Ce livre culte qui revisite les chef-duvre dHitchcock à travers les concepts de la pensée de Jacques Lacan est paru en 1988 aux Etats-Unis. Il est traduit en français selon une organisation remaniée et avec de nouveaux articles. Le titre, inspiré de Woody Allen, reflète la méthode provocatrice de ce grand livre : comprendre le cinéma via la psychanalyse, mais aussi la psychanalyse via le cinéma.
Le livre se compose après une préface et un article introductif, Alfred Hitchcock ou la forme et sa médiation historique Slavoj Zizek de quatorze articles, regroupés en trois parties :
L'universel : Thèmes
Les sinthomes Hitchcockiens
Les objets d'Hitchcock
L'endroit idéal pour mourir : le théâtre
dans les films d'Hitchcock
Punctum caecum ou perspicacité et aveuglement
La boucle de l'acte
Le particulier : films
Le spectateur qui en savait trop
de Mladen Dolar
Un père pas tout à fait mort
L'homme derrière sa propre rétine
Le vrai coupable
Les systèmes spatiaux dans la mort aux trousses
L'individu : L'univers d'Hitchcock
Alfred Hitchcock ou la forme et sa médiation historique
Dans sa préface et son article introductif Alfred Hitchcock ou la
forme et sa médiation historique Slavoj Zizek propose une lecture
socio-critique d'Hitchcock qui tente de discerner la médiation sociale
à un niveau formel c'est à dire en ayant extrait des films d'Hitchcock
leur contenu narratif pour isoler l'intensité de leur équilibre
formel.
L'analyse de la médiation sociale est la correspondance du type de subjectivité de chacune des trois périodes centrales de Hitchcock avec la forme de subjectivité se rattachant à chacune des trois étapes du capitalisme (libéral, d'état impérialiste, postindustriel tardif) : Le voyage initiatique du couple, dont les obstacles stimulent le désir de réunification est profondément inscrit dans l'idéologie classique du sujet "autonome" renforcé par l'épreuve ; la figure parentale résignée de la seconde étape évoque quant à elle le déclin de ce sujet autonome auquel vient s'opposer le héros "hétéronome" insipide et victorieux ; et pour finir, on reconnaît aisément dans le héros typiquement hitchcockien des années 50 et du début des années 60, les traits du narcissisme pathologique, forme de subjectivité caractéristique de ladite "société de consommation".
Slavoj Zizek propose en effet de découper l'oeuvre de Hitchcock en cinq périodes chacune ayant une thématique subjective particulière et une relation privilégié aux objets.
1- Les films réalisés avant Les trente neuf marches
2- Les films anglais de la seconde moitié des années 30. Narration classique centrée thématiquement autour de l'histoire eodipienne du voyage initiatique du couple. L'action a finalement pour but de mettre le couple à l'épreuve et de permettre sa réunion à la fin. Il s'agit toujours de couples enchaînés par hasard (parfois littéralement les trente-neuf marches) qui traversent ensuite une série d'épreuves initiatiques, c'est à dire de variation sur le motif fondamental du mariage. Ces couples enchaînés par accident et renforcés par les épreuves sont Hannay et Pamela des trente-neuf marches, Ashenden et Elsa dans quatre de l'espionnage, Robert et Enrica dans jeune et innocent, Gilbert et Iris dans une femme disparaît avec l'exception notable de Agent secret (1936) où le triangle formé par Sylvia, son mari criminel Verloc et le détective Tod préfigure la configuration qui caractérise la période suivante.
L'objet privilégié est le McGuffin, une place vide, un pur prétexte dont le seul rôle est d'enclencher l'histoire : la formule de l'engin de guerre volant dans Les trente-neuf marches, la mélodie codée d'Une femme disparaît, les bouteilles d'uranium des enchaînés. C'est un pur semblant. Le manque, le vide du réel qui enclenche le mouvement symbolique de l'interprétation, un pur semblant du Mystère à élucider, à interpréter.
3- La période Selznick, de Rebecca (1940) aux Amants du capricorne. Centrée thématiquement sur l'héroïne féminine traumatisée par une figure paternelle ambiguë (mauvais, impuissant, obscène, brisé), l'histoire tes toujours racontée du point de vue de la femme, tiraillée entre deux hommes : la figure plus âgée du méchant (son père ou son vieux mari
4- Les grands films des années 50 et du début des années 60. Centrés thématiquement autour de la perspective du héros masculin dont le Surmoi maternel empêche l'accès à une relation sexuelle normale.
