Croyances et sacré au cinéma

Devictor et Feigelson

CinémAction n°134, dirigé par Agnès Devictor et Kristain Feigelson : 241 pages au format 170 x 240. Editions Corlet , mars 2010. 24.00 €

Les articles s'organisent en trois parties :

Dans Le miracle comme événement cinématographique, Alain Bergala analyse le rapport à la croyance développé par le spectateur lorsqu'est mis en scène le miracle, oppose deux formes de représentation et propose de classer le miracle à l'écran en quatre catégories.

La question du miracle pose un enjeu essentiel du cinéma, celui de l'articulation de la croyance au visible et au scénario. Tout spectateur qui joue le jeu du film accepte de croire à ce qu'il voit, ou plus exactement accepte de suspendre pour un moment son incrédulité (il sait bien que cela n'est pas vrai, mais il veut bien y croire quand même). La représentation du miracle va exiger de lui une seconde croyance au sein de cette croyance première :croire en la réalité du miracle et tant qu'elle est en rupture avec les lois de l'univers du film instaurées par le film lui-même, auquel il a accepté de croire. La croyance au miracle filmé met en cause et en crise la fiabilité même du visible, qui devient source de questionnement : dois-je continuer à croire dans ce que le film me donne à voir quand ce qu'il me donne à voir n'est plus dans la logique de ce qu'il me donnait à voir jusque là ?

La question du miracle permet d'opposer nettement deux formes de représentation du sacré au cinéma. La première forme dont les Fioretti de Rossellini sont un modèle indépassable renvoie à une conception bazinienne du cinéma, toute dévouée à une épiphanie généralisée du réel. Pour reprendre la formule de Bazin " L'impassibilité de l'objectif, en dépouillant l'objet des habitudes et des préjugés de toute la crasse spirituelle dont l'enrobait ma perception, peut le rendre vierge à mon attention, et partant à mon amour (Ontologie de l'image cinématographique). C'est la fameuse "robe sans couture de la réalité" chère à Bazin : si la réalité est entièrement sacrée, si son tissu est serré et continu, elle ne saurait relever du miracle, puisque le miracle se trouve être précisément, un accroc dans le continuum de la réalité. Il peut prendre la forme d'une déchirure, ou de ce que Lacan désigne comme "point de réel " : d'un seul coup, à l'improviste, quelque chose vient perforer l'homogénéité du réel, trouer la continuité du monde. C'est ce phénomène que l'on choisira alors d'appeler alors miracle. Mais si tout est sacré, le miracle localisé est une aberration : Simone Weil le qualifie même d'impiété. Tout l'univers des Fioretti participe de la même innocence parfaite au regard de laquelle il n'y a aucune rupture possible dans la continuité du monde, où la contagion de l'amour et du bien est irrésistible.

Pourtant Rossellini a aussi filmé des miracles comme "point de réel", déchirure soudaine surtout dans ses Bergman-films. C'est à partir de cette notion de rupture de trame que se fait la différence, radicale, entre les cinéastes de la robe sans couture de la réalité et les cinéastes pour qui chaque plan est une coupure dans la continuité de la réalité, et qui ont volontiers recours aux bords tranchants du cadre pour opérer cette coupure. Pour les premiers, le spectateur doit considérer à la fin du film que ce qu'il a vu n'a pas porté atteinte à la continuité du tissu du monde. Pour les seconds comme Pasolini, Bresson ou Straub-Huillet, chaque plan est un prélèvement et consacre un morceau du monde comme pièce détachée. Et il existe autant de consécrations que de petits bouts de monde découpés dans chaque plan de Pasolini et de Bresson. " Je parle du sacré, chose par chose, objet par objet, image par image " déclarait Pasolini à Jean Duflot, théorisant ainsi son refus du plan -séquence néoréaliste de l'après-guerre, au bénéfice des pans courts et du montage : " mon amour fétichiste pour les choses du monde m'empêche de les voir naturelles. Il les consacre et les déconsacre une à une ; il ne les lie pas dans leur fluidité exacte ; il ne tolère pas cette fluidité ; il les isole ou les idolâtre avec plus ou moins d'intensité " (Pier Paolo Pasolini, entretiens avec Jean Duflot, éditions Gutenberg, 2006)

Alain Bergala propose de classer le miracle à l'écran en quatre catégories
Les miracles preuves ostentatoires
Les miracles invisibles ou les " coups de grâce "
Les miracles visibles mais non spectaculaires
les miracles indécidables qui tiennent dans un lien de causalité, non attesté dans le visible, qui relève de la seule décision de croyance du spectateur. Voyage en Italie et Breaking the waves, coup de grâce et l'autre du miracle ostentatoire, certes plus difficile à admettre aujourd'hui que du temps de Cecil B. De Mille.

Nous proposons ici de suivre cette typologie en la réduisant à trois classes seulement en regroupant les deuxième et quatrième de Bergala en une seule.


Dans Le diable au cinéma, Christina Ruggieri analyse brillamment les analogies entre la figure du Diable et celle des Vampires.

(...) Si le christ est associé à la lumière qui est le reflet de sa gloire et du bien qu'il incarne, le royaume des vampires est celui de la nuit. Évidemment l'antithèse des ténèbres et de la lumière s'exprime aussi du point de vue moral les concepts de mal et de péché associés aux vampires s'opposant aux idées de bien et de justice représentées par Jésus. D'ailleurs l'allergie vampirique au soleil est à mettre en relation avec le domaine nocturne et infernal du diable. Il faut spécifier que les pouvoirs dévastateurs des rayons du soleil sont une invention cinématographique. Le Nosferatu de Murnau disparaît aux premières lueurs de l'aube en laissant derrière lui un nuage de poussière tandis que le Dracula de Stoker était seulement affaibli par la lumière du jour.

Des racines très anciennes mettent en relation la genèse du vampire à celle de la chrétienté. Mais les non morts du folklore tout en évitant les croix et autres symboles sacrés ne montrent pas le même niveau de répulsion face à l'eau bénite ou aux croix que ses congénères cinématographiques. En général la fonction de la croix dans le folklore est d'éloigner les vampires par exemple lorsqu'on la place à l'entrée d'une maison. Au cinéma, la réaction des vampires face à de tels objets a tendance à être brutale et truculente. Lorsque l'histoire se déroule en pleine époque victorienne, le substrat religieux joue un rôle de premier plan. Ainsi tous les films de la Hammer regorgent d'ustensiles religieux (...)