que préteur et se sent éloigné du pouvoir. Il emprunte pour acheter des œuvres d'art et, de retour à Rome, fait fabriquer des baraques en bois pour exposer ses œuvres d'art. Il s'endette gravement pour cette exposition mais en retire une grande estime dans les milieux populaires qui lui permet d'atteindre à l'édilité.

A contrario, Cicéron fait un cas exemplaire de l'affaire Verrès dont il est l'accusateur dans un célèbre procès à Rome. Puissant et influent magistrat romain, Verrès a pillé la Sicile en 2,5 ans notamment la collection d'un riche sicilien qui la rendait accessible aux visiteurs à Messine, sorte de musée de la ville. Il s'est approprié les œuvres qu'il a retirés à l'espace commun. Cicéron le fait condamner.


3/ Le recours au désert

Si l'art d'exposer peut être le fait des oiseaux et existait dans l'antiquité, on peut aussi le trouver en plein désert, tel The Noah Purifoy Outdoor Art Museum (Joshua tree, Californie)

The Noah Purifoy Outdoor Art Museum (Joshua tree, Californie)

Noah Purifoy (1917-2004), un noir californien, y travaille à l'écart de tout destinataire. Le 1er aout 1989, à 72 ans il quitte, Los Angeles pour s'établir à 180 km à l'est, à Joshua Tree, pas loin de Palm Springs, sur un terrain que lui cède une amie. Il va y vivre 15 ans sans presque aucun moyen, créant à partir de collectes dans son environnement. Musée sans mur, au milieu de nulle part, sans publicité, communication, médiation. Durant longtemps, il s'adresse à personne au milieu de nulle part.

Même travail solitaire et obstiné pour Simon Rodia (1879-1965) maçon , immigrant italien qui édifie entre 1921 et 1954 les huit Watts towers, sorte d'équivalent californien du Palais du docteur Cheval ou de la Sagrada familia, composées de câbles d'acier et de divers objets de récupération. Il a ensuite donné la clef du terrain à sa voisine et a disparu

Bibliographie :

Jean-Luc Lacuve, le 2 février 2020

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