L'objet privilégié des périodes 3 et 4 possède la présence matérielle d'un fragment de réalité ; c'est un reste, un débris irréductible. Un objet d'échange circulant entre les sujets, servant en quelque sorte de garantie, de gage à leur relation symbolique. C'est la fonction de la clé dans les Enchaînés et dans Le crime était presque parfait, celui de l'alliance dans l'ombre d'un doute et Fenêtre sur cour, celui du briquet dans l'inconnu du Nord Express et même de l'enfant circulant entre les deux couples dans l'homme qui en savait trop. Il doit circuler entre les éléments opposés comme à la recherche de sa propre place, perdue depuis le début. Le rôle de cet objet est paradoxal, car bien qu'il soit un reste du réel, un excrément, il fonctionne comme une condition positive de la restauration de la structure symbolique. On a initialement un état de choses homéostatiques, imaginaire, présymbolique et non structuré le manque circule entre les objets
5 - Marnie et les films postérieurs
Malgré quelques touches de génie : le paquebot au bout de la
rue dans Marnie, le meurtre de Gromek dans Le rideau déchiré,
le travelling arrière de Frenzy, la narration parallèle de Complot
de famille, ce sont des films de la désintégration.
Les objets comme Les oiseaux, la proue du gigantesque navire au bout de la rue où vit la mère de Marnie, ou antérieurement, la statue égyptienne de chantage (1929), la statue de la liberté de la Cinquième colonne (1942), les monts Rushmore dans La mort aux trousses possèdent une présence matérielle massive oppressante. L'objet n'est pas un vide comme le McGuffin mais il ne circule pas non plus entre les sujets, il est l'incarnation silencieuse d'une jouissance impossible.
L'endroit idéal pour mourir : le théâtre dans les films
d'Hitchcock
Meurtre (1930) et Le grand Alibi sont entièrement construits autour de la relation cinéma théâtre. Plusieurs films adaptés de pièces de théâtre : quatre de l'espionnage, La corde, La loi du silence, Le crime était presque parfait
Séquences clés se déroulant sur une scène dans :
Dernière scène de Meurtre. La caméra effectue un lent travelling arrière et le cadre de la scène apparaît soudain dans le champ, puis le rideau tombe et le film s'achève
Le cinéma s'est constitué en tant qu'étape dépassant
un certain seuil, celui de la scène ou du périmètre de
la scène. La caméra coupe dans le tissu d'une fiction préexistante,
c'est le mouvement premier qui permet et engendre le gros plan, le temps cinématographique,
le montage alterné, c'est à dire la totalité du contenu
diététique, de la ligne narrative, qui trouve son origine dans
une multitude hétérogène de plans/vues partiels. Pour
Hitchcock notamment la naissance du "cinéma pur " correspond
au moment où la caméra de Griffith a enjambé la rampe
et découvert ainsi un nouveau sujet du regard, le sujet du film : "
Le premier grand moment de (ces techniques propres au film) a eu lieu lorsque
D.. W. Griffith a ôté la caméra de l'emplacement où
la cantonnaient ses prédécesseurs, quelque part sur l'arc du
proscenium pour l'approcher le plus près possible des acteurs (Hitchcock/
Truffaut)
A partir du moment où la caméra s'écarte de l'arc du
proscenium et tant qu'il définit la perspective théâtrale
de l'action, la perspective de la scène (qui dominait jusque là
la perspective cinématographique) est transformée en perspective
cinématographique, et ce à l'intérieur du film lui-même.
L'émergence d'une vue cinématographique spécifique ne
coïncide pas simplement avec l'invention du cinéma. La rupture
décisive entre cinéma et théâtre s'est opérée
dans le cinéma lui-même lorsque les cinéastes ont changé
de paradigme en ne pensant plus en terme de théâtre, mais en
terme de cinéma : ou plus précisément, lorsque la caméra
ne s'est plus contentée d'être un simple médiateur, l'enregistreuse
d'une vision théâtrale spécifique mais est devenue un
organe au moyen duquel pense le cinéaste, un créateur de sa
propre vision
Dans le théâtre classique, le rideau (hormis le fait évident qu'il est un signifiant de théâtre) est le porteur de la fonction du temps théâtral. La tombée du rideau entre deux actes joue un double rôle. D'un coté, elle constitue la promesse que rien ne nous échappera dans l'intervalle même si nous quittons la salle. C'est un signe que le temps théâtral ne coïncide pas avec le temps réel, avec "notre" temps. Le rideau baissé "gèle" et "pétrifie" les personnages de l'histoire. Cependant ce voilement ne correspond pas seulement à la suspension mais aussi à la condensation du temps théâtral. Les drames sont habituellement construits de telle manière que la coupure enter deux actes représente une certaine unité de temps. Par rapport au temps de l'histoire, l'acte suivant s'ouvre généralement un jour, un mois, un an.. plus tard
Le spectateur qui en savait trop
Echec du film meurtre : Faute moyen mal choisi pour la fin de la séquence Etaler le suspens dans le temps alors que l'enfant va mourir aucun intérêt Mladen Dolar faire mourir un enfant sans justification (pourtant si : libère sa soeur et aboutit à l'arrestation de Verloc.
Format : 12.2 x 19 cm, 336 pages
Editions Capricci
Février 2010
16 €