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Editeur : Carlotta-Films. Octobre 2013. Nouveau master restauré haute définition. Version Originale Sous-titres Français. DVD 17 €, Blu-ray 20 €. Supplément :
Shukichi et Tomi Hirayama, un vieux couple ayant vécu depuis toujours avec leur fille Kyoko dans le petit port d'Onomichi au sud du Japon, se rendent à Tokyo pour visiter leurs enfants. C'est un très long voyage et c'est sans doute la dernière fois de leur vie qu'ils peuvent l'entreprendre... Voyage à Tokyo est le cinquième film à s'inscrire dans la lignée de ceux crées par Ozu et son scénariste à partir de la matrice de Printemps tardif (1949) qui s'attachent à décrire la rupture des liens familiaux. Il est le troisième à traiter plus spécifiquement des ruptures de la liaison parents-enfants et pourrait être une suite à Eté précoce. La rupture est envisagée cette fois du point de vue des parents vieillissants et non de celle des enfants. La spécificité de ce film et ce qui a crée son immense et immédiat succès au Japon tient à ce qu'il faut bien appeler son caractère mélodramatique. D'une part, l'égoïsme des frères et de la sur aînée s'oppose à la gentillesse des plus faibles : les grands-parents, la plus jeune des surs et Noriko. D'autre part et surtout, la mort rode constamment tout au long du film. Deux fois est énoncé le proverbe qui ne peut que parler à chacun : "Soigne bien tes parents avant leur enterrement. Quand ils sont dans la tombe tout est inutile " Mais Jacques Lourcelles affirme avec son habituelle justesse que : " Le style du film est inspiré par le désir de préserver un équilibre entre d'une part le constat lucide d'un certain assèchement du cur chez les enfants et d'autre part la résignation non moins lucide, devant les circonstances qui peuvent expliquer, sinon justifier, cette attitude d'égoïsme. Equilibré aussi, le ton de l'auteur, entre la plainte et la sérénité. Voyage à Tokyo est le type même de l'uvre élégiaque où l'auteur fait sentir sa douleur tout en refusant qu'elle vire au noir absolu "(Dictionnaire du cinéma) Les grands-parents ont toujours ainsi à cur de remettre les choses à leur place et de se satisfaire de ce qu'ils trouvent de meilleur en leurs enfants : "Ils ne sont pas toujours aussi gentils que l'on le voudrait mais on ne peux pas trop exiger d'eux, ils sont plus gentils que la moyenne" dit le grand-père. "En fait nous avons de la chance", reprend sa femme, "Nous devons admettre que nous sommes plutôt heureux" s'accorde Shukichi. "C'est vrai nous avons eu beaucoup de chance" conclut Tomi. Ils préservent ainsi une relation que Numata, se plaignant toujours, n'a pas su maintenir puisqu'il est banni de chez son fils qui, naturellement, préfère sa femme qui le comprend mieux. De même lorsque Kyoko se révolte contre l'égoïsme de ses frères et sur, Noriko cherche à l'apaiser : "A son âge, notre sur a une vie bien distincte de celle de ses parents.. Elle n'est pas de mauvaise volonté ce qui compte pour chacun c'est sa propre vie. " Cette justification du comportement de chacun est la position de Ozu qui pourrait reprendre la formule de Jean Renoir (Ce qu'il y a de terrible dans ce monde c'est que chacun à ses raisons). Lui aussi, justifie le comportement du frère et de la sur à Tokyo par leur difficulté à assurer le quotidien dans une grande ville. Ainsi l'ordre naturel des choses qui est habituellement illustré par des plans de nature est-il ici marqué par des plans de cheminées d'usines ou de grues construisant. Ozu assigne bien les enfants de Tomi et Shukichi dans les quartiers populaires et ouvriers de Tokyo en pleine reconstruction. Mais il ne s'intéresse pas aux revendications et dénonciations qui commencent à s'affirmer alors avec les grèves. Ces plans qu'il intercale comme plans de pure pensée sont abstraits. Jamais, on ne pénètre à l'intérieur des usines. De même, alors que le Japon est déjà sensibilité à la pollution, la fumée des usines ne salit jamais le linge blanc qui sèche comme un symbole du travail ménager quotidien auquel est soumise la mère de famille. Ozu use de symboles tout aussi discrets pour figurer la présence de la mort. Ainsi de ce dialogue raté entre Isamu et sa grand-mère qui figure la force de l'enfance et de la nature à ne pas répondre aux angoisses de la vieillesse.
Ainsi de la silhouette de la grand-mère prise de vertige sur la jetée comme symbole de la naturelle fragilité humaine.
Comble de la discrétion, la mort de la grand-mère est figurée par les mêmes plans de la ville d'Onomichi qu'au début mais privés cette fois de toute présence humaine (les enfants sortants de l'école) ou même mobile (voie ferrée sans train). la pluie, exceptionelle chez Ozu, tombe à verse.
Pourtant, sous ces qualités très japonaises, celles là même que Shukichi reconnaît à la fin à sa belle-fille Noriko, aimante gentille et franche, se dissimulent une douleur plus grande encore que la mort : celle de s'assumer soi-même. Alors que Shukichi redit à Noriko les paroles de sa femme défunte les faisant siennes : "Il faut que tu oublies notre fils". Celle-ci lui avoue que ce souvenir n'est qu'un fragile prétexte pour son inaction: "Je passe des jours entiers sans penser à lui. Je suis angoissée par la monotonie de ma vie, j'attends quelque chose au fonds de mon cur". La crise de larmes marque bien alors l'immense chemin qui lui reste à faire pour s'assumer pleinement à Tokyo loin de ce temps protégé à Onomichi. C'est cette attente que figure la fin du film. Shukichi a remis à Noriko la montre que portait Tomi depuis qu'elle avait son âge. Kyoko, dans sa classe de mathématiques, consulte la sienne et se met à sa fenêtre pour regarder passer le train qui emporte sa belle-sur, seule modèle qui lui reste. Noriko serre dans ses mains la montre et pense à la vie qui l'attend à Tokyo.
L'ordre de choses sera toujours en place. Il ne reste plus à Shukichi qu'à s'habituer à une vie plus solitaire. Les jeunes, eux, devront choisir. Kyoko disait à Noriko en parlant de sa soeur : "Je ne veux pas être comme elle sinon la famille n'a plus de sens". Noriko lui répondait : "Chacun devient ainsi petit a petit". "Toi aussi ?" lui demandait alors sa belle-soeur. "Je deviendrai peut-être comme eux" se contentait de répondre Noriko. Aidée de la montre transmise par ses beaux-parents et de l'affection de sa jeune belle-soeur, nous parirons que non.
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présente
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Voyage
à Tokyo de Yasujiro Ozu
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